MÉLANIE THEODORE
Lundi, ma sœur est allée travailler en voiture à Port-Louis. Une journée normale en somme pour tout le monde. Selon la météo nationale, nous étions en alerte 1 . Au réveil, j’ai été choquée par le mauvais temps; pluie battante et vent coriace. Mais quand on est au chaud chez soi, on oublie si d’autres sont sortis braver le mauvais temps, du moins jusqu’à ce qu’on voie les scènes quasi surréalistes d’horreur et de désespoir sur Facebook.
Mon téléphone sonne. Ma sœur qui me demande anxieuse, où passer pour sortir de Port-Louis. Là je réalise que ma sœur est aussi parmi ces personnes piégées comme des rats à Port-Louis. Ces vidéos qui défilent sur les réseaux, celles qui font froid dans le dos, ce n’est pas du cinéma. C’est le cauchemar éveillé de milliers de citoyens.
Elle me téléphone car désespérée elle a besoin d’aide pour savoir quelles sont les rues à éviter. On se sent perdu dans un moment pareil. D’ailleurs, elle peine à m’avoir, le réseau étant saturé.
L’idée, c’est de suivre le mouvement sur Facebook afin de ruser contre l’eau, déjouer la boue pour rentrer saine et sauve ; elle… et son auto. Dans son calvaire, elle n’était pas seule; elle avait offert de ramener des collègues. D’abord, il a fallu quitter le bureau et rejoindre le parking. Oui, les employés sont sortis quand les autorités ont dit aux fonctionnaires qu’ils pouvaient rentrer. Moi qui suivais les émissions radio, au sec, j’avais compris que ce serait, bien vite, la débandade. Il était trop tard lorsque finalement on conseille d’attendre. Les gens, pris de panique, redoutent à juste titre, la montée des eaux et les embouteillages. L’instinct de survie nous pousse à fuir par tous les moyens dans de telles conjonctures. C’est le premier réflexe, surtout après les inondations meurtrières du 30 mars 2013. Hélas la panique n’est pas toujours bonne conseillère.
Après avoir marché en chaussures dans 30 centimètres d’eau, avec un ressenti d’un mètre d’eau, ma petite sœur arrive, trempée jusqu’aux os à sa petite voiture, achetée il y a quelques années. Cette voiture symbolise son départ dans la vie après les études, ses efforts, son indépendance, sa fierté; la femme qui a réussi. C’est quand une personne comme elle appelle de là-bas, de l’enfer, qu’on comprend que l’heure est grave et que l’eau est puissante !
Il y a les victimes et puis il y a les proches. L’angoisse et la colère nous gagnent. Vont-ils retourner de cet enfer? Comment, quand? Pourquoi la météo ou les autorités n’ont-elles pas averti du danger? N’a-t-on rien vu sur ces radars onéreux, sur ces cartes colorées ?
Dimanche
On nous avait promis du spectacle et des jours de congé après un week-end. Notre premier vrai cyclone de l’année et on se voyait tranquille dans sa maison avec sa famille, mangeant des faratas chauds et feuilletés. Mais voilà nous sommes restés sur notre faim avec un avertissement de classe 1 pendant toute une journée dominicale. Déçus par Belal, peu performant, nous nous sommes résignés à aller travailler comme tous les lundis.
Entre-temps les internautes, comme pour noyer leur désarroi, multipliaient les plaisanteries autour des prévisions de notre météorologue Facebook, connu et apprécié pour ses prévisions claires et d’un TikTokeur assez particulier. Il est vrai que Belal avait été très sage dimanche comparativement aux prévisions de monsieur Afzal. N’empêche que le peuple avait été prévenu par ce dernier des risques de ce cyclone féroce. Et on ne perdait rien pour attendre. Pour les St-Thomas, les dégâts à l’île de La Réunion du dimanche 14 janvier, viennent confirmer les dires de notre ‘pseudo météorologue’ plus fiable que beaucoup.
Lundi
Il faut reprendre le chemin du travail, c’est le début d’année. Le patron attend, il faut être présent. Et puis on est en classe 1, donc pas de crainte à avoir. Pour les enfants, rien de nouveau ; ces abonnés au “congé janvier”. Faut croire que les autorités concernées n’ont rien vu venir malgré leurs appareils dernier cri. Ou alors ils ont préféré minimiser le danger. Cela personne ne le sait ni peut l’affirmer sauf une personne…
Pour revenir à l’expérience de ma sœur, ce fut les quatre heures les plus longues de sa vie. Et pour la famille aussi. Mon père, inquiet, presque au bord des larmes, me téléphonait sans cesse. Il me disait qu’elle aurait dû prendre le métro, qu’il faut trouver un parking, quitte à payer énormément, mais qu’il fallait la sortir de là. Le métro ? Ce dernier est incapable de fonctionner par ce temps. Il aurait fallu prendre le bon vieux bus; rejoindre la gare avec des milliers de personnes apeurées mais solidaires et déterminées qui couraient dans un décor et une atmosphère apocalyptiques. En effet, pour ces personnes c’était la fin du monde. Tout s’écroulait littéralement. Les rues se décollaient, des torrents de boue emportaient tout sur leur passage; de vaillants citoyens, n’écoutant que leur courage brisaient les pare-brise pour que les passagers puissent s’extirper des voitures qui s’enfonçaient comme dans des sables mouvants. Ce n’est pas exagéré de dire qu’on cherche à sauver sa vie ! Les internautes impuissants, Leker Desire, ont vu le corps d’une première victime sur l’autoroute. Victime de Belal, des eaux, de l’incompétence, du manque d’empathie et de clairvoyance…
Et que fait-on des données scientifiques ? Sommes-nous des décideurs sans coeur, dénués de bon sens? Il s’agit à partir de données scientifiques de choisir le bien-être de tous. L’économie, le business, le travail ne peuvent primer sur l’humain. De lundi à mardi s’est joué le théâtre de l’absurde. Comment passe-t-on en quelques heures de classe 1 à classe 2 puis à classe 3 ? Des personnes ont perdu la vie à cause de la bêtise humaine. Lundi nous allions travailler la boule au ventre et mardi alors que tout s’est calmé, sans crier gare, on nous confine sans eau, sans pain, certains sans électricité. On vient avec un nouveau terme ; avis de sécurité pour nous protéger et créer la confusion par la même occasion. Sortir ou ne pas sortir ? Il est un peu tard, n’est-ce pas ? Les voitures sont déjà noyées, bonnes pour la casse, les maisons sont déjà inondées, les familles sont déjà en deuil. Oui on parle en exclusivité des voitures. Et les maisons ? Et ces familles qui ont vécu l’horreur en voyant leurs maisons submergées par une eau boueuse après la chute du deuxième pan du mur du Cimetière de St-Jean. Une tombe qui atterrit dans la cour d’une famille. Des eaux et des os… sacrilège !
Gouverner c’est prévoir…oui ! Gouverner, c’est agir avec empathie, avec humilité. Pas pour les votes, pas pour l’économie, pas pour punir. Il nous faut des personnes qui ne sont pas là “pou gagn enn tiket”, pas là pour le pouvoir ou le salaire exorbitant. Un gouvernement est là au service de tout un peuple par vents et marées; mauvais temps. Il faut aimer son peuple comme un bon père de famille.
Ma sœur est bien rentrée; elle a choisi d’être patiente. Elle est restée en stationnement à l’abri sur une station-service désertée, pendant 4 heures dans sa voiture, priant pour que tout se passe bien. Dieu merci elle est vivante. Et sa voiture, sauvée des eaux.