En moins de 24 heures, le rêve d’être le 50e multimillionnaire de la Loterie Nationale, avec un chèque de Rs 35,8 millions, a viré au cauchemar en plein jour. La première semaine de ce calvaire commence déjà à peser lourd sur les frêles épaules de Vidianand Kallootee, handyman à la Mauritius Ports Authority (MPA), âgé de 48 ans. Plus de huit jours déjà où lui et les membres de sa famille — son épouse et ses deux fils — sont cloîtrés dans une attente qui semble interminable, avec une interrogation qui revient comme un véritable leitmotiv : « Quand La Loterie Nationale se décidera-t-elle à nous verser la super cagnotte de ce 100e tirage ? »
Jusque-là, la réponse à cette question semble des plus aléatoires, compte tenu du fait que les vérifications en vue d’authentifier ce ticket gagnant, que ce soit dans la salle de contrôle de La Loterie Nationale à Ébène ou dans les laboratoires du Forensic Science Laboratory (FSL) de Moka, n’ont pas donné les résultats escomptés. Vendredi après-midi, celui qui aurait dû voyager en limousine était arrivé aux Casernes centrales à motocyclette pour essayer d’obtenir des précisions de la part des responsables du Central CID quant à la marche à suivre.
Cet habitant de Plaine-des-Roches, qui s’est vu propulsé à la Une de l’actualité malgré lui, alors que d’habitude les gagnants de la cagnotte préféraient jusqu’ici garder l’anonymat, ne dort plus. Il a perdu le sommeil depuis ce jour, qui pourrait devenir maudit, où il s’était rendu compte qu’il avait aligné d’un trait les six bons numéros du Loto.
Son visage émacié, ses yeux enfoncés et sa voix à peine perceptible trahissent le calvaire qu’il endure. Aucun doute pour ceux qui le côtoient depuis des années, que ce soit au travail ou dans son village natal.
Pourtant, pour la énième fois depuis ce lundi 3 octobre vers 7 h 30, Vidianand Kallootee reprend la chronologie des événements menant à la vue de son ticket de Loto comportant les six bons numéros du tirage de samedi se noircir sous la chaleur d’un fer à repasser. « Mo latet fatige. Mari fatige », laisse échapper ce père de deux garçons de 17 et de 19 ans.
« Avec la période de jeûne, je m’étais mis au lit très tôt samedi dernier. J’avais également un travail à faire dans la matinée de dimanche. Je n’ai pas suivi le tirage du Loto à la télévision », raconte-t-il. Comme à son habitude chaque dimanche matin, il se rend au marché à Rivière-du-Rempart pour s’approvisionner en légumes. « Zame mo pa manke aste mo Week-End avan mo retourn lakaz », rajoute-t-il.
Vidianand Kallootee est de retour chez lui à Plaine-des-Roches peu après 6 h 30. Son épouse est déjà au comptoir du petit commerce familial, alors que l’aîné de la famille est encore au lit. Le temps que son plus jeune fils ait terminé de parcourir les grands titres de l’hebdomadaire et les articles l’intéressant, le père peut se permettre de prendre connaissance des résultats du Loto.
« Tou le tan, mo get rezilta Loto dan Week-End. Kouma mo pran lagazet-la, mo trouve ena enn sel ganyan. Mo al rod mo bann tike Loto ki mo gard mem plas », poursuit-il avec un calme qui paraît désarmant, vu les circonstances.
« Mo get premye sif 4, mo ena. Nimero 7, sa ousi mo ena lor mem laliyn. Apre 15. Sa ousi. Mo dir momem byen bon. Mo inn geyn twra nimero. Mo inn kontinye konpar bann nimero avek rezilta. Lerla mo trouve mo inn geyn sis nimero. Mo inn geyn enn sok », déclare-t-il, le visage tout éclairé malgré le drame dont il se retrouve au centre.
« Mo tir mo linet. Mo frot mo lizye. Pangar mo finn fer erer. Mo reget bann nimero-la. Mo apel mo ti garson ek mo dir li : nou finn geyn jackpot ta ! » L’ambiance est immédiatement métamorphosée chez les Kallootee. Le fils aîné, qui dormait, s’est réveillé en sursaut à l’annonce de cette incroyable nouvelle. La mère rapplique de la tabagie pour participer à la célébration de l’événement.
Un des jeunes frères du handyman de la MPA, attiré par les exclamations de joie, vient aux nouvelles, de même qu’un autre membre de la famille. L’excitation est à son comble. Vidianand Kallootee décide de replacer son ticket gagnant dans un endroit sûr. Dans la matinée, il vaque à ses occupations, même si la nouvelle se répand comme une véritable traînée de poudre dans ce petit village.
Le pactole du Loto allait permettre à cette famille de rembourser des dettes contractées et d’envisager le quotidien sous de meilleurs auspices. Jusqu’ici, ils ont dû faire preuve de sacrifices pour vivre.
« J’ai pris contact avec mon voisin pour organiser le transport des membres de la famille au bureau du Loto à Ébène, pour aller toucher le chèque. Trop excités, nous n’avons pas fermé l’oeil de toute la nuit. Nous avons parlé de projets rendus possibles aujourd’hui », raconte-t-il.
Très tôt, le lundi matin, tout le monde était prêt. En un clin d’oeil, le drame allait se jouer vers 7 h 30. « Mo finn poz tike ganyan lor enn latab kot mo pa ti trouve ena delo. Tike-la ti inpe mouye. Mo inn pense dres li avek enn karo ki ti dan lame. Enn sel kout, avek lasaler karo, tiket-la inn vinn nwar », se souvient Vidianand Kallootee, son visage s’assombrissant au fil des mots prononcés.
Tout le projet de déplacement en famille à Ébène tombe à l’eau. C’est le cas de le dire, quand le père de famille confirme que les chiffres du ticket, validé très tôt un matin pour la somme de Rs 100 chez Happy Snack au Quai D, étaient devenus illisibles. La seule preuve de la bonne foi de Vidianand Kallootee est que quelques minutes plus tôt, il avait pris le soin de recopier les 18 chiffres du serial number se trouvant au bas du ticket.
« Depuis dimanche, je voulais faire une photocopie du ticket gagnant. Mais dans le village, il n’y avait pas de photocopieuse. Finalement, lundi matin, j’avais recopié le numéro de série comme preuve, si jamais le ticket s’égarait ou m’était subtilisé », dit-il pour expliquer ce geste, qui constitue la preuve formelle de sa bonne foi.
D’ailleurs, l’honneur était sauf car le serial number recopié et présenté ce lundi matin à la direction du Loto était confirmé lors d’un exercice de contrôle effectué à partir du système informatique. Toutefois, celui-ci s’avérait nullement suffisant pour faire activer le tiroir-caisse de La Loterie Nationale afin d’émettre le chèque de Rs 35,8 millions au nom de Vidianand Kallootee.
« Les règlements du Loto sont clairs et net. Le paiement n’est validé que sur présentation d’un ticket qui ne soit nullement oblitéré de quelque façon que ce soit. Dans le cas présent, les données sur le ticket qui a été présenté ne sont nullement lisibles. Les équipements informatiques au Loto n’ont pas été en mesure de déchiffrer le serial number du ticket, véritable sésame pour la cagnotte. Il y a encore d’autres security features, comme la date et l’heure de l’enregistrement de la mise par le détaillant, le numéro attribué officiellement au détaillant, ou encore une référence numérotée spécifique à chaque ticket. Ces informations n’ont également pas pu être vérifiées sur le ticket », explique Moorghen Veeramootoo, directeur général adjoint de La Loterie Nationale, qui fait preuve de sympathie envers le principal concerné.
De nouvelles analyses au Forensic Science Laboratory, suite à une déposition du détenteur du ticket au Central CID, n’ont pas donné de résultats concluants en faveur du veinard. Les conclusions de cette enquête hors du commun seront soumises au Directeur des Poursuites publiques (DPP) pour des décisions relatives à une étape ultérieure.
À ce stade, les avis sont partagés quant aux chances que Vidianand Kallootee se voit allouer ce chèque de Rs 35,8 millions, même si jusqu’à la fin de la semaine dernière, aucun autre parieur ne s’est présenté au QG de La Loterie Nationale prétendant détenir la bonne combinaison pour le jackpot. Une autre preuve de la bonne foi de l’habitant de Plaine-des-Roches.
Le compte à rebours de six mois a déjà été enclenché pour la réclamation du jackpot, car passé ce délai, La Loterie Nationale se verra dans l’obligation de verser invariablement cette somme au Fonds de Solidarité Nationale géré par le ministère de la Sécurité sociale.
D’ici là, Vidianand Kallootee dispose d’une ultime option d’authentification. Le directeur général adjoint du Loto a évoqué la possibilité d’envoyer le ticket au QG de G-Tech aux États-Unis pour subir des contrôles à l’aide d’outils informatiques plus perfectionnés. Avec un risque de voir le ticket s’égarer en cours de route. Prendra-t-il ce pari ? Il faudra attendre.
Tout l’espoir de Vidianand Kallootee, dont l’expérience peut faire partie de la grande parade de l’émission Incroyable mais vrai, ne tient qu’à un fil quasi invisible…
LOTO: Le calvaire d’un veinard
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