Littératures, politiques et identités : Quel pays me demandez-vous ?*

Danielle Tranquille

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Revenant en vacances en juillet dernier après près de quinze ans d’absence, je me suis demandé quel pays je voulais retrouver. Serait-ce le pays des brochures touristiques que l’on m’avait tendues à l’aéroport ou celui de mes souvenirs un peu ternis mais résistant au temps qui avait passé ? Ne serait-ce pas plutôt ce pays aux mille arcs-en-ciel portant des noms que j’avais trimballés dans mes valises au-delà des océans.  Les noms de ceux qui ont une place dans ma vie, celle du cœur. Ce pays portait des noms, celui de ma tante Solange auprès de qui je voulais juste m’asseoir pour lui parler de ma mère, de ma tante Marie qui se levait chaque matin pour me préparer mon petit déjeuner pendant mon séjour chez elle à Xanadu ‘au bout du monde’, Marilyn, Maisie, Mike, Cyril, Marie-Anne, Vivian, Béa, François, Sheela, Gilberte, Pravina que je revoyais après 40 ans, Sharmila, complice de nos escapades hors des murs du QEC, Do pour les moments de partage, Marylyn pour continuer une conversation vieille de 40 ans et Eric pour reprendre le chemin de sable à Péreybère à l’ombre des cocotiers de Casa Florida. Mais ce pays n’est pas seulement celui baigné par la lumière des souvenirs des moments partagés ou manqués c’est aussi cet autre, celui de l’identité nomade, comme dirait Le Clézio, métis, comme le chante Maunick.

Dans mes bagages, 3 textes pour dire mon ile prise dans la frénésie des élections. Je ne le savais pas encore quand j’ai pris l’avion. Je ne l’ai appris qu’au hasard de propos tenus au cours d’un dîner et soudain ces 3 bouquins, cadeaux de Pravina et Do, me faisaient replonger dans ces âpres discussions d’antan où se mêlaient littérature et politique, où entre amis et collègues, on disséquait la littérature francophone à l’université de Maurice tout en revendiquant notre idendité mauricienne, où l’on faisait dialoguer Sedley Assonne et d’Abhimanyu Unnuth lors de rencontres littéraires au MGI, où encore quand on travaillait à faire naitre la Revue créole du centre Mandela. Littérature et politique, jamais trop loin l’une de l’autre, jamais séparées dans notre pensée collective mauricienne. Nous en sommes férus, habités des deux, toujours prêts à en découdre. 

On n’a qu’à se souvenir des écrivains de l’indépendance, qui, à l’instar de Cabon, nous appelaient à partager notre namasté comme signe d’accueil de l’autre, et aussi de tous ces autres de tous temps confondus qui espéraient le temps où Maurice se libérerait du joug pesant du colonialisme. De Souza qui disait cette part de nous aux prises avec notre passé teinté de ce sang anglais, difficile héritage colonial, Humbert qui nous conviait à l’autre bout de nous, de nous-mêmes pour mieux appréhender qui nous sommes, Ollier, qui, en son temps déjà, se proclamait créole avant la lettre, Prosper qui de sa plume teintée de romantisme nous donnait les mots de notre hymne national pour qu’ensemble en tant que peuple nous puissions nous tenir debout devant l’histoire, Virahsawmy dont le théâtre porteur des revendications d’un peuple nouvellement indépendant était tout simplement le théâtre de la vie, le nôtre. Les noms s’enchainent pour nous dire que la littérature a toujours écrit notre actualité à sa manière et dans toutes les langues de notre ile, du bhojpuri au français, en passant par l’anglais, l’hindi, le chinois, l’urdu, le télégou, le tamoul, le créole pour dire toutes ces parts de nos mille arcs-en-ciel.

Si Priti et Stellio dans le roman de Brigitte Masson, La réconciliation, s’aiment, quoique, entourés des bruits d’une ile parfois ou trop souvent prise dans les affres de la corruption et de l’intolérance, on ne saurait cependant passer sous silence ces autres arcs-en-ciel qui nous rappellent que nous sommes venus de la mer pour appartenir à ce bout de terre. Hybrides, nous le sommes à l’ombre du banyan :

Comme dans tous les contes traditionnels vous pouvez décider d’y croire ou de ne pas y croire mais la prochaine fois que vous vous reposerez à l’ombre d’un grand banyan, écoutez bien vous y entendrez le souffle de nos lointaines mémoires, les racines de notre peuple déraciné-enraciné, enfin réconcilié (p229)

Et vous comprendrez alors que nous appartenons à un monde dont les frontières deviennent plus virtuelles que réelles, dans cet espace de l’entre-deux. Cela fait très longtemps que nous appartenons à cette réalité planétaire parce que nous avons choisi de pousser les limites de notre île pour épouser des espaces plus grands que nous du fait de notre passé diffracté mais riche de ses différences. Portés, nous l’avons été et le sommes encore par des récits d’aventure nous ayant inscrits dans les limbes littéraires. Qui n’a pas lu ou entendu parler de Paul et Virginie, qui n’aura pas, à la suite de Mark Twain, argumenté, défiant toute logique hormis celle des mots, que le paradis fut calqué sur notre île. Et quand ici, à Melbourne, je raconte que l’Australie du sud, tout au moins, aurait pu être française si Baudin n’était pas mort à Maurice, si Flinders n’avait pas pu faire partir avec la complicité d’amis ou d’aimée, la carte de cette Terra Australis vers l’Angleterre et comment Maurice, sous administration anglaise, gérait les affaires de la nouvelle province anglaise dans les terres australes, l’Australie. Notre île ne s’est jamais contentée d’exister, elle a toujours osé dans tous les domaines touristique, économique, technologique.


Dans l’avion vers Melbourne, j’ai lu chez Le Clézio dans Identité nomade, les mots de Shakespeare dans sa pièce hautement politique, Hamlet, sur l’importance d’être soi:

 

To thine own self be true

And it must follow as the night

the day

Thou canst not then be false to any

          man (p132)

Mais aussi ceux de Maunick dans sa Manière de dire non à la mort :

Je ne pèserai plus jamais du poids d’avoir mal 

adieu les histoires de paria natal 

 l’homme blanc qui prit ma 

                                       grand-mère 

dans son lit refusa de donner 

                                             son nom 

à ma mère qui put ainsi épouser

                                           mon père 

lui-même petit-fils de coolies

                                venant des Indes

… 

je suis au monde pour ne plus jamais peser 

du poids d’avoir mal d’être de sang mêlé

métis veut dire lumière métèque veut dire bonzour 

dans la lumière donc je vous salue (p54)

et plus récemment, le roman de Brigitte Masson, la Réconciliation :

On commémore des événements – l’abolition de l’esclavage ou l’arrivée des immigrants indiens – mais jamais on ne rend hommage aux individus eux-mêmes. Comme si derrière, il n’y avait pas de vraies gens, des hommes et des femmes avec une âme et un corps qui ont vécu leur vie. Dans la souffrance oui, c’est vrai, mais dans l’amour des siens et dans l’espérance aussi, comme tout être humain sur cette terre.  LES esclaves, LES engagés voilà comment on parle d’eux. C’est parce qu’on les a dépouillés de leur individualité qu’aucun n’a pu trouver sa place véritable dans l’histoire. Et c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé leur place que nous-mêmes, des siècles après, on en est toujours à chercher la nôtre. (p146)

Que disent ces textes épars sinon que le poids de l’ile se vit dans notre quotidien, que toute communauté se conjugue quand l’individu prend sa place dans l’histoire de son quotidien et de celle de sa société. Quand l’être se permet de n’être plus qu’étant pour se construire au fur et à mesure de son vécu, se débarrassant de toute appartenance pour mieux réciter les noms de ceux partis avant nous. Car si nous sommes un flux nous le sommes aussi par les choix que nous faisons d’exister, d’aimer, de rire, de partager, de pleurer ensemble à la mesure de notre ressenti, à l’encontre de ce qui pourrait nous séparer. Quand au-delà du faire semblant, nous regardons au plus profond de nous pour entrevoir cette part essentielle qui nous pousse alors à ne plus nous contenter du paraitre : 

Puis, à la suite, chacun tenant la main de son voisin, les noms sont déclinés : Espérance, Seeparsad, Françoise Nooreya, Gautam, Diamamouve, Bellaca… Les 380 noms sont cités, et même beaucoup plus, puisque la foule s’étend maintenant jusqu’à l’autre extrémité du quai (p200).

Nous sommes multiples mais nous sommes un, comme on se plait à chanter en Australie. Nous sommes un, mais nous sommes uniques ; nous sommes uniques parce que nous sommes divers ; nous sommes divers parce que nous sommes d’ailleurs ; nous sommes d’ailleurs mais nous sommes d’ici maintenant. Des mots, mais pas seulement. De la littérature, mais pas que, car tout cela nous amène à espérer une communauté, une ‘polis’ pour reprendre ce     mot grec. Polis, pour mieux tendre vers le politique au-delà des différences d’opinions qui divisent et séparent. Le politique qui nous rappelle que demain s’écrit aujourd’hui porté par le souffle du passé, entretenu par les noms de ceux dont le vécu aura forgé le nôtre. Faudrait-il alors que la littérature prenne le pas sur la politique pour que s’érige enfin un mémorial du peuplement, comme le réclame Priti, qui ferait pâlir tout musée figé dans le symbolisme, un mémorial qui se dresserait dans le ciel de Port Louis devant la mer (p203), là, où notre identité nomade, mais mauricienne, est née.

 

Bibliographie :

Le Clézio, Jean-Marie (2024) Identité nomade. Ed Robert Laffont, Paris

Maunick, Edouard (2019) Manière de dire non à la mort.IMMEDIA, ile Maurice

Masson, Brigitte (2024) La Réconciliation. Maison des Mécènes, ile Maurice

* En quatrième de couverture de La Réconciliation de Brigitte Masson

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