Emtel a obtenu gain de cause devant les Law Lords dans le litige qui l’opposait à Cellplus, à Mauritius Telecom, à l’ICTA et au ministère des TIC, un litige qui durait depuis plus de 25 ans. Les autorités régulatrices, plus particulièrement l’ICTA, en ont pris pour leur grade dans le jugement pour n’avoir pas assumé correctement leur rôle de régulateur du secteur de la téléphonie, et pour les multiples délais accumulés devant les tribunaux.
En 1989, la Telecommunications Authority (le précurseur de l’ICTA) avait accordé une licence à Emtel pour fournir un service de téléphonie mobile exclusif à Maurice, alors que Mauritius Telecom (MT) était chargée de l’exploitation du réseau de téléphonie fixe. Or, pour ce faire, Emtel devait être connecté au réseau de lignes fixes de Mauritius Telecom.
En mars 1996, MT avait incorporé Cellplus pour exploiter un service de téléphonie mobile concurrent à Emtel. Or, c’est le 5 septembre 1996 que la Telecommunications Authority avait accordé à Cellplus sa licence. Cette licence était rétroactive, mentionnant qu’elle entrait en vigueur le 1er janvier 1996.Mais selon Emtel, Cellplus avait déjà commencé à exploiter commercialement son service de téléphonie fixe, soit de mars jusqu’à septembre 1996, avant même que lui soit octroyée une licence. En effet, dès mars 1996, Cellplus offrait ses services gratuitement mais avait maintenu qu’il n’y avait là qu’un Prelaunch Testing de son service.
Toujours selon Emtel, Cellplus aurait violé d’autres conditions de sa licence. Emtel avait maintenu que MT subventionnait Cellplus afin que celle-ci puisse réduire ses tarifs. Emtel avait aussi dû réduire ses tarifs, ce qui a entraîné d’énormes pertes de l’ordre de plus de Rs 1 milliard.
En juin 2000, Emtel avait réclamé des dommages et intérêts contre MT, Cellplus, l’ICTA (qui avait succédé à la Telecommunications Authority), et le ministère des Télécommunications, pour des actes de concurrence déloyale contraires à l’article 1382 du Code civil.
La juge Chui Yew Cheong, siégeant en Cour suprême, avait retenu dans un jugement rendu en 2017 que Cellplus avait bien débuté ses opérations commerciales avant d’avoir obtenu sa licence, vu la part du marché qu’elle s’était taillé fin septembre 1996, soit environ 30%. La juge avait estimé que MT et Cellplus avaient enfreint intentionnellement l’article 1382 du Code Civil, et que l’ICTA était également responsable, vu qu’elle avait toléré ces violations. Elle avait toutefois rejeté la plainte d’Emtel contre le ministère des Télécommunications, vu que celui-ci n’avait pas émis une quelconque directive cautionnant les agissements de MT ou de Cellplus.
La juge avait aussi retenu que MT et Cellplus avaient violé d’autres conditions de leur licence. La Telecommunications Authority avait fait état dans un communiqué de presse ou dans des correspondances officielles que Cellplus avait obtenu une licence pour opérer un réseau mobile, sous deux conditions. D’abord, MT allait continuer à offrir une connexion à son réseau fixe à Emtel, pour que cette dernière puisse opérer son réseau de téléphonie mobile. Deuxièmement, MT ne pourrait financer Cellplus à partir des bénéfices générés par son monopole sur les lignes fixes (une pratique connue comme Cross-Subsidisation). Pour la juge, interprétant le mot Licence au sens large, ces conditions ne se trouvaient pas dans la licence octroyée à Emtel, mais devraient néanmoins être considérées comme tels. Elle avait conclu qu’il y avait bien eu Cross-Subsidisation de Cellplus par MT. La juge avait ainsi donné gain de cause à Emtel, lui octroyant des dommages de plus de Rs 554 millions.
Toutefois, les juges Caunhye et Ohsan-Bellepeau avaient rejeté ce jugement en appel. Se basant sur les pouvoirs statutaires de la Telecommunications Authority, ils avaient retenu que la rétroactivité de la licence de Cellplus était légalement valide. Elle était au nom de Cellplus, qui était une entité distincte de MT. MT ne pouvait donc être tenue responsable d’une quelconque violation des conditions de cette licence. Ces juges avaient rejeté le raisonnement adoté par la juge Cheong.
Emtel avait alors interjeté appel devant le Privy Council. Les Law Lords ont infirmé la décision de la Cour d’appel et retenu que les conclusions de la juge Cheong étaient « unassailable ». Au sujet de la rétroactivité de la licence octroyée à Cellplus, ils ont commenté : « -the Board has not been provided with any contemporaneous documents explaining why Cellplus asked for the licence to be backdated or what the Telecom Authority thought it was achieving by backdating the licence. »
Ils ont aussi retenu que la Telecommunications Authority n’avait pas rempli son rôle de régulateur en empêchant Cellplus de fournir un service gratuitement (au tarif zéro) avant même l’octroi de sa licence, ce qui constituait pour eux des pratiques relevant de la Predatory Pricing qui devait être approuvé par l’autorité régulatrice. « This necessarily means that a zero-tariff was as much a tariff that could be levied in relation to use of a mobile phone service […] as any other tariff », avance le Privy Council en ajoutant : « it required approval (to avoid the commission of a criminal offence) just like any other tariff. »
Les Law Lords ont aussi été d’accord avec l’approche de la juge Cheong quand elle avait retenu que les conditions de la licence de Cellplus pouvaient se trouvaient ailleurs que dans le document officiel. Selon eux, « on a proper interpretation of the Telecom Act 1988 there was nothing preventing the Telecom Authority from imposing a specific condition of the licence in a separate document. »
En ce qui concerne la responsabilité de l’ICTA et de ses prédécesseurs, qui avaient mis en avant le fait qu’elles n’étaient que des départements du gouvernement qui ne pouvaient être poursuivies en leurs noms propres (n’ayant pas de personnalité juridique, dans le jargon légal), les Law Lords ont dénoncé le fait que cette défense n’a été soulevée que 16 ans après les faits, devant la juge Cheong, et qu’il y avait donc Abuse of Process de la part de l’ICTA.
Le gouvernement et les autorités régulatrices en ont pris pour leur grade dans cette affaire. Car les Law Lords soulignent : « The Board notes that Mauritius Telecom Ltd’s and Cellplus’ conduct […] was neither complicated nor subtle. It was exactly the conduct which any telecoms regulator should have anticipated and prevented. […] The Board is concerned at the lengths to which the Ministry, the MTA and the ICTA have gone, the amount of court time that has been consumed and the legal costs that have had to be incurred by Emtel in order for these public bodies to avoid proper scrutiny of the lawfulness of their conduct. »
Ils ont ainsi donné gain de cause à Emtel en tous points. Toutefois, ils n’ont pas émis d’ordre de dédommagement ou de coûts. Mais à la demande des parties, et vu le fait que la Cour d’Appel à Maurice n’avait pas considéré plusieurs points en appel, ils ont renvoyé cette affaire devant cette instance, qui devra revoir son jugement à la lumière de celui rendu par les Law Lords dans cette affaire. Les autorités ont aussi été fermement invitées à revoir leur prise de position : « The Board, however, urges the respondents to consider the circumstances and events leading to and surrounding Emtel’s claim, and the proceedings that have followed, to reassess whether their continued resistance to Emtel’s claim is consistent with the ICTA’s statutory objectives and with the public interest. »