Contrairement à ce qui se passe lors du tournage d’un film, vous n’avez pas droit à des auditions, en particulier lorsque vous décidez de prendre le large et que vous avez en face de vous des ténors qui découpent mieux que Jack l’Eventreur lui-même, les entrailles d’une œuvre littéraire. Entre le rêve limité et illimité, c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés au sein d’une journée d’étude riche en expériences autour du thème passionnant qu’est « Le dialogue des îles ».
Cette journée d’étude, vendredi 23 février à Rose-Hill, qui a pris la forme d’une montée en puissance avec une grande diversité d’approches, résulte d’une collaboration entre l’université de Maurice, Sorbonne Université et l’Institut français de Maurice.
Les approches avaient une portée psychanalytique, symbolique, historique ou encore relevaient des perspectives focalisées sur les problèmes de société. Le dialogue des îles repose sur la question complexe des représentations littéraires des îles ; et les différentes communications ont montré la diversité des grandes îles et des petites îles, mais aussi des espaces insulaires dépendants et indépendants – ce qui fait que l’île peut constituer un tout, un microcosme à la fois culturel et politique. La construction de cette image de l’île peut aussi être contradictoire ; représentations d’isolement, de clôture mais aussi d’ouverture, de rayonnement, de communication avec bien des espaces extérieurs. Il s’agit d’un dialogue entre les îles, ou entre une île et l’espace continental.
Au cours de son intervention, Sonia Dosoruth, qui a choisi d’interroger Les naufragés de l’île Tromelin d’Irène Frain » analyse les affres qui mènent à l’abandon, l’expérience de la douleur sur une île ainsi que la résilience comme moyen pour surmonter les épreuves subies. Selon cette conférencière de l’université de Maurice, « La résilience se nourrit du traumatisme du naufrage mais ceux qui parviennent à se remettre de la situation sont ceux qui ont la capacité de vivre dans le déni ». Irène Frain s’inscrit dans Les naufragés de l’île Tromelin comme un moteur fondamental de l’affirmation identitaire et une stratégie de survie.
Bernard Franco, professeur à Sorbonne Université, a pour sa part choisi d’aborder les ouvrages Mardi et L’Île mystérieuse. Ces romans policiers oscillent entre roman du savoir, de quelque nature qu’il soit, et roman d’aventure, profondément inscrit dans un univers de fiction. Et ces textes de la connaissance associent l’île à la quête, toujours insatisfaite, d’un savoir absolu, recherche qui semble être le propre de l’homme.
Quant au professeur Romuald Fonkoua (Sorbonne Université), il nous a brossé un tableau autour d’un vrai dialogue entre petites et grandes îles grâce à la langue créole. Lorsqu’on évoque des îles cosmopolites, on parle aussi de peuples d’horizons différents et du dialogue que s’établit entre eux.
Markus Arnold de l’École Supérieure d’Art de La Réunion, remet pour sa part en question le dialogue interinsulaire dans les mises en scène romanesques et cinématographiques contemporaines de l’île Maurice. Sa communication a notamment abordé un certain nombre de romans et films de fiction (longs et courts métrages) mauriciens sur leur manière de négocier la géographie et l’imaginaire insulaires en rapport à d’autres territoires.
Suraya Bhewa, étudiante à l’université de Maurice et ancienne lauréate de HSC, tente quant à elle d’établir un rapprochement entre l’espace îlien et le psychisme humain. Dans cette optique, elle propose une étude psychanalytique de l’île sur trois axes : a) l’île : pulsion et répulsion ; b) l’île et la cure psychanalytique et c) l’île-femme : « tantôt fascinante, tantôt effrayante, l’île agit comme un aimant. Elle attire le voyageur exilé vers ses bords paradisiaques tout comme elle repousse l’insulaire avide de découvrir un monde nouveau hors de ses frontières ».
Les autres intervenants ont procédé à des analyses consacrées exclusivement à l’île Maurice, notamment son profil socioculturel de différentes sensibilités. Aussi, la cohabitation n’est pas sans soulever des conflits puisque la situation reste vulnérable. Pour Neelam Pirbhai-Jetha de l’université des Mascareignes, le dialogue des îles se rapporte aussi à ces rencontres interpersonnelles et interculturelles dans des textes non-fictionnels : « Il nous semble évident que des questions sur l’identité et l’altérité soient soulevées ; ainsi, notre objectif, dans cette étude, est d’analyser le regard des/sur les îliens/insulaires, qui semble avoir encouragé une société clanique ».
Lors de son exposé, le professeur Bruno Cunniah de l’université de Maurice n’a pas manqué d’animer le débat autour des « clichés » en ce qu’il s’agit de la femme mauricienne dans les œuvres romanesques d’Ananda Devi.
Pour notre part, le choix de la communication s’est porté sur le thème de l’alcool dans le roman de Bertrand de Robillard, L’Homme qui penche. Ainsi, l’alcool, en tant que facteur social, pourrait expliquer la transcendance des barrières communautaires et sociales. Lorsque le personnage principal consomme de l’alcool, il laisse parler l’inconscient et c’est dans cet état second qu’il va se mélanger aux autres, même si ce n’est que temporairement.
À travers les analyses de cette journée d’étude, nous voyons que la figure de l’île reste, pour la plupart, un lieu de mélange, de brassage culturel. Ce brassage peut prendre la forme d’un échange harmonieux mais aussi de tension, voire de conflits. Cet espace désigne aussi un rapport avec l’histoire. Comme le souligne en substance Bernard Franco, l’identité culturelle des îles qui résulte de ce dialogue avec le passé est le produit des strates que l’histoire a apporté au fil de son déroulement. Pour l’universitaire, se pose la question coloniale, qui est une autre forme de dialogue ; et en période post-coloniale, la colonisation demeure un héritage avec ce qu’il porte de souffrance. « L’île en littérature comme dans les récits de voyage non-fictionnels, non-littéraires porte la trace d’un dialogue entre le temps présent et le passé et elle est à cet égard, plus que les autres espaces, le lieu de l’origine. »
-DR ZIBYA ISSACK