Alors que s’amoncellent les menaces planétaires, certaines allant jusqu’à mettre en état de « danger imminent » l’humanité entière, le capitalisme n’aura jamais été aussi puissant. En attestent les résultats des dernières COP, à commencer par celle sur le changement climatique. Ou encore, chez nous, cet embryon de contestation populaire né dans les premières semaines d’accession au pouvoir de l’Alliance du Changement, pourtant largement victorieuse du dernier scrutin, celle-ci ayant en effet été accusée de « tarder » à offrir ce mirifique 14e mois – lequel aura été, avec les non moins fameux Missie Moustas Leaks, au cœur même des derniers jours de campagne. C’est que, semble-t-il, malgré les multiples crises passées, l’argent demeure « le nerf de la guerre », comme le dit si bien cet adage aux relents clairement libéraux.
Ainsi l’argent aura-t-il supplanté l’essentiel des valeurs humaines, tout du moins lorsque ces dernières se trouvent confrontées à des retombées pécuniaires. Nul n’ignore en effet qu’aujourd’hui tout est à vendre et tout à un prix, y compris la vie, notre indépendance d’esprit et notre dignité. Et c’est bien là le drame moderne, car en l’absence d’enjeux financiers aussi cruciaux, nul doute, par exemple, que les pays les plus développés se seraient depuis longtemps déjà largement engagés dans la décarbonisation de la société. Ce qui est bien sûr loin d’être le cas, avec les risques que l’on connaît pour l’humanité. Dit autrement, nous nous sommes engagés dans un dangereux jeu de « kass kass », qui plus est dont nous ne maîtrisons pas toutes les règles.
Mais alors, le capitalisme est-il notre ennemi ? En réalité, pas totalement. Tout d’abord parce qu’il faut reconnaître que ce système – et qui nourrit même les sociétés dites « communistes » – aura permis l’émergence d’avancées spectaculaires, et ce, en un laps de temps très court à l’échelle de l’humanité; notre relatif confort et l’augmentation de notre espérance de vie, par exemple, sont intimement liés à ces avancées. Ensuite, il est de la nature propre de tout être vivant (y compris les plantes) d’exploiter au mieux leur proche environnement, à la fois pour subsister mais, avant tout, pour perpétuer l’espèce. En soi, le capitalisme n’est donc que le substrat de l’humanité, lequel aura poussé invariablement à travers l’histoire l’humain à chercher à multiplier ses richesses et à la création de valeurs.
Mais alors, où est le problème ? Eh bien simplement dans le fait que, à la différence de la majorité des autres membres de l’ordre du vivant, l’homme, lui, aura conquis la planète entière. Laquelle sera devenue dans sa globalité son « proche environnement », et qu’il aura grandement dépouillé sans se soucier de son impact sur le moyen et le long termes. Preuve est faite que le cœur de ce nœud gordien ne peut être résumé intrinsèquement au capitalisme, mais plutôt à l’excès; quand bien même le premier nommé mènerait implicitement à dévier vers le second.
Le phénomène du « toujours plus » n’est toutefois pas nouveau. L’homme, à l’exception de quelques rares communautés indigènes, aura en effet toujours cherché à repousser les limites de son environnement pour en extraire l’essentiel, mais aussi et surtout le superflu (cela remonte même à l’époque des chasseurs-cueilleurs). Pour autant, cela n’aura posé aucun problème pendant plusieurs centaines de milliers d’années. Jusqu’à la Renaissance, lorsque le monde allait emboîter un tournant décisif qui allait engendrer, quelques siècles plus tard encore, notre entrée dans l’ère industrielle.
Si l’argent existe depuis plus de 2 500 ans – et le capitalisme, lui, depuis le 14e siècle –, c’est donc au cours des deux derniers siècles, et plus encore dans les années 1950, que notre système économique aura été le plus florissant. Sauf qu’au lieu de cela, nous aurons construit une « société autophage », pour reprendre le titre de l’ouvrage du théoricien allemand de la « nouvelle critique de la valeur », Anselm Jappe. Car les lois dictées par notre système économique, et fabriquées par l’homme, se heurtent à celles érigées par la nature. Autrement dit à des lois universelles qui, plus encore que la Constitution, sont, elles, totalement indéboulonnables.
Michel Jourdan