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L’HISTOIRE SELON POUTINE : « Russes et Ukrainiens, un seul peuple »,  « Dénazification », « Génocide », « Démilitarisation » ?

Poutine a donné comme justificatif de l’invasion de l’Ukraine, la « dénazification » du pays et un prétendu génocide perpétré par le régime ukrainien. L’Ukraine, pays nazi ? Son gouvernement et son président seraient-ils des néonazis comme le prétend Poutine ? Le président russe considère que l’Ukraine n’est pas un pays ni un État et donc doit être ramenée dans le giron de la Russie. Il a aussi affirmé que les Russes et les Ukrainiens sont un seul peuple – ce qui n’est pas culturellement et historiquement exact.

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Un seul peuple, une seule histoire ?

L’histoire de l’Ukraine débute quand, après le baptême du grand-prince de Kiev Vladimir, en 988, une fédération prospère de principautés marchandes s’épanouit autour de Kiev. Le premier royaume d’Ukraine a été créé au 11e siècle. Mais l’Ukraine sera occupée et colonisée par des envahisseurs et colonisateurs successifs. Au milieu du 14e siècle, le royaume de Pologne s’empare du royaume de Galicie-Volhynie (tel que l’Ukraine est appelée alors). La noblesse devient polonaise, et les Ukrainiens, paysans. Dès lors, l’histoire des paysans ukrainiens est une de révolte contre les occupants, y compris la Russie impériale. Leur révolte ne sera vaincue que vers la fin du 18e par la tsarine Catherine II. À de courtes périodes d’indépendance succède l’intégration dans l’Union soviétique entre 1922 et 1991.

La période soviétique a été une de russification forcée de l’Ukraine, y compris du paysage linguistique. Entre 1930 et 1970 notent des linguistes ukrainiens, l’Ukraine a subi un « génocide linguistique ». D’abord, la famine de 1932–1933 résultant de la politique de Staline en Ukraine provoque la mort d’un quart de la population (5-8 millions de paysans ukrainiens) ; « ensuite les bolcheviks s’attaquent à l’intelligentsia – « moteur » de son essor » ; et finalement, à la langue elle-même par un contrôle sur sa structure : « certains mots ainsi que des constructions syntaxiques, des formes grammaticales, des règles d’orthographe et d’orthoépie sont interdits ». L’intelligentsia ukrainienne est accusée de fascisme et condamnée – étrange écho de l’accusation de néo-nazie par Poutine. Dans les années 1950, l’URSS interdit l’usage de la langue ukrainienne dans l’enseignement secondaire et supérieur.

Dans le Donbass, théâtre de conflits armés depuis 2014, l’industrialisation du 19e provoque l’arrivée de populations européennes et russe. Après le Holodomor (famine de 1932-33) et la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction de la zone dévastée engendre une nouvelle vague d’arrivée d’ouvriers russes, modifiant encore davantage l’équilibre démographique.

Nazification ?

La seule « preuve » mise en avant jusqu’ici à propos d’une « nazification » du pays est la présence d’un bataillon Azov dans l’armée ukrainienne.

Qui sont-ils ? Ce bataillon composé de volontaires assimilés à l’ultra droite porte sur son drapeau un sigle proche de celui du parti nazi allemand des années 1930. Ses membres sont connus pour leur idéologie xénophobe et néonazie, ainsi que pour leurs actions violentes contre des Roms, les LGBTQ+, les féministes, et généralement ceux qui les opposent. Ils partagent en cela l’idéologie et les actions de tous les néo-nazis et l’ultra droite dans le monde – y compris en Europe et en Russie.

Combien sont-ils ? D’environ 800 en 2014, ils seraient 2000 – 4000 aujourd’hui (sur un total de 200 000 soldats). L’armée ukrainienne étant relativement faiblement constituée en 2014, leur apport a été appréciable lors de la guerre contre les séparatistes du Donbass à partir de cette date, et ils ont été incorporés dans l’armée ukrainienne. Aux élections de 2019, la coalition de partis d’extrême droite n’a récolté qu’environ 2% des votes. Cependant, une inquiétude demeure sur la proximité de certains de ses membres influents avec un haut gradé de l’armée ukrainienne, par exemple ; et l’élargissement possible de leur sphère d’influence dans le pays.

Des images montrant des soldats du bataillon Azov enduisant de graisse de porc les balles qui seraient utilisées contre les soldats Tchéchènes ont fait le tour des réseaux sociaux (grâce aux fermes de bot russes qui amplifient la campagne officielle russe ?). Ce qui a bien moins circulé sont des informations sur l’armée tchéchène et la raison pour laquelle la Russie l’utilise dans sa campagne pour tenter de faire peur aux soldats côté Ukraine et la population en général. Des soldats tchéchènes sont connus pour des actes de cruauté et leur violence. Ils se sont illustrés lors de conflits armés en Tchétchénie même et en Crimée.

Présenter l’armée ukrainienne et le gouvernement ukrainien comme néonazis offre à Poutine une justification d’une « démilitarisation » de l’Ukraine. En d’autres mots, une prise de contrôle du pays en procédant à l’élimination de son gouvernement démocratiquement élu et de la direction de son armée.

Qu’en est-il en Russie ? Groupe Wagner, la Russia Imperial Unit, le bataillon Sparta

Il semble que très peu de personnes sont au courant de l’existence de groupes armés similaires en Russie. Par exemple le Group Wagner, mais surtout la Russia Imperial Unit (RIM). La RIM est un mouvement d’extrême droite de suprématistes blancs basé à St Pétersbourg et tolérée (sinon utilisée officieusement par l’armée russe selon certaines sources – ce qui permet aux gouvernements qui les utilisent de nier une implication). Ils se battent à côté des séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine. RIM veut rétablir l’empire russe, tout comme Poutine. La RIM entraîne des ultra-nationalistes blancs en Europe. Ces groupes auraient agi en faveur de l’État russe par procuration, selon des chercheurs qui établissent un parallèle avec le groupe américain Blackwater notoirement connu en Afghanistan.  Le bataillon neo-nazi Sparta, créé en 2014, a perdu, le 7 mars, son chef qui agissait aux côtés des séparatistes pro-russes dans le Donbass.

Génocide ?

Récemment une « journaliste »* française a fait parler d’elle quand son reportage sur le conflit entre le gouvernement ukrainien et les séparatistes pro-russes dans le Donbass a remis dans l’actualité un documentaire réalisé par elle dans la même région en 2016. Dans ce documentaire, critiqué pour sa version partiale et partielle de la situation, elle soutient le narratif de Poutine selon lequel les forces ukrainiennes tuent intentionnellement des civils russophones.
Or, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), le chiffre de 13 000 tués avancé dans son reportage et des médias occidentaux comprend des combattants et des civils (en minorité) des deux côtés. Pour cette raison et autres non-respect de critères qualifiants (politique favorisant la langue ukrainienne au détriment du russe par exemple), le terme de « génocide » serait donc employé à tort par Poutine dans un but politique précis, font remarquer des observateurs.

Ces deux aspects de la réécriture de l’histoire par Poutine font partie du grand dessein du dirigeant russe de redonner à la Russie actuelle la grandeur de la Russie tsariste ou de la défunte Union soviétique. D’abord, il tente d’exalter le patriotisme et le nationalisme de la population de son pays. Ensuite, il ne veut retenir que le passé glorieux de l’Union soviétique lors de la Seconde Guerre mondiale en empêchant toute référence à l’entente entre Hitler et Stalin avant 1942. Il a d’ailleurs passé une loi à la Douma deux jours avant l’invasion de l’Ukraine pour sanctionner toute référence à cette partie du passé en Russie : “any public attempt to equate the aims and actions of the Soviet Union and Nazi Germany during World War II, as well as to deny the decisive role of the Soviet people in the victory over fascism.

L’invasion de l’Ukraine pour cause de dénazification pouvait dès lors commencer, et Poutine se présenter comme celui qui redonnera à la Russie sa grandeur d’antan.

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Sources et pour en savoir plus :

https://www.vice.com/en/article/n7n9nd/russia-ukraine-invasion-vladimir-putin-nazis

https://www.politifact.com/factchecks/2022/feb/25/vladimir-putin/putin-repeats-long-running-claim-genocide-ukraine/

https://theconversation.com/putins-claims-that-ukraine-is-committing-genocide-are-baseless-but-not-unprecedented-177511

https://www.vice.com/en/article/n7n9nd/russia-ukraine-invasion-vladimir-putin-nazis

https://www.bbc.com/news/60292915

The Wagner Group: Russia’s Blackwater : https://www.youtube.com/watch?v=F5VvLF0WVeY

https://www.csis.org/blogs/post-soviet-post/band-brothers-wagner-group-and-russian-state

https://www.theguardian.com/media/2022/mar/04/bot-holiday-covid-misinformation-ukraine-social-media

https://geohistory.today/azov-movement-ukraine/

https://www.lesoleil.com/2022/03/05/qui-sont-ces-neonazis-dans-larmee-ukrainienne-bd2d1489a62bb6ce1cd210f0abe72bc5

https://www.vice.com/en/article/3ab7dw/azov-battalion-ukraine-far-right

https://www.aljazeera.com/news/2022/3/1/who-are-the-azov-regiment

https://www.20minutes.fr/monde/3244819-20220302-guerre-ukraine-kadyrovtsy-troupes-president-tchetchene

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-pourquoi-les-combattants-venus-de-tchetchenie-inquietent_4987455.html

https://www.hrw.org/tag/chechnya

https://africa.businessinsider.com/news/russia-could-exploit-its-ties-with-us-white-nationalist-groups-to-encourage-election/0vfhyjt

https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/mar/01/why-does-putin-have-superfans-among-the-us-right-wing

https://warsawinstitute.org/kremlin-uses-radical-russian-imperial-movement-destabilize-west/

https://icct.nl/publication/the-russian-imperial-movement-rim-and-its-links-to-the-transnational-white-supremacist-extremist-movement/

https://www.liberation.fr/checknews/qui-est-la-journaliste-francaise-anne-laure-bonnel-qui-serait-censuree-pour-son-travail-sur-le-donbass-selon-moscou-20220303_ALMIPYNLQVENFN5GXN2RMQOYYE/

The power of civilizational nationalism in Russian foreign policy making https://eprints.whiterose.ac.uk/130053/3/Nuray%20Aridici%20-%20Article%20-%20International%20Politics.pdf

Systematic racist violence in Russia between ‘hate crime’ and ‘ethnic conflict’ https://www.tandis.odihr.pl/bitstream/20.500.12389/22107/1/08345.pdf

L’Ukraine affamée par Staline https://www.monde-diplomatique.fr/mav/76/RUCKER/56237

 

 

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