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L’heure des adieux

Le moment ne serait-il pas venu de nous préparer au pire ? De songer à faire un tour dans l’une de nos entreprises funéraires, et pourquoi pas déjà d’y réserver un cercueil ? Voire même un sarcophage aux dorures les plus étincelantes, à la hauteur même de la valeur que l’on aura donné à ce qu’il contiendra. Un peu comme jadis les pharaons de l’Égypte ancienne… Non pas cette fois pour y mettre un corps momifié, mais plutôt une idéologie, un concept. Bref, tout un système. Celui-là même qui nous aura précipités dans cette ère sombre où la seule certitude demeure… l’incertitude ! Car c’est un fait, la croissance – qui semble encore, aux yeux de beaucoup, être la seule capable de maintenir l’ordre mondial – se meurt ! Et avec elle, cette croyance en un monde matérialiste éternel.
À vrai dire, il est fort probable que nous attendrons le dernier moment pour préparer ces obsèques. C’est que les croyances sont coriaces, car comme toute croyance, celle en notre économie fait dans nos esprits ankylosés l’impasse sur toute forme de logique. C’est donc plus une question de foi que d’acceptation d’une réalité physique. Et pourtant… Oui, pourtant, la croissance, c’est une évidence, ne peut être éternelle. Que l’on le veuille ou non, nous ne pourrons garder indéfiniment vivant un système basé sur des ressources qui, par nature, ne peuvent se renouveler à des échelles géologiquement soutenables.
Qui plus est, ce système a montré ses limites, en plus de révéler ses effets pervers. Ses « limites », car si on aimait encore le croire d’une stabilité absolue il y a deux décennies à peine, il aura à plusieurs reprises depuis démontré son manque de résilience. Avec la crise financière de 2008, le Covid, ou encore la guerre en Ukraine, nous avons en effet appris que notre économie, tel un château de cartes, pouvait s’écrouler brutalement à tout moment, vacillant sur ses fondations sous l’impulsion d’un choc mondial systémique. Quant à ses « effets », nous connaissons déjà celui du changement climatique, auquel s’ajoute l’accélération des inégalités sociales, aujourd’hui comparables à celles qui prévalaient à la fin du XIXe siècle. Un comble alors que la croissance est justement vouée à améliorer le niveau de vie de la population.
Oui, la croissance se meurt. Parce que ce dogme est diamétralement opposé au développement durable et parce qu’il crée deux classes de plus en plus marquées d’humains : les nantis (ceux à la barre de notre économie et ceux qui gravitent autour) et les autres. Avec un fossé entre ces deux catégories qui se creuse davantage chaque jour qui passe. Or, la réalité, c’est que dès qu’un certain niveau de confort est assuré, la croissance ne stimule plus fondamentalement notre bien-être, excepté par de nouveaux besoins artificiels. Un fait dont nous prenons timidement conscience, mais pas assez que pour s’inscrire dans une démarche visant à inverser la vapeur. À l’inverse d’autres valeurs – comme la cohésion sociale – qui, elles, gagnent en importance.
La source de tous nos maux étant identifiée, peut-être serait-il temps de songer à mettre un terme définitif à cette quête permanente de la croissance matérielle, et de chercher à développer d’autres modèles sociaux. Il en va bien sur du sort de l’humanité, puisque le dérèglement climatique est engagé, mais également de toutes ces autres espèces dont la survie dépend de nos choix. Ce qui constitue d’ailleurs une aberration, sachant que l’être humain ne représente que 0,01% de la vie terrestre ! De plus, quand bien même nous ne devrions nous inquiéter ni de l’un, ni de l’autre, le bon sens voudrait que l’on rationalise le peu de ressources qu’il nous reste, à commencer par l’énergie fossile.
Le problème, c’est que qui dit rationalisation, dit aussi baisse des profits. Ce qui, dans un système capitaliste, est tout simplement inenvisageable, le profit étant en effet le moteur de la croissance. Notre manque de vision et notre envie de « toujours plus », doublé d’une certaine paresse, nous aurons poussé vers l’abîme sans que rien nous semble vouloir nous en écarter. Quoi qu’il en soit, un jour viendra où, bon gré, mal gré, nous serons contraints à faire nos derniers adieux. En espérant évidemment que l’on enterre la croissance avant que nous finissions tous à la fosse commune !

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