L’hégémonie de l’absurde

Ah, cette fameuse loi de la proximité… Grâce à elle, nous savons l’intérêt que l’on porte aux grandes problématiques du monde inversement proportionnel à la distance et au temps qui nous en sépare. En d’autres termes, plus un fléau (virus, guerre, calamité…) est éloigné de nous, et plus on s’en fout. À l’inverse, plus il se rapproche, et plus nous trouvons en nous la volonté nécessaire pour nous en défendre, quitte à déployer les (très) grands moyens. Ainsi va le monde, ainsi va l’humanité. Et ainsi aussi comprenons-nous plus facilement les raisons de nos inactions.

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Voulez-vous un exemple concret et bien contemporain ? Prenons le cas de la Covid. Lorsqu’elle est apparue, dans une obscure région de Chine (« obscure » pour l’Occident, principalement), la maladie n’avait pas trop fait sourciller, et avait même carrément été banalisée, quelquefois même ignorée. Jusqu’à ce que le virus traverse les frontières et que les malades commencent à tomber comme des mouches un peu partout. La suite, on la connaît : confinements, mesures restrictives, protection sanitaire extrême, recherche de vaccins… Pourtant, le virus n’aura fait « que » sept millions de morts à travers le monde. Une broutille à côté du milliard de personnes qu’une récente synthèse d’études très sérieuse nous promet de mourir d’ici la fin du siècle du fait du changement climatique. Pourquoi s’en émouvoir d’ailleurs ? Après tout, combien d’entre nous serons encore là à la fin du siècle ? Ni vous ni moi, probablement !

Tel un bloc de glace se détachant de la banquise, la problématique du réchauffement planétaire part à la dérive. Non pas par nonchalance ou ignorance, mais par volonté. Cette décision n’est bien entendu pas acceptée publiquement, mais comment pourrait-on croire qu’elle n’ait pas été implicitement prise lorsque l’on voit à quel point, depuis 28 ans déjà, les COP se seront relevées incapables de rassembler face à l’impéritie de notre système économique ? Notre aveu d’impuissance est acté, consommé et accepté. Bien sûr, nous aimerions nous tromper, mais il est fort à parier que la prochaine conférence internationale, qui s’ouvrira fin novembre à Dubaï, perpétuera la tradition : celle du renoncement à agir !

Rappelez-vous comment la COP21 avait enthousiasmé le monde, avec ce fameux Accord de Paris, paraphé par la totalité des pays membres de l’Onu, et à quel point aussi, des années plus tard, la déception aura été proportionnelle à l’euphorie de la sortie de COP. Certes, l’on pourra se rabattre sur le caractère non contraignant de la signature de l’accord, mais quid du bon sens et de notre instinct de survie ? Autant dire que les colloques et autres réunions peuvent se multiplier à l’infini, rien n’influera la sacro-sainte trajectoire de notre croissance, si ce n’est bien évidemment le mur qui la stoppera de toute manière bien un jour. Et qui signera en même temps, plus que probablement, la fin de tout espoir d’avenir pour la majeure partie des espèces peuplant notre planète.

Aussi, sachant la lenteur de la mise en application d’actions concertées en vue de régler la question climatique – et donc de la remise en question de notre mode sociétal ultraconsumériste –, certains commencent à réfléchir à des mesures d’adaptations. En d’autres mots, face à notre refus de prévenir un cancer, nous préférons déjà planifier nos séances de chimio. Mais de quelles mesures parle-t-on ? En quoi s’injecter un poison dans nos veines nous assure-t-il d’échapper à la « bête » ? Qui pourra s’adapter ? Et combien de temps pourra-t-il le faire ? Et surtout, en quoi s’adapter aux nouvelles réalités climatiques le jour où nous n’aurons plus d’autre choix sera-t-il moins douloureux qu’un changement de paradigme politique et économique, et sur lequel nous pourrions tout au moins réfléchir dès aujourd’hui ?

Répétons-le : sortir de la crise climatique est encore possible. Pour peu que nous concédions de réduire drastiquement notre empreinte carbone, et ce, immédiatement. « Possible », oui, mais nous ne le ferons pas, tant les enjeux sont devenus bien trop importants pour ceux qui, de leur tour d’ivoire, manœuvrent le monde. Il est en effet bien plus pratique de ressasser le message que l’humanité survivra, comme elle l’a toujours fait. Et que, dans le pire des cas, elle réussira à supporter l’insupportable. Ce qui dénote non seulement d’une incroyable irresponsabilité, mais prouve aussi, une fois encore, que nous vivons l’hégémonie de l’absurde.

 

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