LETTRE OUVERTE AU PREMIER MINISTRE ET AU MINISTRE DE LA JUSTICE

Veuillez sauver un jeune homme,

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Ernest Lapeyre, en pleine détresse !

GEORGES-ANDRÉ KOENIG

Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Ministre de la Justice,

Un drame est en cours dans notre pays, mais hélas, il se déroule dans l’ombre, voire dans une cellule de la prison de Beau-Bassin.

Un livre a été écrit à ce sujet par Monsieur Eddy Caramedon, mais malheureusement, il n’a pas eu l’écho qu’il méritait et la réaction de l’État à laquelle ceux qui y sont étroitement mêlés pouvaient s’attendre.

Aussi, il est grand temps que ce problème humain soit mis sous les feux de la rampe avant que l’issue ne soit fatale. D’où cette lettre ouverte que, par devoir, le simple citoyen que je suis vous adresse.

Il s’agit du cas de Ernest Lapeyre, fils du caporal Lindsay Lapeyre.

Ce policier émérite consacra une bonne partie de sa vie à combattre, dans l’ombre, la mafia mauricienne de la drogue. D’où le fait, sans doute, qu’il n’ait jamais été promu à un grade supérieur. Il est temps que l’État mauricien réagisse à ce manquement à son égard, et le décore pour service rendu à la patrie. Mais il faut, aujourd’hui, parer au plus pressé, voire porter secours à son fils.

Le caporal Lapeyre fut longtemps le bras droit du Commandant Raj Dayal dans ce combat titanesque. Au risque de sa vie, il entreprit de nombreuses opérations coup-de-poing, dans des quartiers aussi sensibles que celui de la Plaine-Verte de ce temps-là, découvrit de grosses quantités de drogue, et procéda à de nombreuses arrestations. Si bien que le Commandant Dayal ne tarissait pas d’éloges à son égard.

Mais le mauvais sort voulut que son propre fils, Ernest Lapeyre, se laissa tenter par ce paradis artificiel, dans lequel, pieds et mains liés, il s’engouffra.

Aussi un beau jour, alors que le Caporal Lapeyre se rendit dans sa résidence secondaire de Flic-en-Flac à l’insu de son fils, il trouva ce dernier dans un état second, ravagé par les stupéfiants. Ce spectacle le désarçonna. Lui qui s’était battu contre ce fléau, ne voilà-t-il pas que son propre fils en était, à son tour, la victime. Si bien qu’il le réprimanda sévèrement, et finit par le gifler. Hélas, son fils n’était pas mentalement assez sain pour comprendre la déception de son père. Il réagit alors impulsivement et, prenant un lourd marteau qui était à portée de main, lui asséna sauvagement un coup mortel sur la boîte crânienne.

En général, quelqu’un qui commet un acte pareil sous le coup de la colère, subit un choc lorsqu’il constate les dégâts dont il a été la cause, et revient brutalement sur Terre. Et c’est ce qui se passa chez Ernest Lapeyre quand il vit son père allongé sur le sol, le corps inerte. Il se précipita alors vers la voiture qui se trouvait dans le jardin, et se dirigea à tombeau ouvert vers la résidence principale de ses parents, afin de demander à sa famille de venir l’aider à secourir son père. Malheureusement, il ne trouva que visage de bois, et décida de se rendre dans un lieu inhabité et peu fréquenté. Sans doute savait-il que la police allait très vite se mettre à ses trousses. C’est, en effet, ce qui se passa, et les policiers le retrouvèrent dans la région de Grand-Bassin, où sa voiture avait percuté un arbre, attendant là comme un zombi qu’il était redevenu.

Cette tragédie se déroula il y a quelque six ans. Et depuis, il tourne en rond dans une cellule de prison, attendant qu’un procès ait lieu, et qu’une sentence soit prononcée. Mais tout le monde connaît la lenteur de la justice qui prévaut, malheureusement, dans toutes les démocraties du monde, et l’Ile Maurice n’échappe pas à ce laxisme.

Sa mère Madame Rosalaine Lapeyre, une femme remarquable par son courage et sa générosité, va rendre visite à son fils tous les quinze jours. Comme elle travaille dans la résidence où j’habite, je la croisais, et l’on se disait poliment bonjour, mais sans plus. Or, il y a quelques mois, je la rencontrais dans un des couloirs de l’établissement, et elle m’arrêta pour me faire part, gentiment, de la publication d’un livre sur son mari, le caporal Lindsay Lapeyre. Cela m’étonna, et je lui priais de me passer le livre pour en savoir davantage. Je le lus attentivement, et en fus bouleversé.

Je lui proposais donc que l’on se rencontre, afin d’en parler plus longuement, et c’est ce que l’on fit. Et c’est alors que j’appris que son fils, dès le début, avait supporté très mal l’incarcération. Il recevait sa mère comme un chien dans un jeu de quilles. Il était d’une telle agressivité, que ces visites-là lui procuraient de grandes souffrances. Mais le pire était encore à venir.

Depuis six mois, sa santé mentale dégénère considérablement. Il tente de tout casser dans sa cellule, et quand elle arrive, il la regarde avec des yeux hagards et le visage agressif de ces gens qui semblent être au bord de la folie. Et, enfermé de surcroît, il est capable de tout, même de mettre fin à sa vie par n’importe quel moyen, peu importe l’atroce souffrance qui en découlerait. Et c’est ce que craint Madame Rosalaine Lapeyre.

Aussi, suite à notre dernière rencontre, je pris la décision d’agir, car c’était mon devoir de chrétien de sauver ce jeune homme de la folie qui le guettait, et d’aider sa mère Rosalaine, pour qui j’ai respect et admiration, à ne pas tomber dans une grave dépression dont elle aurait beaucoup de mal à se relever.

Et c’est pourquoi Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Ministre de la Justice, je vous prie, du fond du cœur, d’intervenir auprès des instances concernées, afin de sauver ce jeune homme en pleine détresse, qui a déjà tout payé sur le plan de la souffrance extrême.

Je me propose aussi de rencontrer le Cardinal Maurice Piat, Monseigneur Jean Michaël Durhône, Évêque du diocèse de Port-Louis, et un ami de longue date, le Père Philippe Goupille, président du Conseil des Religions, afin de leur présenter ce grave problème humain, et qu’ils puissent ainsi, dans le cadre de leur mission, faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mener à bien ce sauvetage, en collaboration avec vous, Messieurs. Car les membres de la famille Lindsay Lapeyre, Rosalaine en particulier, sont de fervents chrétiens, qui méritent d’autant plus la solidarité de l’Église. Tous les gens qui le connaissaient se souviennent du dévouement du Caporal Lapeyre, chef de cette famille-là, auprès des plus démunis qui venaient solliciter son aide, pour ne citer qu’un exemple. Aussi, il est impérieux d’aider son fils, aujourd’hui démuni de tout, à sortir de l’abîme du désespoir.

Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Ministre de la justice, en mon souvenir fraternel.

……..

ACCROCHE

« Cette tragédie se déroula il y a quelque six ans. Et depuis, il tourne en rond dans une cellule de prison, attendant qu’un procès ait lieu, et qu’une sentence soit prononcée. Mais tout le monde connaît la lenteur de la justice qui prévaut, malheureusement, dans toutes les démocraties du monde, et l’Ile Maurice n’échappe pas à ce laxisme.

Sa mère Madame Rosalaine Lapeyre, une femme remarquable par son courage et sa générosité, va rendre visite à son fils tous les quinze jours. »

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