Hubert Joly
Président du Conseil international de la langue française à Paris
Novembre 2023
Les maximes sont, en effet, un condensé de l’observation des moralistes et on peut dire aujourd’hui qu’avec ce que nous vivons en termes d’horreur, cette profession n’est pas près d’être au chômage. Les premières que l’on trouve dans la littérature française sont dues à Blaise Pascal (1623-1662) sous le nom de Pensées. On en trouve aussi chez Vauvenargues (1715-1747), plus tard chez Chateaubriand, Proust et chez bien d’autres encore. Il n’est pas rare qu’on en rencontre au hasard, dissimulées dans des alexandrins chez Corneille dans Le Cid, par exemple : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ou chez Alfred de Vigny dans La Mort du loup : « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse ».
Mais le grand orfèvre en la matière est François de la Rochefoucauld (1613-1680) qui en a sans doute pris le gout dans les salons des Précieuses, notamment, Mme de la Fayette, auteur célèbre de La Princesse de Clèves. Le divertissement qui consiste à forger les Sentences et maximes morales, en particulier dans l’édition de 1678, la dernière qu’il ait corrigée de sa main, correspond bien au sens aigu de la langue des grands écrivains du XVIIe siècle. Mais La Rochefoucauld va plus loin. Ses Maximes couronnent en quelque sorte la carrière d’un homme qui avait tout raté dans sa vie. Il avait joué le mauvais cheval en politique et était devenu l’ennemi du cardinal Mazarin, Premier ministre, lequel avait fait raser son château. Il avait été fou amoureux de la duchesse de Longueville, sœur du Grand Condé qui l’avait entrainé dans La Fronde et qui l’avait plaqué pour finir. Il avait reçu une décharge de mousquet au combat de la Porte Saint-Antoine et avait cru en rester aveugle. Il avait perdu deux fils le même jour au passage du Rhin en 1672 et Louis XIV l’avait toujours tenu à l’écart du pouvoir. Amèrement déçu, il s’était réfugié dans une étude sans fard de la nature humaine et, c’est là enfin qu’il a trouvé une gloire posthume, renom que le reste de sa vie ne lui aurait jamais assuré…
« Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer. »
« On ne donne rien si libéralement que ses conseils. »
« Les vieillards aiment à donner de bons préceptes pour se consoler de ne plus être en état de donner de mauvais exemples. »
« Le plus dangereux ridicule des personnes qui ont été aimables est d’oublier qu’elles ne le sont plus. »
« L’absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint une bougie et allume le feu. »
A tort ou à raison, j’ai toujours pensé que les maximes sont le genre littéraire supérieur. Mais comment y arriver ? Je vais essayer de proposer une recette de vieux campeur qui ne vaut que ce qu’elle vaut :
1) Tout d’abord, il faut que la maxime vise un objet précis et ne se perde pas dans des considérations accessoires.
2) Il faut qu’elle soit aussi concise que possible (pas plus de deux alexandrins ?)
3) Il faut qu’elle ait un degré de généralité élevé et puisse s’appliquer à n’importe quelle humanité.
4) Quand elle est comparaison, il est bon qu’elle évoque une image forte : la mer par exemple, le vent, le feu, etc.
5) Il n’est pas mauvais qu’elle soit teintée d’ironie ou d’humour, noir de préférence, voire piquante ou méchante.
6) Enfin, il ne faut pas qu’elle puisse être contredite ou banalisée par une maxime de ses contraires qui annulerait en quelque sorte sa vérité profonde.
Il ne reste plus qu’à vous exercer, le crayon-bille à la main. Un petit exemple gratuit de mon cru ? « A vingt ans, on a faim, à quarante, on a soif. »
Je voulais ajouter : « A soixante, on digère. » parce que c’est méchant, mais j’y ai renoncé parce que cela fait perdre de la force et de la concision à l’affirmation.
Une bonne maxime, c’est aussi un sujet de dissertation qui se prête à de nombreuses interprétations. Alors, chers amis, jouez. Mais je vous préviens que vous courez le risque de montrer le fond de votre âme… ou de votre culotte…