Les larmes du Cardinal ou la fin du rêve mauricien

GILLIAN GENEVIÈVE

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« Sans l’autorité d’un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité d’un seul, c’est un crime » (Louise Michel)

Les larmes du Cardinal et les nôtres

On en est là : aux larmes, à la peur, à la souffrance et au désespoir.

Si l’Évèque de Port-Louis, le Cardinal Piat, a avoué ses larmes, son désarroi et sa douleur intime et personnelle, il se faisait aussi l’écho de tout un peuple et exprimait les craintes, la souffrance, l’incrédulité des Mauriciens face au délitement de nos mœurs politiques et économiques.

Il importe peu le déni de nos dirigeants, il importe peu leur refus de toute forme de lucidité face au déclin des valeurs démocratiques dans le pays, il importe peu leur mauvaise foi quant à leur refus d’admettre que nos institutions ne fonctionnent plus, gangrenées par l’interventionnisme politique et la démarche partisane et soumise des laquais du prince placés à la tête même de ces institutions, il importe peu que nos dirigeants se mentent à eux-mêmes et nous mentent du même coup quand ils proclament servir les intérêts supérieurs du pays, ils sont là afin de mieux servir les intérêts du pouvoir en place et leur aveuglement ou leur petitesse d’esprit, leurs discours et actions serviles ne masquent en rien que le pays va mal et que nous souffrons et que nous pleurons collectivement.

Pour citer Mgr Piat : « Je suis triste, je  pleure quand je regarde mon pays. Tout le monde désire et recherche la paix dans notre pays. Mais comment pourrons-nous avoir la paix dans une démocratie lorsqu’il y a un manque de respect pour la séparation des pouvoirs, quand certains se permettent de critiquer les décisions d’un magistrat, d’un DPP. Je pleure quand je vois que l’indépendance des institutions est menacée, que les fondations de notre démocratie sont ébranlées ».

Oui, nous pleurons l’intégrité et l’indépendance bafouées de nos institutions ; nous pleurons notre démocratie ébranlée, nous pleurons notre parole bâillonnée, nous pleurons la perte de la possibilité d’une expression libre, tenaillés que nous sommes par la peur des conséquences, nous pleurons un speaker qui nous fait honte, nous pleurons des dirigeants indignes de leurs fonctions, nous pleurons la corruption, la prolifération de la drogue, la dégradation de nos mœurs sociales, la mise en péril de notre résilience économique, le manque de vision du pouvoir en place, le leadership faible et médiocre de notre Premier ministre, le manque de dignité de ceux qui se soumettent à son diktat, le manque de courage de ces députés incapables de convictions.

De la dignité et de la fierté d’être  Mauricien

Mais nous pleurons aussi notre manque collectif de lucidité il y a maintenant quatre ans quand nous avons remis au pouvoir, par nos silences, nos votes ou nos hésitations une équipe d’incapables, sans projet de société, sans proposition économique innovante, sans autre programme géopolitique et diplomatique que celui de se soumettre au bon vouloir du grand frère indien et cela au détriment de notre dignité de Mauriciens, au détriment de notre souveraineté et de notre fierté.

Elle est loin cette époque où un Bissoondoyal giflait un ambassadeur indien pour lui rappeler qu’il n’avait pas préséance sur les affaires du pays.

Nous avons toujours été un petit pays par la surface de notre territoire terrestre mais non seulement, nous avons un territoire maritime gigantesque, mais aussi et surtout, nous avions une grande âme et nos dirigeants étaient porteurs d’un discours et d’une vision imprégnés de cette idée que nous avions un destin et que nous avions des raisons d’être fiers d’être Mauriciens.

Nous en sommes aujourd’hui très loin. Et il est faux de dire que nous n’avons d’autres choix que d’être les laquais de grandes puissances. Nous pensons petit car nos dirigeants pensent petit. Singapour est bien là pour démontrer qu’une vision, qu’un leadership fort, que la solidarité nationale, que la prise de conscience d’une destinée commune suffisent pour transformer le devenir d’un pays. Tout ce que nous manquons cruellement aujourd’hui.

Tous responsables

Nous en sommes donc là aussi par notre faute, collectivement responsable des conséquences funestes de ce que nous sommes devenus : des électeurs peu avisés, sectaires, décérébrés, incapables de lucidité politique, cupides, vendus aux plus offrants, prêts à nous  vendre et à vendre notre vote pour une pension de vieillesse revalorisée ou la gratuité des écoles maternelles et cela au mépris de la prise en compte des réalités économiques et des conséquences à long terme de notre niveau d’endettement qui devient intenable, au mépris de la prise en considération de la qualité du personnel politique qu’on nous offre au moment des élections.

Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ubuesque, absurde et dangereuse ? Nous avons tout simplement échoué à offrir une éducation digne de ce nom à des générations de Mauriciens qui n’ont appris, sur les bancs de nos écoles, que les conditions de l’enrichissement personnel et du devenir économique. Nous avons échoué à mettre en place les conditions et les cours nécessaires pour favoriser l’émergence d’un citoyen avisé, ayant le sens de l’histoire et de l’intérêt commun, la naissance d’un Mauricien fier de son identité, fier de sa pluralité culturelle, conscient que jouer collectif, c’est aussi permettre un progrès individuel, une réussite beaucoup plus riche et ce, dans tous les sens que possède ce mot.

Cela fait mal d’assister, désormais au quotidien, à l’exode des Mauriciens vers d’autres horizons ; cela fait mal de découvrir que nos jeunes ne savent plus chanter notre hymne national, ne savent même pas quand nous avons eu notre indépendance. Oui, nous avons échoué à construire une nation, une identité, une idée de ce qu’est un Mauricien. Et nous payons cher aujourd’hui un manque de culture politique  et ce vote délétère qui nous a engagés, depuis maintenant quelques années, sur une pente dangereuse.

Au nom du rêve mauricien,  le refus de la
servitude volontaire

Mais nous devons absolument nous ressaisir. La situation est grave mais il y a encore en chacun de nous une lueur, un embryon de ce que pourrait être ce Mauricien fier de l’être, fier de ce pays ayant eu une histoire fabuleuse. Il s’agira de se secouer, il s’agira d’avoir un minimum de dignité, il s’agira de prendre à la fois conscience de notre histoire et du potentiel que recèle ce pays et qui est promesse d’un devenir riche.

Non, nous ne sommes pas condamnés à la médiocrité, à un destin funeste. Mais nous devons physiquement et intellectuellement nous remuer et passer à l’action. Les enjeux sont désormais énormes. Pour citer une nouvelle fois Mgr Piat : « Nous aussi nous ne pouvons pas, du haut de notre balcon, regarder ce qui se passe, manz pistas get sinema, et nous contenter de partager des commentaires sur les réseaux sociaux. Nous ne pouvons pas rester spectateurs. Nous devons devenir des acteurs et apporter notre contribution pour la paix dans notre pays. Sans l’amour de notre pays, sans engagement de notre part, notre pays sombrera ».

Oui, nous en sommes là. Au bord du gouffre.

Au tribunal de l’histoire, nos dirigeants actuels sont déjà condamnés. Ils resteront comme ayant été, au cours de ces 9 dernières années, les fossoyeurs d’une certaine idée de la grandeur de notre pays. Nous avons été leurs complices. Mais nous avons encore la possibilité de la rédemption collective. Au nom de la survie du pays. Au nom de notre propre survie. Pour citer Shenaz Patel : « Plus que jamais nous sommes en quête d’une direction fondée, juste éclairée, éthique, saine ».

Mais, c’est à nous d’incarner tout cela. Dans nos propos, nos actions et nos décisions dans les mois à venir.

L’autorité d’un seul, c’est un crime, disait Louise Michel. C’est aussi cela que nous vivons aujourd’hui. C’est aussi cela une des raisons de notre présent tragique. Tout est entre les mains d’un homme dangereusement faible et s’entourant de plus faibles que lui pour mieux les soumettre et asseoir un pouvoir illégitime. Cela n’est plus tenable.

Nous devons agir et ne pas oublier la leçon d’Étienne de La Boétie dans le Discours de la servitude volontaire : « Et pourtant ce tyran, seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni même de s’en défendre il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à la servitude. Il ne s’agit pas de lui rien arracher, mais seulement de ne lui rien donner ».

L’enjeu : une reprise en main de notre destinée ou la fin du rêve mauricien.

Avril 2023

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