DR. GUILHEM FLORIGNY
Spécialiste en acquisition des langues,
Université de Maurice
Nous nous serions donc tous attendus à un vrai dialogue entre tous les partenaires mais cette opportunité a été vidée de sa substance par certains fonctionnaires du ministère de l’éducation, ce que nous exposerons ci-dessous point par point :
1. La manipulation du time-frame du dialogue démocratique
1.1La préparation. Les assises sont annoncées en décembre. Seuls 12 jours (du 29 mars au 10 avril) sont prévus pour envoyer par mail des propositions et des suggestions. Le deadline des soumissions se situe 5 jours avant le début des assises.
1.2La durée des assises. Il avait été annoncé une journée par secteur de l’éducation, à savoir 1. Le pré-primaire, 2. Le primaire, 3. Les « Special Education Needs », 4. Le secondaire et enfin 5. Le secteur technique et pré vocationnel. Au final, ceci sera réduit à 2 jours et demi.
1.3L’organisation temporelle des séances. Plus de la moitié du temps a été gaspillé pour des conférences plénières souvent avec des personnes qui n’étaient pas présentes physiquement. La plupart de ces présentations n’apportaient pas non plus d’informations réellement nouvelles. Tous les participants du mercredi ont également dû subir l’intervention de 45 minutes d’un syndicaliste dont le discours était totalement hors de propos.
1.4 La division des temps de réflexion. L’emploi du temps prévu pour les ateliers thématiques où devaient avoir lieu les discussions autour des propositions indiquait environ une heure et demie de discussion. Au final, toutes les séances ont été réduites à des durées se situant entre 20 et 45 minutes. Par ailleurs, les 7 thématiques choisies par le ministère par secteur d’éducation ne pouvaient réunir que 20 à 30 participants par classe, soit un grand maximum de 210 personnes. Comment alors discuter de sujets aussi importants que le curriculum ou l’inclusion dans un time span aussi restreint ?
En parallèle des ateliers thématiques se tenaient d’autres conférences plénières sur lesquelles aucune information n’avait été donnée préalablement, aussi bien sur les conférenciers que sur les titres de leurs présentations. Comment alors choisir s’il fallait participer aux ateliers ou assister aux conférences ?
Une des phrases les plus entendues des fonctionnaires du ministère lors des assises a été « Time is running short ». Non. Le temps ne manquait et ne manque toujours pas. Certains hauts fonctionnaires du ministère ont par contre choisi sciemment tous les paramètres pour ne pas donner le temps à la discussion.
2. L’absence de partenaires clés
2.1 Les parents : Aucune présence de parents et de PTAs durant les assises.
2.2 Les élèves : En ce qui concerne les élèves, seule une dizaine de collégiens ont participé à un atelier jeudi matin (séance sur le secondaire). Ces derniers semblaient venir de Star Schools. Aucune mention n’a été faite quant à une étude (pilote) auprès des élèves sur leurs désirs et besoins éducatifs, émotionnels et relevant des infrastructures.
2.3 Le MIE : comment se fait-il que l’institut de pédagogie et de formation des enseignants qui dépend du MoE n’ait pas été partie prenante des assises. Certaines personnes ont été conviées aux assises et mais d’autres ne savaient même pas quand et où elles se tiendraient. Sur quels critères ont donc été faits ces choix d’invitation ?
2.4 Le MES : malgré de nombreuses requêtes faites avant le début des assises, ce n’est que le 15 au soir que les chercheurs du MES recevront leurs invitations.
2.5 L’Université de Maurice : aucune invitation ni aucun mail n’a circulé pour informer les chercheurs-enseignants de l’UoM de la tenue des assises. Pourtant, y travaillent des spécialistes en acquisition des langues, alphabétisation, didactique et psychologie de l’éducation.
Lorsque la question sera posée lors d’une des rares séances de questions/réponses sur l’absence de certains partenaires (MES, MIE, UoM), un responsable du ministère répondra que les « academics » seraient conviés « à un autre moment ». Après les assises ? Malgré de beaux discours sur l’inclusion de tous les stakeholders, le message passé à l’ensemble des chercheurs et spécialistes est que l’expertise des chercheurs, pédagogues et évaluateurs n’était pas requise par le ministère de l’Éducation. On s’étonnera ensuite de la fuite des cerveaux dans ce domaine comme dans tant d’autres.
3. L’absence volontaire de vision et de transparence
3.1 Synthèse des propositions envoyées avant les assises : 500 personnes ont envoyé des mails avec des propositions sur la réforme. Les informations transmises sur ces contributions se résumaient à un tableau présentant des mots-clés. Aucune statistique ne fut également donnée sur ces derniers. Quels étaient les thèmes les plus abordés ? Quelles étaient les propositions faites ? Ces propositions se basaient-elles sur une analyse de corpus, sur l’expérience professionnelle ou sur l’opinion des contributeurs ? Comment savoir si les thématiques proposées par le ministère dans les ateliers reflétaient toutes les propositions faites ? Par exemple, la question centrale des langues n’apparaissait nulle part. Ni la revalorisation des TVET (Technical and Vocational Education and Training).
3.2 L’absence d’informations préalables sur le contenu des assises : Le programme donné aux participants était minimaliste : soit des présentations plénières, soit des ateliers, soit des synthèses. Rien de plus. Qui parlerait ? De quoi on parlerait ? Personne ne le savait. Pour toute conférence ou colloque, les participants reçoivent en avance le programme détaillé de l’organisation des journées.
3.3 Ateliers ou présentations ? Le ministère semblait avoir choisi certaines personnes pour participer aux ateliers (ces dernières avaient reçu des invitations en ce sens). Les autres devaient alors se cantonner par défaut (?) à écouter des présentations sur lesquelles aucune information n’avait été donnée en avance. Avait-on le droit de participer aux ateliers ? Était-il plus intéressant de rester dans l’auditorium pour écouter une présentation sur laquelle aucune information n’a été fournie préalablement ? Sans informations particulières, deux tiers des participants sont restés dans l’auditorium pour assister aux présentations mardi et mercredi et n’ont pas participé aux discussions prévues sur les différents thèmes.
3.4 Les ateliers : il est avant tout indéniable qu’il y a eu des discussions intéressantes malgré le temps dérisoire alloué à ces derniers. L’instruction avait été donnée que chacun des ateliers ne devait dégager que 5 propositions. Il est aussi apparu que certains modérateurs dirigeaient beaucoup les discussions de même que les propositions présentées dans l’auditorium durant les synthèses. De nombreux participants nous ont indiqué que certains modérateurs semblaient avoir déjà préparé leurs présentations PowerPoint en avance et que les discussions en ateliers et l’importance des différents thèmes abordés n’avaient pas été transcrites fidèlement dans ces présentations.
Ce qui ressort de ces assises est un sentiment de malaise, de frustration et de dépit.
– De malaise, en raison d’une impression générale que tout était joué d’avance, qu’il n’y avait pas de réelle réflexion sur l’éducation de la part du ministère et que ces assises serviraient de caution aux changements qui seront proposés dans le futur Blue Print du ministère de l’éducation et qui, semble-t-il, avaient déjà été préparés par les décideurs du ministère.
– De frustration, parce que les différents stakeholders et participants attendaient de ces assises un réel espace de discussion pour un changement profond de l’éducation mauricienne. Au contraire, ils ont été réduits au rôle de témoin d’un one man show de la part du ministère.
– De dépit, parce qu’une nouvelle fois et alors qu’on se serait attendu à un changement d’attitude et de paradigme de la part du ministère, c’est la jeunesse mauricienne qui souffrira encore des positionnements rétrogrades et non-éclairés de certains décideurs, qui auront refusé d’écouter ce que le peuple mauricien avait à dire.
En guise de conclusion, alors que le nouveau gouvernement tient un discours de construction et de transparence dans un moment qui est probablement le plus décisif de notre histoire en tant que nation indépendante, les assises de l’éducation ont été vidées de leur essence par certains hauts fonctionnaires du ministère de l’Éducation, aussi bien dans la communication préparatoire à ces assises, que dans la manière dont ces trois journées ont été organisées. L’occasion nous était donnée de provoquer un réel changement de direction de notre société, dont l’éducation est la colonne vertébrale, mais nous avons encore raté le coche en raison d’un hijacking de la part de certains fonctionnaires. Ces derniers ont manipulé de bout en bout ces assises en muselant la parole de ceux présents et en choisissant délibérément d’écarter ceux qui auraient fait des propositions émanant de recherches scientifiques sur l’éducation, fondées sur une méthodologie objective et qui auraient menacé leurs discours préétablis.
Ainsi, sous un simulacre prenant des allures démocratiques (et ressemblant fortement aux séances parlementaires de ces dernières années), ce qui sortira de ces assises sera en réalité dicté par certains hauts fonctionnaires du ministère dont les méthodes de travail opaques ne sont pas centrées sur le bien-être des enfants mauriciens, garants de l’avenir de notre nation et dont nous avons la charge collective, mais sur des considérations personnelles nourries d’hypocrisie, de malhonnêteté intellectuelle et de préjugés coloniaux.
Ces assises, dont le nom « Vers un modèle éducatif à visage humain » pouvait faire croire à une volonté de refonte ou de réforme de l’éducation, n’auront été qu’une parodie de consultation, dont tous les mots-clés (humain, inclusion, dialogue) auront été détournés de leur sens véritable aussi bien dans le fond de la réflexion que par la forme des assises. Certains fonctionnaires semblent avoir oublié que l’éducation est avant tout un parcours humain, un partage, un échange, un dialogue où le respect doit être aussi bien donné que reçu, pas imposé. Un parcours commun, où tous les acteurs ne peuvent être réduits à l’état de techniciens ou à leur fonction de parent, d’élève ou d’enseignant, mais doivent être considérés pour ce qu’ils sont : des êtres pensants, des êtres émotionnels et créatifs. Un parcours qui doit plus prendre en considération chaque individu pour amener à son inclusion et son épanouissement, garants de notre réussite collective en tant que nation.
Voilà ce qui a manqué durant ces assises, d’où des participants sont sortis frustrés du non-respect de leur intelligence, du non-respect de leur parole réduite au silence une fois de plus, du non-respect de l’intégrité du ministère et de ses devoirs envers la nation mauricienne et ses enfants, d’un manque de perspective de certains qui auront encore gaspillé des ressources précieuses : le temps et l’énergie des participants, l’argent pour organiser ces journées et faire venir des gens de l’étranger et, surtout, notre espoir d’un changement positif.