Dr. GUILHEM FLORIGNY
Spécialiste en acquisition des langues,
Université de Maurice
Le 11 novembre 2024 était élu à une majorité absolue un nouveau gouvernement s’étant présenté sous le nom de « l’Alliance du Changement ». Ce dernier, sous la direction principale du Parti Travailliste et du MMM, annonçait de grandes réformes politiques et législatives qui auraient un impact sur la société mauricienne sur le long terme. Un lourd héritage devait cependant les surprendre sous la forme d’un déficit économique dû à l’opacité du régime précédent. Malgré cela, le gouvernement choisit de lancer certains des projets annoncés dans leur manifeste électoral. Le Dr. Mahend Gungapersad, ministre de l’Éducation, annonça ainsi en décembre 2024 la tenue d’Assises de l’éducation en 2025, afin de faire un état des lieux de la situation éducative et d’adresser les défis du 21ème siècle.
Nous ne pouvons que saluer cette initiative du nouveau ministre, étant donné la situation désastreuse de l’éducation mauricienne et de toutes les réformes précédentes depuis 45 ans : taux d’échec élevé, niveau d’alphabétisation moyen, un pourcentage restreint d’étudiants terminant le cycle secondaire, problèmes de civisme et de comportement, présence de drogues au primaire et au secondaire, etc.
Il est certain que la population mauricienne dans son ensemble a accueilli avec joie cette décision, qui permettrait après très longtemps de pouvoir réunir sur une même plateforme tous les partenaires de l’éducation : personnel enseignant, parents, élèves, chercheurs, pédagogues, formateurs, évaluateurs, ONG, psychologues, etc. Dans l’état actuel de notre pays, et avec l’engouement provoqué par le changement de régime, il est certain que tous ces acteurs se sont dit qu’enfin s’établirait un dialogue constructif autour de la volonté commune de changer les choses au bénéfice des enfants mauriciens, afin d’en faire les citoyens de demain, aptes à développer toutes leurs compétences et participer à cette nouvelle phase de (re)construction de la nation.
Le constat accablant de ces 57 dernières années montre que l’école a plus été un vecteur de discrimination et d’exclusion qu’un outil de promotion des compétences et d’épanouissement des jeunes. Ceci se fonde sur deux présupposés hérités, le premier, de l’époque coloniale et, le second, de la période de balbutiement de notre nation-État : la maîtrise de l’anglais (et du français) pour le développement académique (Education Ordinance de 1957) et la compétition pour l’accès aux collèges, dans le contexte de l’introduction de la gratuité de l’éducation secondaire (1977-1978) et un nombre très restreint de collèges d’État à l’époque (Florigny 2010). En 2025, soit 45 ans plus tard, force est de constater que l’État mauricien, sous différentes administrations gouvernementales, a investi massivement dans la construction d’infrastructures éducatives mais que l’investissement dans la formation des enseignants, pédagogues, formateurs et personnels parascolaires n’a pas suivi à la même hauteur (Florigny 2010, 2018). Ceci a ainsi progressivement créé le concept des Star Schools (où se trouvaient les meilleurs enseignants) et des autres écoles, considérées par la population dans son ensemble comme moins efficientes et ne permettant pas la mobilité sociale.
Ces deux présupposés vont, à partir du début des années 1980, fausser l’éducation dans son ensemble et détourner l’éducation de sa vocation.
La vocation du pré primaire :
– Initier les enfants à l’alphabet et à la relation entre une lettre et un son, afin de débuter l’entrée dans l’écriture, essentiel dans le monde moderne (Rughoonundun-Chellapermal 2007, Auleear-Owodally 2010).
– Initier les enfants aux chiffres de 1 à 10 et au concept de nombre, essentiel dans tous les aspects de la vie.
– L’éveil au monde. Initier les enfants à certains concepts de base : le temps, l’espace, les émotions, etc.
La vocation du primaire :
– S’assurer que les enfants aient les compétences basiques de lecture et d’écriture, définies par l’UNESCO (1996) comme étant la capacité à comprendre un petit texte écrit et à pouvoir raconter une histoire en 100 mots.
– S’assurer que les enfants sachent compter et faire les opérations basiques (addition, soustraction, multiplication, division).
– Développer l’éveil au monde : la société, la nature et l’écologie, l’histoire, les sciences, les valeurs sociales communes.
La vocation du secondaire :
– Construire sur les bases du primaire les savoirs essentiels qui vont pouvoir orienter les élèves vers une carrière professionnelle et identifier leurs forces et faiblesses pour leur permettre de développer leur plein potentiel afin d’être des acteurs engagés dans la société.
La réalité du terrain montre au contraire des lacunes graves dès le pré primaire et jusqu’à la fin du secondaire, et qui se cachent derrière les chiffres des évaluations. Ainsi, même s’il y a un taux relativement similaire de « pass » au PSAC dans les matières obligatoires et dans la seule langue maternelle enseignée (qui se situe entre 75% et 82% en général), les enfants scorent entre 52 et 55 points sur 100 en moyenne en anglais et en français et moins de 25 points en maths (Florigny 2021). Ceci est un indicateur que la compétence en langues se situe sur des échelles internationales comme le Common European Framework of Reference for Languages à un niveau basique à intermédiaire (A1 à B1). Quant aux maths, la moyenne de 25 points indique que les enfants n’ont pas acquis les bases. Au contraire, l’examen de Kreol Morisien (KM) montre une moyenne de 67 points scorés par les enfants, ce qui les situe à un niveau intermédiaire. Cependant, l’illusion est maintenue depuis très longtemps d’une réussite globale de l’éducation avec une manipulation du « pass mark », qui varie d’une année à l’autre pour maintenir un taux de réussite élevé.
Pire encore, même si les différents examens évaluent différents composants des matières, ils ne permettent pas de rendre compte de réelles acquisitions des compétences de base. Nous prendrons pour exemple les langues, puisqu’elles sont centrales aussi bien pour la communication que pour l’accès aux autres connaissances. Ainsi, même si les questionnaires de langues (anglais, français mais également le KM) évaluent différentes choses (grammaire, vocabulaire, compréhension écrite, etc.), seuls 16 à 18 points sur 100 dans ces questionnaires permettent d’évaluer la capacité des enfants à écrire en phrases complètes (Q.5 dernier item, Q.8A, Q.9 dans PSAC 2024). L’aberration devient totale lorsqu’on observera lors de la correction le nombre d’enfants qui scorent plus de 70 points (et obtenant donc un A dans cette matière) et qui n’ont pas répondu à ces questions les obligeant à produire des phrases complètes. Ainsi, ces enfants arrivent au collège avec l’illusion d’avoir réussi mais sans que n’ait été réellement évaluée leur capacité à écrire. La barrière de la langue medium d’enseignement (l’anglais) vient également renforcer la faiblesse de connaissances et compétences dans toutes les autres matières. Le dernier recensement national (MCSO 2022) indique que 90% de la population mauricienne parle le Kreol (Morisien ou Rodrige). Or, si un enfant ne maîtrise pas l’anglais, il est certain que l’accès à toutes les autres matières sera biaisé puisqu’il ne comprendra pas les concepts auxquels il est exposé, ni les instructions données pour les examens (Natchoo 2020).
C’est dans ce contexte d’exclusion prolongée qui perdure depuis 1980 et l’avènement du CPE comme examen d’entrée au secondaire que tous les partenaires de l’éducation attendaient avec impatience et engouement la tenue de ces assises de l’éducation qui auraient dû leur permettre d’enfin faire entendre leur voix et leurs difficultés, et permettre une vraie réforme de l’éducation au bénéfice des enfants, mais également des parents, des enseignants et de la société dans son ensemble puisque nous pouvons constater depuis longtemps un manque de main-d’œuvre qualifiée dans tous les domaines : les domaines administratifs, académiques, les services et les métiers manuels. Ceci est le résultat de 45 ans d’exclusion de la majorité des jeunes de notre système éducatif : des 12,000-15,000 enfants arrivant dans les écoles primaires, seuls 3,000 environ arrivent en HSC et moins encore dans l’enseignement supérieur.
À suivre