ALEXANDRE BARBÈS-POUGNET
C’est l’histoire d’une bande de randonneurs, d’un groupe d’amis, qui constate la présence de signes sur des rochers. Frappés d’un éclair de génie, les profanes font immédiatement le lien entre ces signes et la présence de pirates sur le site… plus que la présence de pirates, celle d’un trésor, celui d’Olivier Le Vasseur, dit La Buse. Sans approche scientifique et sans grandes connaissances apparentes sur le sujet, leurs lectures (lesquelles ?) les poussent à s’embarquer dans une aventure, celle de retrouver un légendaire trésor enfoui, et à y investir une certaine somme d’argent à cet effet. Alertées, les autorités mauriciennes assistent nos aventuriers, appuyés par un archéologue, celui-là même qui avait été sollicité pour le « trésor perdu » (ou dérobé ?) de Rodrigues.
Chasse au trésor ou campagne archéologique sérieuse ?
Les faits, tels que relatés par les médias locaux et français (1), ressemblent davantage au partage des résultats d’une chasse au trésor plutôt que ceux d’une réelle campagne archéologique. Or, et comme le rappelle à bon droit Jean Soulat, archéologue français et co-fondateur du programme « Archéologie de la Piraterie » en France, « cette discipline souffre (…) de la concurrence des chasseurs de trésors et autres pilleurs d’épaves, qui ont parfois saccagé les sites et remonté des objets pour les revendre, au point de compliquer sérieusement le travail des archéologues » (2). La chasse aux trésors est donc à distinguer de la fouille archéologique qui se définit comme l’« opération qui consiste à tester le sol susceptible de livrer des vestiges des sociétés passées » (3). Partant de cette définition, un éclairage me semble dès lors nécessaire afin que le lecteur puisse disposer d’outils utiles à la compréhension de la démonstration qui suivra.
Toute campagne archéologique sérieuse commence d’abord par la prospection archéologique, qui sert à vérifier au sol les traces et vestiges archéologiques sans creuser, puis par le sondage archéologique, qui consiste à procéder à une ouverture dans le sol d’une petite fenêtre (entre 1 et 3 mètres de côté), destinée à vérifier la présence ou non de vestiges archéologiques. Bien naturellement, certains outils et méthodes tel que le LIDAR (ou GPR en anglais), ou encore la photogrammétrie, et très accessoirement les détecteurs de métaux, sont utilisés par les archéologues afin d’affiner leur travail de terrain. Nous nous trouvons toutefois très loin de l’opération qui consiste à « bulldoser » aléatoirement tout un site ou à le passer au crible à l’aide de détecteurs de métaux, à la recherche d’un objet précis, dans notre cas d’un trésor.
L’archéologue est ainsi et avant tout un scientifique qui cherche à comprendre les sociétés passées par les traces et éléments laissés sur un site, soit à sa surface, soit dans son sol, soit immergés volontairement ou des suites d’événements tragiques tels que des naufrages. Si la recherche d’indices à l’œil permet à l’archéologue de guider ses recherches et d’arrêter un site ou une zone qu’il sondera, une longue étape consistant à consulter de la littérature scientifique (rapports, ouvrages, etc.) précède généralement toute campagne archéologique.
Or et dans le cas qui nous intéresse ici, la seule présence d’inscriptions sur des rochers et l’existence d’un cryptogramme attribué à Olivier Le Vasseur, constituent-ils des éléments sérieux permettant à un archéologue de s’aventurer à rattacher tout artefact trouvé dans la zone au pirate ?
(a) Inscriptions sur des rochers
Ferney, le Chaland, Grande Rivière Sud Est, Bel Ombre, Gris-Gris, Baie du Cap, Grande Rivière Nord-Ouest, Albion, Rivière-Noire, Tamarin, Saint-Antoine (Belmont), Wolmar, Medine, Trou-aux-Biches, Poste-La-Fayette sont autant de sites où des symboles gravés sur des rochers peuvent être observés aujourd’hui, souvent connus des riverains, tant sur les côtes qu’à l’intérieur des terres. Référencés dès la fin du XVIIIème siècle et servant de points de départ à tout chasseur de trésor, ces rochers ont fait couler énormément d’encre et ont plus souvent ruiné de grandes fortunes investies dans cette entreprise qu’ils n’ont créé de nouvelles richesses, si ce n’est la richesse que représente le partage d’une aventure entre amis sur le plan humain. Je pense ici à Goolab Jackaria et à ses fils, Paul Daniel, Oscar de Chapuiset le Merle, Paul Fleuriau-Chateau, Longchamp Pitot, Georges Desvaux de Marigny, Max de Maudave, les frères Chéron, René l’Homme, Robert, Lucien et Jean Giraud, Marco de Luca, Marguerite Labat, et tant d’autres avant eux. Affirmer aujourd’hui haut et fort être découvreur de gravures rupestres sur des rochers à l’île Maurice revient donc selon moi à affirmer que Christophe Colomb a découvert l’Amérique.
Si le fait de nier que ces inscriptions aient eu une signification particulière pour leur auteur serait intellectuellement malhonnête, comment les rattacher à un cryptogramme précis sans que le cryptogramme en question n’ait situé a minima géographiquement les symboles ni précisé leur existence sous forme de gravure sur rochers ? La multitude de rochers gravés autour de l’île supposerait-elle que chacun des lieux cités cache un trésor ? Dans l’affirmative, lequel serait celui de La Buse ?
(b) Des monnaies contenues dans une petite boîte
Les médias font état de 7 pièces de monnaies illisibles et donc difficilement identifiables (en théorie) mais certainement très anciennes du fait de leur état, contenues dans une petite boîte en métal enterrée à une profondeur plus ou moins importante, et constituant une bonne indication de la proximité du trésor de La Buse (4). Je souhaiterais sur ce point vous partager mon expérience personnelle constituée sur la base de 23 années de fouilles archéologiques et de participation à la rédaction de rapports d’opérations (qui font état des trouvailles et conclusions suite à des campagnes). Je tiens au préalable à préciser qu’il ne s’agit pas pour moi ici de m’ériger en expert mais de m’exprimer en qualité d’amateur éclairé.
Une pièce de monnaie retrouvée dans le sol, peu importe son époque, subit l’usure du temps différemment selon le métal dans lequel elle a été frappée (argent, or, cuivre, bronze, billon, etc.), mais aussi en fonction du type de sol. Ainsi et en règle générale, une monnaie en argent ou en or sera moins victime de l’usure du temps qu’une monnaie en cuivre ou en billon, bien qu’une monnaie en cuivre datant de l’époque romaine puisse tout à fait préserver l’intégrité de ses reliefs dans un sol peu acide. Le lecteur comprendra donc qu’un sol acide à très acide (sols marins, terres agricoles ayant été arrosées d’engrais chimiques ou naturels, etc.) aura souvent raison des reliefs de la monnaie, mais pas de la monnaie elle-même. Il m’a été donné, à titre d’exemple, de trouver une monnaie de Constantius en bronze datant du 4ème siècle moins usée qu’une pièce de 5 sous en cuivre de 1975. L’usure n’est donc en rien révélatrice de l’âge d’une monnaie.
Dans notre cas et si les faits relatés par les médias sont exacts, j’ai du mal à comprendre que des pièces de monnaie conservées dans une boîte, et bien qu’enterrées dans un sol plus ou moins acide, aient pu perdre leurs reliefs, sauf à ce que cette boîte se soit décomposée et que les monnaies soient ainsi entrées en contact avec un sol acide.
Il est important de noter que l’état de savonnette (jargon) dans lequel a été laissée une pièce de monnaie des suites d’un séjour en sol acide ne prive pas le numismate éclairé de sa capacité à l’identifier. L’exercice est d’autant plus facile à l’île Maurice du fait de notre courte histoire et des connaissances dont nous disposons sur les peuples ayant fréquenté notre territoire, mais aussi sur les monnaies ayant circulé durant les 4 derniers siècles dans notre zone géographique. L’épaisseur, le diamètre, le poids et le métal permettent ainsi et généralement de déterminer selon que nous nous trouvions en présence d’un sou, d’un sol, d’un fanam, d’un falus, d’une roupie, d’un doudou, d’une piastre, d’une réale, d’un écu, d’un liard, d’un stuiver, etc.
Enfin, trouver un liard de France de 1656, à titre d’exemple, ne signifie en rien que cette monnaie ait été perdue par un français avant 1715, année à laquelle l’île Maurice est officiellement devenue Isle de France. Les liards de France frappés à l’effigie du Roi Soleil, type de monnaie retrouvée à Maurice, ont été frappés pour la première fois en 1649 et ce, jusqu’en 1792, restant en circulation jusqu’en 1856 afin de pallier l’absence de petites monnaies à cette époque. Toutefois, associer une telle découverte à un réel sondage archéologique permettrait peut-être de déterminer si nous nous trouvons en présence d’un nouvel élément pour notre histoire, le constat d’une présence française bien avant l’heure…
In fine, le scénario est si clownesque que le seul héritage laissé et transmis par la Buse à ses « héritiers-inventeurs » semble à ce jour être son sobriquet…