LUCIEN FINETTE
Nous avons tous encore très frais dans nos esprits le tollé soulevé par l’annonce du prélèvement d’éventuels frais de services professionnels par le Pharmacy Council. Le public serait alors appelé à payer des frais de Rs 100 pour des conseils prodigués lors de l’exécution d’une prescription ou dans d’autres circonstances. L’indignation populaire était générale puisque le pharmacien se ferait payer une deuxième fois pour un service déjà facturé par le médecin d’une part et d’autre part pour une prestation considérée, à juste titre, comme partie intégrante de la responsabilité du pharmacien qui perçoit un salaire de son employeur, s’il n’est pas le propriétaire de l’officine. Les prix facturés pour les produits offerts en vente comprennent une marge de profit qui varie considérablement selon leur nature, médicaments ou produits de beauté ou d’hygiène, une marge suffisamment lucrative pour encourager l’ouverture de nouvelles pharmacies. En effet, 350 pharmacies opèrent à Maurice, soit une pharmacie pour 3700 habitants alors que l’OMS préconise le critère d’une pharmacie pour desservir 5000 habitants. C’est ainsi que certaines agglomérations urbaines bénéficient des services de 3 ou 4 pharmacies dans un rayon de moins de 100 mètres. L’ironie c’est que cette adjonction de frais professionnels pourrait desservir ceux qui veulent y trouver un profit, soit le pharmacien lui-même ; en effet, le grand nombre de pharmacies existantes permet le jeu de la concurrence, une concurrence qui s’exerce non pas sur le critère des prix, puisqu’ils sont déterminés par le grossiste, mais sur celui de la qualité des services offerts par le pharmacien, s’il est présent, ou son employé.
Système de santé universel et gratuit
Dans tout ce débat concernant le paiement d’honoraires au pharmacien, une question reste posée : pourquoi tant de gens vont à la pharmacie au point que des pharmacies s’ouvrent un peu partout dans l’île ? Nous avons un système de santé universel et gratuit, tant pour les services de consultation de médecins, les courts et les longs séjours d’hospitalisation que pour la dispensation des médicaments. Pourquoi les gens à faibles revenus, ceux qui ne bénéficient que d’une pension de vieillesse ou d’une autre forme d’allocation de subsistance doivent-ils consulter un médecin du privé et fréquenter une pharmacie alors qu’ils disposent d’un service gratuit de consultation, de suivi et de dispensation de médicaments dans les centres de santé publics ? Est-il donc vrai que les services publics de santé seraient plus routiniers que préventifs ou curatifs et que certains médicaments qu’on y offre ne contiennent pas les molécules appropriées parce qu’ils proviennent de laboratoires sélectionnés selon les plus bas prix offerts lors d’un exercice d’approvisionnement ? On peut donc se demander pourquoi dépenser tant d’argent pour un service public si le médecin du privé et la pharmacie du quartier sont plus fiables et sécuritaires alors qu’ils coûtent cher, même très cher, lorsqu’on ne dispose pas d’une assurance médicale privée. Espérons qu’il ne s’agit pas d’une stratégie pour éloigner les citoyens d’un service public qui coûte et les détourner vers un service privé qui rapporte en termes de taxes !
Énormes frais de scolarité exigés
Le secteur de l’éducation est le théâtre d’une même débandade. Malgré le fait que l’éducation soit gratuite à Maurice, nombre de parents préfèrent chercher une place pour leur enfant dans le système privé payant, souvent au prix d’énormes sacrifices financiers. Il n’est certes pas étonnant qu’il existe une demande grandissante de demande de permis pour ouvrir des établissements payants bien que les critères soient très exigeants et que plusieurs demandes soient rejetées chaque année. Ces écoles payantes ne reçoivent aucune subvention gouvernementale et sont libres de suivre un cursus scolaire approuvé alors que les écoles privées subventionnées doivent suivre le cursus du ministère de l’Éducation de Maurice. Cela explique les énormes frais de scolarité exigés. Mais l’engouement pour ces écoles ne tarit pas et il semble que les autorités ne se sont jamais arrêtées pour comprendre ce phénomène !
Les normes d’apprentissage pratiquées dans ces écoles payantes sont très séduisantes et s’apparentent à ce que l’école devrait être : un milieu d’apprentissage pour la vie et non seulement une course effrénée pour réussir des examens. Le cadre est enchanteur et les installations des plus modernes et tentantes. Les classes n’accueillent qu’un nombre restreint d’élèves dans une ambiance chaleureuse. Les sommes réclamées pour la scolarité compensent de loin pour les frais additionnels requis pour les leçons particulières dans les écoles gratuites du système national sans compter le nombre d’activités parascolaires de grande qualité offertes tant sur le campus qu’en dehors. Étudier est alors un plaisir ! Les élèves de ces écoles ont été très peu impactés par les contraintes sanitaires imposées par la pandémie : étudiants, enseignants et cadres se sont vite mis à l’enseignement à distance sans trop de dégâts au programme d’études alors que les écoles du gouvernement ont raté cette belle opportunité d’amener un changement radical dans l’enseignement et le système. Les mentalités sont très différentes dans le secteur privé. On y vise un développement de toutes les formes d’intelligence et on accorde beaucoup de crédit à la célèbre phrase de Michel de Montaigne : « Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. »
Si le secteur public n’arrive toujours pas à redéfinir les objectifs de l’éducation, opérer une révolution dans la gestion du secteur éducatif et provoquer un changement des mentalités, l’éducation publique et gratuite, si chèrement acquise et si précieuse pour une société qui se veut démocratique, ne sera plus qu’un vieux souvenir qui n’intéressera plus que les pauvres et les plus démunis, comme c’est le cas pour la santé publique, à quelques exceptions près.