Le prix à payer

On a beau le dire sur tous les tons, descendre dans les rues, brandir des tonnes de rapports, débattre tant que l’on peut et même constater jour après jour la multiplication des phénomènes extrêmes… rien n’y fait. Notre décision est prise : adopter quelques mesures écolos, d’accord ; mettre en place des plans d’atténuation, pourquoi pas ; mais toucher à notre croissance économique, ça, il n’en est pas question ! Aussi, puisque seul l’argent semble faire loi et nous motiver à nous retrousser les manches, si nous en profitions pour faire quelques petits calculs ? À savoir ce que le changement climatique nous coûtera si nous persistons à prendre la menace à la légère.

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Parce que oui, puisque le climat n’entend pas nos supplications et ne semble avoir nullement l’intention d’infléchir la courbe du réchauffement, un jour viendra où nous n’aurons tout simplement plus le choix. Dès lors, on devra rapidement « rentrer dans le dur », avec des conséquences sociales qui seront, c’est certain, elles aussi dramatiques. Tel sera le prix à payer pour avoir attendu si longtemps avant de revoir notre copie en politique économique.

Dans tous les cas, puisque nous devrons prendre des mesures, celles-ci risquent bien de très vite provoquer des grincements de dents. Pourquoi ? Eh bien parce que certaines décisions qu’il nous faudra prendre affecteront inévitablement l’emploi, et par ricochet les revenus de dizaines de millions de personnes. Lesquelles ne pourront être réorientées vers d’autres filières, le monde de demain restant alors à construire. Prenons ainsi quelques exemples, à commencer par celui des ouvriers opérant dans les mines de charbon. Lorsque l’on se décidera à fermer ces mines, que ferons-nous des mineurs ? Ou encore de ces milliers de personnes engagées dans les forages pétroliers… ?

Autre exemple : les chalutiers. Sachant que ceux-ci émettent autant de gaz à effet de serre que le transport aérien mondial, le temps viendra où nous devrons diminuer drastiquement leur nombre, voire même carrément interdire le chalutage de fond. Mais alors, dans ce cas, que pourrons-nous proposer aux pêcheurs ? Quid également des voitures individuelles de plus de 1,5 tonne ou même de l’ensemble des voitures thermiques ? Si, demain, nous décidons de purement interdire leur production, que deviendront les ouvriers du secteur, les garagistes, les employés de stations-service, etc. ?
Autant de décisions impopulaires que tout gouvernement qui se respecte devra forcément prendre dans un futur pas si lointain. Avec, on le voit, des conséquences qui, directement et indirectement, mettront à mal notre système capitaliste en engendrant des crises économiques à répétition. Lesquelles viendront fragiliser davantage le tissu social, provoquer des soulèvements et, peut-être même, faire tomber des gouvernements. Ce qui explique d’ailleurs, en partie du moins, l’extrême réticence du monde à s’engager dans cette voie. Le problème, c’est que repousser l’échéance et maintenir l’illusion que « tout va bien » ne sert à rien, puisqu’au final, nous devrons de toute manière durcir le ton et appliquer des règles extrêmes. Sauf que, entre-temps, nous aurons fait courir à l’humanité – et au reste du vivant – le risque d’une nouvelle extinction de masse, et ce, dans un avenir relativement proche.

Ce qui est consternant dans tout cela, c’est que nous connaissons ces risques depuis plusieurs décennies déjà. Sauf qu’entraînés dans la spirale de la surproduction afin de maintenir vivant notre système de marché, nous pensons ne plus avoir le choix. Or, en réalité, ce choix, nous l’avons toujours. Il consiste notamment dans la rationalisation de nos besoins et la recherche d’un système de distribution décentralisé aux populations, par exemple communautaire. Avec pour effet de réduire drastiquement notre facture carbone sans que la survie de notre espèce (et des autres) ne soit cette fois menacée.
Les solutions sont multiples; l’espèce humaine a déjà maintes fois prouvé qu’il pouvait rapidement en trouver. Dès lors, pourquoi gaspiller notre temps à vouloir préserver coûte que coûte ce système qui nous aura menés au bord du précipice ? En d’autres mots, pourquoi ne pas imaginer dès aujourd’hui le monde de demain ? Quand bien même il y aurait « de la casse ». Car, ne nous leurrons pas, il y aura forcément un prix à payer. Mais le maintien de la vie sur Terre mérite bien quelques sacrifices, non ?

Michel Jourdan

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