Repositionnement Géopolitique
Au cours du récent Forum Globsec à Bratislava, le Président français Macron a exprimé son objection à ce que l’OTAN ouvre un bureau de liaison à Tokyo. Selon Macron, ce serait une erreur monumentale pour cette organisation d’élargir sa base géographique et son spectre d’intervention.
Sans surprise, la Chine a aussi exprimé sa forte opposition à l’expansion de l’OTAN en Indopacifique. Déjà que la Chine perçoit le Quad comme un groupuscule d’États qui s’acharne à la contrer.
Mettant en exergue « l’autonomie stratégique » lors de sa visite en Chine, Macron a déclaré : « La France ne peut pas suivre aveuglément les États-Unis. »
Danse avec le Dragon
Effectivement, Macron était aussi en visite officielle en République populaire de Chine du 5 au 8 mai 2023. Outre les séances de travail avec le Président chinois Xi Jinping, Emmanuel Macron a rencontré à la fois la communauté française en Chine et des étudiants chinois à l’université Sun Yat-sen.
Avant la visite, le voyage était présenté comme un effort pour débloquer la crise en Ukraine en raison du fait que la Chine jouit d’une certaine influence sur son voisin russe. Mais en fin de compte, c’est le méga-contrat d’Airbus qui a retenu l’attention.
De menus détails pour de gros contrats
Conscient du rapport de force entre la France et la Chine, Emmanuel Macron s’est fait épauler lors de ce voyage par la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Pour la petite histoire, lorsque François Hollande, alors Président français, effectua une visite dans l’Empire du Milieu, on lui a gentiment rappelé que la Chine compte plus d’un milliard de personnes alors que la population française arrive à peine à 70 millions, même en exagérant un peu.
Cette remarque nonchalante par les Chinois semble être restée en travers de la gorge de la France. De ce fait, le Président Macron essaie, quam maximum potest, de se faire accompagner soit de son grand frère allemand ou encore du chef de la grande congrégation européenne, avec à l’esprit ses 27 États membres et 440 millions d’âmes, afin d’atténuer la disparité dans les proportionnalités en vue d’affronter le Dragon chinois.
Sur le plan économique, l’UE reste le premier partenaire commercial de la Chine avec un volume d’échanges de 856 milliards d’euros en 2022, devançant les États-Unis.
‘Big Business’ dans un gant de soie
La délégation française en mission en Chine était composée de 80 grosses pointures du monde des affaires et de la culture. Le fleuron de Business France a répondu présent dont Airbus, BNP Paribas, Club Med, Danone, EDF, L’Oréal, LVMH, mais pas que ! Il y avait aussi la présence remarquable et remarquée d’artistes français, en particulier de Jean-Michel Jarre.
La compagne de Jean-Michel Jarre n’est nulle autre que l’actrice chinoise Gong Li. Elle est la première actrice chinoise à atteindre le statut de superstar et compte dans sa filmographie des œuvres cultes telles que Adieu Ma Concubine, La Cité Interdite, Hannibal Lecter : Les Origines du Mal, pour ne citer que ceux-là.
Interrogé une fois sur la façon dont leurs chemins se sont croisés, Jean-Michel Jarre aurait déclaré : « J’aime aussi l’idée qu’entre nous, le Lyonnais et la Chinoise, la Route, celle de la Soie, était toute tracée. »
Itinéraire tout tracé
Le schéma de ce séjour n’était pas si différent des autres visites officielles dans d’autres pays, avec au programme une rencontre avec la diaspora française et un bain de foule avec les étudiants chinois.
Il serait utile de souligner que le passage de Macron à l’université de Sun Yat-sen était réglé comme du papier à musique. Pour une fois, une certaine presse occidentale – toujours prête à fustiger le caractère chorégraphié et les mises en scène du Parti communiste chinois – n’a pour une fois rien trouvé à redire sur cette interaction «bien planifiée».
L’inclusion de l’université Sun Yat-sen dans l’itinéraire s’inscrit dans la perspective d’un éventuel renforcement de la coopération dans le domaine nucléaire. Il serait bon de noter que l’université Sun Yat-sen et l’École nationale supérieure de chimie de Paris sont en partenariat et ont constitué un Institut franco-chinois de l’énergie nucléaire (IFCEN) sur le campus à Zhuhai.
Technologie nucléaire et empreinte sino-mauricienne
La France a été le partenaire privilégié de la Chine dans le domaine de la technologie nucléaire. Quelques années après l’initiation de la Politique d’ouverture et des réformes initiée par Deng Xiaoping, la Chine signa avec la France le premier accord électronucléaire assorti d’une clause de transfert technologique en 1982.
L’élaboration de la première bombe atomique en Chine découla de la réalisation par les Chinois que sans l’arme ultime, la Chine n’aurait pas de place dans le Concert des nations. Partant de la fameuse citation de Mao selon laquelle « Le pouvoir est au bout du fusil », la Chine mit tout en œuvre pour acquérir l’option nucléaire et fit naturellement appel à l’assistance des Soviétiques, qui étaient proches des Chinois sur le plan idéologique et politique. Ce n’est que bien plus tard que le programme nucléaire civil a été initié.
Suite à cet accord de 1982, il faudra attendre jusqu’en 1993 pour voir la mise en service de la première centrale nucléaire de la Baie de Daya avec le soutien de Framatome.
À ce chapitre, il serait intéressant de souligner le rôle d’un Sino-mauricien dans la mise en œuvre de la première centrale nucléaire issue du partenariat franco-chinois. Cet homme s’appelle Lim Voonlien, et son père tenait une boutique à Chinatown, Port-Louis.
Au vu de sa contribution dans le secteur énergétique en Chine, il avait été inhumé au cimetière révolutionnaire de Babaoshan en compagnie d’autres grandes figures de la nouvelle Chine, alors que sa mère repose éternellement sur une colline surplombant la Baie de Daya.
Sous-marins et sournoiseries
La France avait conclu un accord avec l’Australie pour la fourniture de sous-marins à propulsion conventionnelle. Cependant, Américains, Anglais et Australiens sont parvenus à couper l’herbe sous les pieds des Français en formant un club ad hoc, portant l’acronyme AUKUS, tout en proposant des sous-marins à propulsion nucléaire.
Sous le choc, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, n’avait pas mâché ses mots en qualifiant cette manœuvre sous-marine de «coup de poignard dans le dos». Le Drian avait ajouté que ce coup sous la ceinture de l’AUKUS constitue une « rupture de confiance entre alliés » et cela « appelle à des réflexions lourdes entre Européens ».
Dérisquer au lieu de découpler
Ces « lourdes réflexions » ont poussé la France à adopter une nouvelle attitude moins tranchée, plus nuancée et moins naïve.
Macron est allé plus loin en parvenant à éloigner quelque peu l’UE de la grande confrérie des Occidentaux. En effet, l’Europe entonne maintenant le même refrain de Macron pour « une Europe forte et indépendante ».
Par ailleurs, Von der Leyen parle dorénavant de « dérisquage » au lieu de « découplage » entre l’Occident et l’Orient. Selon elle, l’UE gagnerait à diversifier ses sources d’approvisionnement et ses marchés d’exportation, mais de là à couper les ponts avec l’Empire du Milieu, c’est un pas que l’Europe ne serait pas tout à fait prête à franchir.
Année du tourisme et de la Culture franco-chinoise en 2024
2024 marquera 60 années de relations diplomatiques franco-chinoises. Pour revenir en arrière, ce fut le Général Charles de Gaulle, premier Président sous la Vème République, qui renoua officiellement le dialogue avec la République populaire de Chine en formalisant un accord de lien diplomatique le 27 janvier 1964.
Ce rapprochement avec un pays communiste s’inscrivait dans la politique de grandeur esquissée par De Gaulle dès 1958. En effet, De Gaulle poussa la France à se doter de l’option nucléaire et d’une certaine indépendance vis-à-vis des États-Unis dans le domaine militaire. Aujourd’hui, la France et l’UE reviennent vers une « autonomie stratégique » qui découle de la pensée centrale du gaullisme.
Incidemment, le célèbre peintre chinois Lin Fengmian, avec des attaches à Maurice, serait candidat pour figurer en bonne place au cours de cette Année culturelle franco-chinoise en 2024 pour des raisons que j’ai eu l’occasion d’évoquer dans un article qui lui est consacré.
Satisfecit réciproque
À la fin de la visite, chacun semble avoir trouvé son compte. La France et l’UE ont pris leur revanche sur les États-Unis en raflant la part de marché qui devait a priori revenir à Boeing. Le « contrat du siècle » entre la France et l’Australie a coulé mais la France est parvenue à couper les ailes aux Yankees.
Sur le plan géopolitique, la France semble revenir à de meilleurs sentiments envers l’Initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie. En effet, Macron a annoncé que la France marquera sa présence au prochain «Belt and Road Forum» prévu à Beijing pour le 17 et 18 octobre 2023. De son côté, la Chine assistera à la Conférence des Nations unies sur les océans qui aura lieu à Nice du 5 au 15 juin 2025.