Le moment de vérité

Alors que se profile la levée partielle du confinement, annonciatrice d’une très (très) lente reprise de nos activités socio-économiques, les questions se bousculent déjà quant à savoir, notamment, de quelle manière celle-ci s’opèrera, quelle empreinte aura laissée le Covid-19 sur notre système financier et quand nous pourrons assister à un retour à la normale, si retour il y a. Mais outre ces questions, à la pertinence d’ailleurs relative, d’autres, plus philosophiques, commencent à émerger. Comme de savoir, par exemple, ce que nous aurons retenu de ces dernières semaines d’isolement forcé. Certes, les changements imposés dans notre quotidien auront plus que certainement entraîné avec eux pas mal de contrariétés, à l’instar d’une promiscuité entre proches auxquels nos sociétés néolibérales ne nous auront pas habitués, chacun d’entre nous étant plus ou moins conditionné selon le sacrosaint principe « boulot, métro, dodo ». Ou encore notre enfermement (encore une fois tout relatif), dans un monde où vitesse et productivité sont depuis longtemps devenues l’unique norme. À moins bien sûr d’être agoraphobe, auquel cas ces jours-ci auront plutôt été heureux, l’on peut donc comprendre à quel point toutes ces mesures sanitaires auront pu paraître, du moins au début, liberticides.

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Quoi qu’il en soit, au fil de notre confinement, nous aurons progressivement intégré toutes ces contraintes, jusqu’à les voir se fondre dans une nouvelle réalité et, après cela, finalement très bien nous en accommoder. Au point d’ailleurs que l’on peut légitimement se demander aujourd’hui en quoi cette réalité, justement, serait fondamentalement si gênante à la bonne marche du monde. Alors certes, l’on peut comprendre qu’en soi, ce qui aura eu force de nouvelle norme sociétale durant le confinement aura en quelque sorte corrompu la mécanique de marché, autant du moins que cela aura contrarié de plans et, d’une manière plus générale, « infecté » le système. Pour autant, toute infection n’est pas forcément mauvaise. D’ailleurs, il est aujourd’hui assez jouissif de constater à quel point le Covid aura, d’une certaine manière, ironiquement permis de « combattre le mal par le mal » (un peu donc comme le fait un vaccin), en rétablissant, un temps du moins, cet équilibre de l’ordre du monde que des décennies d’exploitations auront tellement fragilisé.

Ce cloisonnement économique forcé aura eu, c’est un fait, pas mal d’effets salvateurs. Bien sûr, il va sans dire que nous compatissons avec les victimes collatérales du virus, et qui auront assurément, par manque de revenus surtout, passé de très mauvais jours (et nous ne parlons évidemment pas des conglomérats ayant vu leurs activités commerciales réduites, mais dont la survie n’est certainement pas compromise). En revanche, et c’est bien plus plaisant à imaginer, le confinement mondial aura aussi, cette fois dans une perspective plus large, offert une bouffée d’oxygène à la planète et au reste du vivant. Mais surtout, cerise sur le gâteau : il aura mis en exergue notre ultra-dépendance au bon fonctionnement d’un système si parfaitement huilé que le moindre grain de sable – y compris viral – peut en enrayer gravement la mécanique.

Au final, nous qui nous étions toujours pensé maîtres des événements, et du fait de notre « remarquable intelligence » capables de juguler n’importe quelle hémorragie, tout en ignorant cela va sans dire les appels de détresse de notre propre écosystème, avions tout faux. Le virus aura somme toute exhumé une triste vérité que nous avions enterrée avec trop d’empressement il y a déjà bien longtemps : celle de notre individualisme éhonté, de notre immoralité maladive et de l’aliénation d’esprit que constituent à la fois notre vision anthropocentrique de l’humanité et le sentiment d’impunité qui en découle. Le virus nous aura appris que la loi du marché est en vérité très vite altérable et que le court-termisme ne peut venir à bout de pareille situation de crise. En résumé, que cette vision d’un monde où tout s’exploite, se vend et s’achète doit impérativement être revue. Comme nous le répétons dans ces mêmes colonnes depuis plusieurs années maintenant, et donc bien longtemps avant que l’on ne crée le « monstre » Covid-19, voici donc plus que jamais arrivée l’occasion d’inverser l’ordre du monde et de redonner aux valeurs humanistes leur sens premier. En espérant bien sûr que nous ne l’oublierons pas une fois la crise passée.

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