Le miroir déformant des chiffres enivrants

La démocratie, dont majorité et arithmétique vont de pair, ne fait aucun doute. Même si, parfois, la tentation, voire la conclusion, de dire que sur ce plan, un plus un ne font pas nécessairement le compte, semble inévitable. Tout exercice démocratique se solde par un décompte final de chiffres compilés.

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Et ce sera le cas à la fin de la journée du 11 novembre, peut-être dans la nuit pour certains. C’est à la lumière de ce dépouillement d’environ un million de bulletins de vote — si le taux de participation aux prochaines élections générales atteint les 100 % — qu’émergera le nouveau gouvernement, qui aura la charge et la responsabilité collective de gérer les affaires de la cité pour les cinq prochaines années. Pas plus, aux termes les dispositions de la Constitution.

Sur la route menant à ces dates cruciales des 10 et 11 novembre, l’exposition au miroir déformant des chiffres enivrants est un passage obligé. Personne n’y échappera. Chacun jonglera avec les chiffres, les triturant à gauche ou à droite, en haut ou en bas, pour s’afficher sous un éclairage le plus favorable possible. Pas nécessairement comme le dit le fameux dicton : « There are three kinds of lies: Lies, Damned Lies, and Statistics. »

Dès le week-end prochain, soit à 48 heures du Nomination Day pour le dépôt des candidatures des élections législatives du 10 novembre, les trois principaux blocs politiques en lice pour les 62 sièges à pourvoir sous le système First Past the Post et les huit attribués aux Best Losers, à savoir l’Alliance Lepep, sollicitant un Pravind Jugnauth 3.0, l’Alliance du Changement, voulant conjurer une troisième défaite consécutive, et l’alliance Linion/Reform, qui se donne pour ambition d’insuffler un nouvel élan en brisant la formule Papa/Piti ou autre Piti/Mama, se préparent à livrer une première bataille de chiffres.

La foule à ces rassemblements politiques à l’échelle nationale sera observée parallèlement à la compilation du nombre de Shares et autres Likes des retransmissions de ces Happenings sur les réseaux sociaux. Un enjeu non négligeable dans le monde virtuel, sans compter un potentiel de déformation avec l’avènement de l’intelligence artificielle. Puis viendront les rendez-vous du dimanche 3 novembre, plus que déterminants pour les indécis.

Mais ce miroir déformant fait déjà partie du paysage local, sous tous les angles. Un fléau préoccupant, qui prend des allures de plus en plus sournoises et fourbes, reste sans conteste la prolifération de la drogue. Face aux dégâts sur le plan social et de la cellule familiale, les autorités se veulent implacables, en s’appuyant sur des chiffres. Depuis 2015, année de l’installation du gouvernement, environ 24 000 arrestations ont été effectuées sous les dispositions de la Dangerous Drugs Act.

Pour l’Hôtel du Gouvernement, la cerise sur le gâteau se décline sous la forme de la valeur marchande de la drogue saisie. Elle s’élève à plus de Rs 16 milliards. Sur papier, des chiffres indiscutables, résultats des efforts conjoints de la police et de la douane.

Quelle pertinence ce chiffre de Rs 16 milliards représente-t-il pour les familles vivant avec des accros sous le même toit ? Pire encore sont les cas  de ces aînés tourmentés par ces petits-enfants, qui ne cessent de les harceler, avec des menaces d’armes blanches, à n’importe quel moment de la journée, pour obtenir Rs 500 afin de se procurer leurs doses quotidiennes.

Ce n’est pas cet infatigable travailleur social, Cadress Rungen, qui a fait de la drogue son combat de toujours depuis bientôt 40 ans, qui déformera la réalité en claironnant la saisie de Rs 16 milliards de drogue. La détresse au quotidien de ces familles pèse bien plus lourd que le poids total de la drogue saisie lors d’opérations,les unes plus spectaculaires que les autres.

Encore un autre secteur où la note est libellée en milliards. Rien de péjoratif, car il s’agit d’investissements dans les infrastructures routières, un facteur clé du développement économique. De nombreux chantiers complétés, dont le SAJ Bridge, exploit technique enjambant les Gorges de la Grande-Rivière-Nord-Ouest pour désengorger le réseau routier, prendront place aux premières loges du bilan des cinq dernières années.

Mais les usagers de la route ont-ils l’impression de bénéficier d’un Road Network moins saturé qu’il y a cinq ou dix ans ? Pour répondre à cette simple question, prenez la route de Rivière-Noire, à n’importe quel tronçon entre la croisée de Chebel à celle d’Albion, pour traverser le village de Bambous, ou encore pour entamer la descente vers Rivière-Noire en passant par Cascavelle et Tamarin. L’expérience des embouteillages monstres est sans équivoque. Et cela même un dimanche après-midi.

Qu’un exemple alors que la situation n’est guère différente ailleurs sur le réseau routier national.

S’abreuver aux milliards enivrants se reflétant dans le miroir déformant rend la réalité quotidienne encore plus amère…

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