Il y a un peu moins de 2 000 ans, selon la religion chrétienne, Jésus prenait son dernier repas entouré de ses 12 apôtres. Après quoi il sera arrêté… On connaît la suite. Bien plus tard, peut-être inspiré par la Cène, un ultime repas sera de la même manière offert aux condamnés à mort. Histoire certainement de rendre leur passage de vie à trépas plus… savoureux. Quant à nous, un jour viendra probablement où nous nous assiérons tous ensemble pour un ultime et grand banquet final. Sortez paillettes et confettis, car mieux vaudra en profiter !
Notre espèce a ceci de particulier que, bien que dotée d’une extraordinaire faculté d’innovation et d’adaptation – capable de résoudre les problèmes les plus complexes, et pourvue d’une incroyable maîtrise des arts comme des mathématiques –, elle aura dans le même temps développé cette non moins fantastique capacité à perdre son bon sens lorsqu’il s’agit de répondre à une menace perçue comme lointaine. L’exemple le plus représentatif – mais aussi le plus pressant – de notre incroyable paresse intellectuelle ayant bien sûr trait au changement climatique. Car bien que nous sachions le danger présent, nous ne trouvons pas la force, et surtout le courage, d’envisager ne serait-ce qu’une minute toute idée de changement radical de paradigme sociétal.
Cela ne signifie évidemment pas pour autant que nous soyons totalement inactifs en la matière. Pour autant, les seules solutions que nous ayons trouvées pour le moment sont aussi les moins contraignantes, et ce, alors que le feu couve sous la… dynamite ! Leurs noms : transition énergétique, économie circulaire et croissance verte, entre autres néologismes des plus parlants. Omettant conséquemment la nature même de l’urgence, ainsi que nombre de données qui, pour peu que l’on s’y intéresse, rendent ces mêmes solutions aussi inefficaces qu’obsolètes.
C’est notamment le cas du facteur démographique, quasiment jamais pris en compte par les défenseurs (affichés ou non) de notre système capitaliste, avec ou sans couche de peinture verte. Regardons son évolution depuis l’avènement de l’ère préindustrielle, prise pour référence par les Nations Unies pour nous convaincre d’un cap maximum de réchauffement (actuellement de +1,5 °C). En 1750, notre planète comptait moins de 700 millions d’humains. Cent ans plus tard, ce nombre passait à 1,4 milliard, pour atteindre 2,5 milliards en 1950 et… 8 milliards aujourd’hui. À ce rythme, il est estimé que nous dépasserons allègrement les 10 milliards d’individus d’ici 30 ans.
La croissance démographique, et dont la courbe est exponentielle, couplée à une poussée consumériste dans les pays dits « développés », aura engendré les conséquences que l’on sait sur le climat. Et face à cela, que faisons-nous, si ce n’est y opposer des mesures aussi insignifiantes qu’inutiles ? À quoi sert en effet de trier nos déchets si la moitié de la planète – qui plus est la plus peuplée – se refuse de le faire tout en continuant de carburer au charbon ? À quoi bon promouvoir une production “eco-friendly” si la poussée démographique est bien plus significative que les efforts consentis ? Et l’aspect démographique n’est, encore une fois, qu’un facteur parmi d’autres, et que l’on préfère volontairement enterrer au fond du jardin.
On a beau dire que le temps est venu de revoir nos priorités, de faire nos adieux à un système en bout de course, et donc d’abdiquer face à Dame Nature – par définition plus intransigeante que nous ne le serons jamais –, nous poursuivons notre route. Sans même jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. Pas plus que sur le mur qui se profile à l’horizon. Préférant garder espoir que quelqu’un (des scientifiques, des techniciens… ou carrément Dieu), quelque part, viendra nous sauver en nous apportant la solution miracle. Et fera disparaître le mur comme par enchantement. Atann touzour kamrad !
À s’évertuer de voir systématiquement le verre à moitié plein, un jour viendra où il finira par se briser. Malgré ses facultés phénoménales, le genre humain – en se cloisonnant dans le déni – risque bientôt de réussir l’incroyable exploit de s’auto-euthanasier. Et cela, simplement pour avoir voulu préserver à tout prix un système à l’agonie. Quoi que nous fassions, il semble donc que notre espèce soit condamnée, avec tant d’autres d’ailleurs. Viendra alors le temps de notre dernier repas. Et après le dessert, la guillotine !