KALEEM KHODABUX
Mauriciennes, Mauriciens, n’oubliez jamais que l’indépendance de votre pays n’est que nominative, autrement dit, elle existe seulement de nom, et non de fait. On peut même s’attendre à ce qu’elle soit stéréotypée. Cela dit, l’indépendance, qui ne fut que théorique et nominative, présente toutefois une avancée.
Très peu de pays sont de nos jours véritablement indépendants et il y a même bien moins de gouvernements qui soient, par les temps qui courent, authentiquement libres. De grâce, point de sotte jubilation ! Point d’anniversaire pour cette “indépendance”, d’ailleurs d’où vient un tel désir d’anniversaire? Il faut en particulier une véritable volonté d’indépendance. Celle-ci n’est qu’une réalité abstraite. Il n’y a pas vraiment de chemin qui nous mène à elle.
La lutte ne s’achèvera pas aussitôt. Ayons la sagesse et le bon sens de reconnaître que vous êtes nombreux à être esclaves du travail, d’un travail qui vous abrutit, vous abêtit et vous enlaidit. Encore heureux que votre salaire (pour certains) vous permette de vous procurer une télé. Mais pas pour vous détendre, plutôt pour que vous vous sentiez encore plus mal lorsqu’elle vous balance les images d’une vie grandiose ou même des pubs vous rappelant que vous n’aurez jamais accès à des endroits de votre propre pays, jugés inabordables pour la plupart.
Mauriciennes, Mauriciens, un peu de dignité enfin ! Libérez-vous des stéréotypes et des préjugés qui vous interdisent de voir la réalité qui vous asservit et vous accable ; libérez-vous de vos rêveries creuses qui font de vous des prisonniers d’un quotidien de verroterie que vous demeurez toutefois à considérer comme merveilleux. Repoussez tout ce qui porte atteinte à votre dignité et refusez d’être révérés comme des étrangers dans votre propre pays. Car, vous n’avez accès à rien qui vaille, ni à un hébergement bienséant, ni à un emploi qui ne soit pas obséquieux. Vous avez certes des écoles, mais encore faut-il que vous ayez des instituteurs et des enseignants qui le sont vraiment ; les hôpitaux vous procurent des services (en apparence) gratuits ; mais quand aurons-nous des médecins et des docteurs véritablement compétents ? Certaines plages vous sont interdites, de même que certains établissements de luxe, qui d’ailleurs défigurent votre île, excepté si vous voulez bien vous y rendre pour laver les chiottes. Les belles voitures, les propriétés de milliers d’hectares, des châteaux, dont vous n’imaginez même pas la splendeur… Autant de biens dont certains profiteront, mais pas vous. Et dire que c’est vous qui avez contribué pendant cinquante ans à tout cela, en acceptant de travailler comme des bœufs et de vivre comme des porcs.
En réalité, je vous l’affirme, vous n’existez point encore. Vous vous savourez de banalités et vous vous nourrissez d’une lamentable naïveté, vous croyez seulement exister, mais votre existence en tant que Mauriciens n’est que superficielle. Et croyez-moi, ce n’est pas en vous laissant subjuguer par le misérabilisme et l’ouvriérisme de quelques batteurs d’estrade, qui se croient penseurs, que vous existerez un jour. Il est important et nécessaire que vous existiez en tant que Mauriciens, ne serait-ce que pour vous libérer, vous libérer de vous-mêmes. Cela ne s’accorde pas à votre mauricianisme, mais à chacun de vous personnellement.
Mauriciennes, Mauriciens, il vous faut impérativement vous résoudre à être autre que ce que vous êtes depuis trop longtemps. Ce pays n’appartient pas qu’à une poignée d’exploiteurs et de négriers, ce pays ne doit pas être source de jouissance pour les étrangers venus ici pour ‘voler’ vos terres, vos plages, vos lagons, vos montagnes, vos îlots, et ce en vous faisant croire, avec la connivence de leurs valets locaux, que cela fait partie du « développement » du pays.
Maurice ne doit en aucun cas être le refuge d’esclavagistes qui prétendent créer des emplois alors qu’ils n’apportent que de l’exploitation et de l’abrutissement. Ce pays vous appartient, mais il semble que vous ne le savez pas encore. Vous affirmez être fiers d’être Mauriciens, tandis que votre pays vous appartient si peu, presque pas d’ailleurs. Ayez, je vous en conjure, le courage et le désir de conquérir votre pays, alors dans ce cas seulement, l’indépendance ne sera pas qu’un mot (quasiment) vide.