DENIS PATRICE LEBON
Dans le panthéon des idées politiques transformatrices, trop rares sont celles qui transcendent le simple cadre institutionnel pour s’inscrire dans une vision presque métaphysique de la souveraineté. Dans notre réflexion précédente parue à la rubrique FORUM du même quotidien en date du mercredi 16 octobre 2024, nous esquissions le fondement ainsi que les contours d’une audacieuse entreprise politique :
l’institutionnalisation du Référendum d’Initiative Populaire Constituant (RIPC), susceptible de redéfinir en profondeur l’interface entre le corps citoyen et les sphères du pouvoir institutionnel de la République mauricienne. Par son audace théorique et sa portée potentiellement transformatrice, elle pourrait tout aussi bien figurer parmi ces uniques créations intellectuelles, où la volonté du peuple – dans sa dimension la plus pure et saine – dialogue avec les impératifs inébranlables de la raison et de l’ordre. Pourtant, à l’instar de toute entreprise humaine qui courtise l’absolu, cet outil démocratique par excellence ne saurait se dispenser d’une verticalité délicate entre appétence et prudence, liberté et responsabilité ou tout simplement comment éviter que ce joyau de la souveraineté populaire et de prouesse citoyenne, destiné à redonner au peuple la pleine maîtrise de sa véritable souveraineté, ne devienne l’instrument de manipulations nocives ou d’abjections bassement communautaristes ?
L’intrépide noblesse conceptuelle consistant à attribuer au peuple le pouvoir – donnant par ailleurs, des frissons certains à tout politicien qui se respecte – de réviser directement sa propre Constitution, représente une sorte d’épiphanie démocratique, un moment d’apothéose citoyenne où le mauricien ne se contente plus de déléguer sa voix au chapitre premier de la loi suprême de son pays, comme il l’a d’ailleurs toujours fait, avec le petit doigt sur la couture du pantalon, mais l’incarne pleinement dans le concert national et patriotique où chante souvent en chœur toute une nation lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements. Cependant, la tentation de laisser cette souveraineté s’exprimer sans cadre ni structure – en omettant de reconnaître que les droits, dénués de l’écrin sacré des devoirs, perdent leur essence symbiotique profonde et leur véritable raison d’être – reviendrait à lâcher la bride à un cheval fougueux, capable de galoper vers des horizons glorieux tout autant que vers des précipices. Car, loin d’être un simple outil procédural, le RIPC est avant tout un serment. Une promesse d’émancipation intellectuelle et politique, une déclaration officielle de réconciliation entre les aspirations communes et les intelligences collectives aux contraintes du réel implacable. Cela dit, comme tout idéal, il doit être protégé de ses propres excès. Pour ce faire, il convient d’ériger des garde-fous irréfragables, d’une ingénierie presque architecturale, où chaque détail – qu’il soit juridique, technologique ou pédagogique – joue le rôle de colonne soutenant cet édifice de liberté auscultée, raisonnée, contrôlée.
Pour que le RIPC ne dégénère pas en un théâtre chaotique de passions éphémères, il faut impérativement lui adjoindre une instance tutélaire d’une rigueur intellectuelle et morale irréprochable : la mise en place d’une Haute Autorité Constitutionnelle Indépendante (HACI). À la croisée des institutions garantes de l’État de droit et des sages conseils des Anciens et inspirée des grandes institutions de régulation démocratique, telles que le Conseil constitutionnel en France ou la Cour suprême aux États-Unis, cette entité serait le fruit d’un assemblage exigeant des plus éminents esprits de la République mauricienne. Ses membres, préférés pour leur probité et leur discernement au-delà de toute observation partisane ou considération communautariste, seraient les sentinelles circonspectes d’une clôture référendaire exempte de toute sinistre et nocive portée. Leur mandat ? S’assurer que chaque proposition soit décantée à l’aune des principes universels de paix, de justice, de liberté, d’égalité, de fraternité et de respect des droits fondamentaux. Ainsi, les utopies dangereuses ou les tentations les plus délirantes seraient refoulées aux marges de l’histoire, tandis que les propositions porteuses de progrès trouveraient une légitimité renforcée. Un mécanisme similaire existe au Japon, où toute réforme constitutionnelle doit passer par un conseil consultatif avant d’être soumise au suffrage populaire.
De l’urne électronique à l’expression exotechnologique du suffrage universel mauricien
En ces temps où les révolutions numériques redéfinissent les structures mêmes de la gouvernance, la transparence, oxygène indispensable de toute démocratie, doit être érigée en vertu cardinale. Le RIPC se doit donc de tirer parti des avancées les plus sophistiquées en matière de transparence et de sécurité. Imaginez une infrastructure technologique où chaque étape du processus référendaire – de l’initiation d’une proposition à son adoption finale – serait inscrite dans un registre décentralisé, infalsifiable et accessible à tous : la blockchain. Déjà éprouvée dans différents contextes électoraux, des mécanismes avancés tels que les preuves à divulgation nulle de connaissance (Zero-Knowledge Proofs), il serait possible d’offrir à chaque citoyen une participation anonyme, mais parfaitement traçable, conjuguant ainsi les impératifs de confidentialité, de sécurité et d’intégrité. Par ailleurs, des systèmes hybrides, combinant bulletins papier et outils numériques, ajouteraient une couche supplémentaire de fiabilité et d’auditabilité, comme l’illustrent les modèles les plus avancés. Pareilles architectures feraient non seulement figure d’exemple autant pour la région de l’océan Indien, et plus largement de l’Indopacifique, que pour le reste du monde, mais établiraient également une nouvelle norme de confiance citoyenne, où l’exotechnologie ne serait plus indûment assimilé à un simple outil, mais une véritable alliée de la démocratie, plus participative, plus directe. Et maintenant, pour éviter toute surcharge référendaire ou dispersion des énergies citoyennes, plusieurs principes régulateurs doivent être instaurés. Un plafond de propositions par quinquennat pourrait être fixé, restreignant les amendements à des questions d’importance nationale ou structurelle. Par ailleurs, une clause de temporisation s’avérerait fort salutaire : une fois validée, toute proposition bénéficierait d’un délai de six à douze mois avant sa mise en œuvre définitive. Inspirée des pratiques helvétiques, cette période permettrait d’affiner les réformes, d’approfondir les débats publics et de désamorcer les éventuelles incohérences. En outre, un financement indépendant, assuré par une taxe minime sur les transactions financières, garantirait l’autonomie et la pérennité du mécanisme, à l’abri des contingences budgétaires ou des ingérences politiques, affairistes et souvent mues par des d’intérêts mercantiles ou personnels qui dénaturent l’intégrité et l’objectivité des décisions, nuisant à la véritable et fondamentale impartialité.
Mais toute technologie, si brillante soit-elle, demeure lettre morte sans l’engagement actif de citoyens éclairés. Le succès du RIPC repose de ce fait sur une refonte complète de l’éducation civique, pensée comme une renaissance culturelle à l’échelle nationale. Inspirée des idéaux humanistes et des pédagogies les plus performantes et prospectivistes, cette éducation devrait être conçue non pas comme une simple transmission de savoirs, mais comme une quête initiatique et holistique, à la réflexion critique et à la prise de décision éthique et assurément intelligente. Investis de responsabilités nouvelles, les Mauriciens doivent être préparés à exercer ce pouvoir avec discernement et rigueur. Cette réforme pédagogique ambitieuse pourrait inclure, dès le plus jeune âge, des modules de pensée critique, de rhétorique et de logique argumentative, inspirés des méthodes scandinaves. Pour les adolescents et jeunes adultes, des modules de philosophie politique, des ateliers de simulation parlementaire et des débats publics réguliers pourraient ainsi aider à transformer la société mauricienne en une véritable agora moderne. Pour les plus âgés, des campagnes nationales d’alphabétisation démocratique et des ateliers participatifs offriraient certainement les outils nécessaires à une compréhension approfondie des enjeux institutionnels. Par ailleurs, la création de cercles citoyens intergénérationnels permettrait de tisser des liens entre les générations, offrant aux plus jeunes la sagesse de l’expérience et aux plus âgés la fraîcheur des perspectives nouvelles et des clairvoyances inédites. Quoi de mieux adapté à l’écriture du roman national mauricien lorsque cultiver sa mémoire civique collective le mentorat intergénérationnel en est privilégié ?
Mais enfin, l’intégrité du RIPC repose en effet sur des mesures dissuasives distinctes et inflexibles. Toute tentative de manipulation ou de détournement de ce processus démocratique sacré devrait être considérée comme une atteinte inadmissible à la souveraineté nationale et châtiée avec la plus immense sévérité. La création d’un tribunal constitutionnel spécial, doté de pouvoirs exceptionnels, s’impose pour juger de telles infractions. Ce tribunal pourrait infliger des sanctions exemplaires, incluant l’inéligibilité à vie pour les responsables et des amendes d’une ampleur foncièrement accablante. En définitive, le RIPC, s’il est porté avec l’intelligence, la constance et la prudence qu’il mérite, il pourrait inaugurer une nouvelle ère pour la République mauricienne et devenir nettement plus qu’une élémentaire mécanique institutionnelle : un commensalisme copieusement fin, complexe et délicat entre la liberté des individus et la raison d’État, entre cette aspiration individuelle et le destin collectif de toute la nation mauricienne. Néanmoins, réussir cette entreprise requiert une discipline de chaque instant, une garde collective et, surtout, une humilité profonde afin de comprendre que servir le bien commun plutôt que les passions éphémères de chacun profiteront à tous, individuellement.
Docteur Navin Ramgoolam, un moment charnière s’offre à vous, un moment où l’histoire exige du courage politique, d’une part et de la volonté politique, d’autre part. En franchissant ce Rubicon, guidé par l’aplomb des grands hommes qui transforment les crises en opportunités, vous pourriez inscrire à l’encre d’or, comme votre père avant vous, votre prénom dans l’éternité authentique de l’histoire mauricienne. Car la grandeur, Docteur, ne se mesure pas à l’absence d’erreurs, mais bien à la capacité de confectionner l’impossible au cœur même du possible. Ainsi, par-delà les doutes et les tumultes, c’est dans le delta rayonnant de son devenir que la nation mauricienne – qui doit d’abord éclore – se dressera, ferme et résolue, prête à façonner son propre destin avec majesté et sagesse aux vivats de paix, de justice et de liberté.
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