L’accord entre Maurice et le Royaume-Uni sur les Chagos : Victoire historique ou trahison ?

Reynolds MICHEL

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De La Réunion

Le jeudi 3 octobre, je me trouvais à Maurice avec mon épouse chez des amis. Avec toute l’île Maurice, nous attendions dans la soirée l’annonce de la dissolution du Parlement en vue des prochaines élections législatives prévues au mois de novembre. Mais c’est une autre information que le Premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth, tout réjoui et heureux, est venu annoncer : « Notre République est en train de vivre un moment historique. Je viens d’avoir une conversation téléphonique avec le Premier ministre britannique, Sir Keir Starmer, et nous sommes parvenus à un accord sur les Chagos. Je suis fier de vous annoncer que l’Angleterre, à travers cet accord, reconnaît notre souveraineté sur les Chagos, incluant Diego Garcia… Aujourd’hui, 56 ans après notre indépendance, notre décolonisation est complétée. Aujourd’hui notre hymne national peut résonner encore plus fort sur tout notre territoire. »

Une avancée historique pour le peuple chagossien

C’est évidemment avec une joie immense que des Chagossiennes et des Chagossiens ont accueilli cette annonce historique, après plus de cinquante ans d’exil forcé, qualifié par l’ONG Human Rights Watch de « crime contre l’humanité » et de « crime colonial ». Et ce, après un long combat pour le retour sur leurs îles, lié étroitement à des décennies de souffrances et d’espoir. Certes, les exilés Chagossiens et leurs 8 000 descendants ne pourront retourner que sur deux des trois îles de peuplement (Salomon et Peros Banhos) de l’archipel, une fois l’accord concrétisé par la finalisation d’un traité. Car l’accord autorise les Britanniques à conserver leur base militaire « pendant une période initiale de 99 ans » en y exerçant « des droits souverains » sur Diégo Garcia « pour assurer la poursuite de l’exploitation de la base ».

Malgré cette restriction, cet accord a été salué par le président du Groupe Réfugiés Chagos, Olivier Bancoult, comme une victoire historique. « Cela fait plusieurs années depuis que nous nous sommes engagés dans ce combat pour la justice. Nos droits fondamentaux et notre dignité ont été bafoués […] Aujourd’hui, c’est un sentiment de satisfaction, car les Britanniques, qui ne voulaient pas entendre parler de nous, nous parlent maintenant de relogement ! ». De plus, poursuit-il : « nous pensons qu’une cohabitation sur Diego est possible, d’autant que des Philippins et des Sri Lankais y vivent déjà. Pourquoi pas les Chagossiens » (Olivier Bancoult, ‘‘Notre combat ne s’arrête pas là’’, dans Week-end, 6 octobre 2024).

Pour Georges Gauvin, le président du Comité Solidarité Chagos La Réunion, il s’agit d’un grand pas en avant. « Pour nous Réunionnais qui luttons aux côtés des Chagossiens pour leur retour au pays des ancêtres, la question qui nous importe le plus est celle de ce retour, qu’ils n’ont jamais cessé d’affirmer comme leur but suprême », écrit-il dans un communiqué de presse (Imaz Press, 04/10/2024). L’Union Africaine (UA), qui s’est fortement impliquée dans les négociations…, se félicite de l’heureux dénouement. Par la voix du Président de la Commission, S.E. Moussa Faki Mahamat, l’UA salue « cette étape importante qui constitue une victoire majeure pour la cause de la décolonisation, le droit international et l’autodétermination légitime du peuple mauricien, mettant ainsi fin à des décennies de conflits » (Afriquinfos, 07/10/2024).

Des critiques légitimes
de la part des forces vives mauriciennes

L’accord conclu le jeudi 3 octobre 2024 entre Maurice et le Royaume-Uni sur les Chagos ne fait pas consensus chez les Mauricien-ne-s. D’abord, le timing de l’annonce de l’accord, la veille de la dissolution du Parlement mauricien en vue des législatives – un coup de pouce au Mouvement (MSM) de Pravind Jugnauth au détriment de l’opposition. Ensuite et surtout le compromis trouvé à propos de Diego Garcia, qui héberge la base militaire américaine. Pour une période initiale de 99 ans, le Royaume-Uni, via les États-Unis, pourra poursuivre l’exploitation de la base militaire de Diego. « Maurice est en train de reperdre une partie des Chagos », déclare l’ancien président Cassam Uteem (Week-end, 06/10/2024). « Tant que Diego restera une base militaire, cela empêchera Maurice d’exercer pleinement sa souveraineté. C’est un subterfuge », déclare Jean Claude de l’Estrac, en sa qualité d’observateur politique et d’ancien ministre des Affaires étrangères (rfi, 10/10/2024).

Par cet accord, disent d’autres observateurs et militants politiques, Maurice se retire du groupe des pays non-alignés dont il est membre, en pointant la perte de sa crédibilité sur la scène internationale. Pour les mouvements et partis politiques qui militent pour la démilitarisation de l’archipel, comme le parti Lalit par exemple, cet accord est inacceptable. Il convient pour Lalit notamment de ne pas dissocier souveraineté, déplacement et occupation militaire. « C’est une trahison envers le pays et envers les Chagossiens », déclare pour sa part Sylvio Michel, des Verts/OF. Sylvio Michel avec son frère Élie, dont je salue le courage et la détermination pour la défense de la communauté créole, ont été parmi les premiers à soutenir les Chagossien-ne-s dès leur arrivée à Maurice, et ce durant des décennies. Quant à l’opposition (Parti travailliste et MMM) elle conteste le droit du Premier ministre à décider tout seul d’une question aussi capitale pour le pays (Week-end du 6 octobre 2024).

Le respect des droits
des Chagossien-ne-s où qu’ils/elles se trouvent

Pour en revenir aux Chagossien-ne-s, un certain nombre, notamment ceux et celles qui sont installé-e-s en Angleterre, déplorent leur exclusion des négociations ayant conduit à l’accord du 3 octobre 2024. « Chaque fois que nous avons demandé à être entendus, nous avons été exclus », a déclaré une Chagossienne à la BBC (06/10/2024). Comme il s’agit d’un accord bilatéral entre le Royaume-Uni et Maurice, on peut comprendre cette non-implication des Chagossien-ne-s. Mais « maintenant que nous avons un accord, les Chagossiens doivent être pleinement impliqués dans les négociations. Nous ne sommes plus dans un esprit contentieux, mais dans un esprit conciliatoire » a déclaré Me Robin Mardemootoo, homme de loi du Groupe Réfugiés Chagos (L’express du 06/10/2024).

En effet, ils/elles doivent être pleinement impliqué-e-s et entendues, car leurs besoins et leurs demandes ne sont pas les mêmes. Les problèmes sont différents pour celles et ceux qui veulent s’établir au Chagos et celles et ceux qui veulent continuer à vivre au Royaume-Uni – un certain nombre vivent dans des conditions très précaires, toujours à la recherche d’un logement – ou aux Seychelles ou encore à Maurice. Certains revendiquent « le droit à l’autodétermination ». C’est dire que l’accord du 3 octobre n’est qu’un début, mais une étape décisive dans leur longue marche vers plus de dignité et de reconnaissance pour les Chagossien-ne-s. Cet accord est comme une étape vers la « reconquête de mon identité, de mon héritage et de ma patrie », déclare Isabelle Charlot, la présidente du Chagos Islanders Movement (BBC News, 06/10/2024).

Cet accord du 3 octobre 2024 intervient, il convient de le rappeler ici, au bout de 11 cycles de négociations et après des années de résistance acharnée du gouvernement britannique face aux décisions judiciaires et aux résolutions des Nations-Unies. Certes, tout n’est pas acquis, mais « c’est vraiment le droit international, l’état de droits pour les Chagossiens et pour les Mauriciens. C’est un très grand moment » (Philippe Sands ». « C’est énorme ce qui est arrivé jeudi » (Robin Mardemootoo). C’est une très grande avancée historique.

Accroche

Pour Georges Gauvin, le président du Comité Solidarité Chagos La Réunion, il s’agit d’un grand pas en avant. « Pour nous Réunionnais qui luttons aux côtés des Chagossiens pour leur retour au pays des ancêtres, la question qui nous importe le plus est celle de ce retour, qu’ils n’ont jamais cessé d’affirmer comme leur but suprême », écrit-il dans un communiqué de presse (Imaz Press, 04/10/2024).

 

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