Il était une fois la francophonie…
Sonnez hautbois, résonnez musette ! Tiraillements, renoncement et reniement ? Halte à la domination ! La violence s’intensifie chaque jour dans les anciennes colonies françaises où la magnificence de la France est montrée du doigt. Les tensions s’accentuent, le malaise s’accroit. Fautes politiques et bavures diplomatiques, on ne pardonne plus rien ! Le ton est à la colère et il nous semble voir poindre l’heure de la sanction. Un conte de fées se termine ?
Peut-on encore espérer des jours meilleurs avec l’appui d’un grand allié, la langue française, elle aussi décriée et menacée… ?
La glorieuse cité de la langue française…
Et si on se remémore le cheminement de cette belle dame ? Elle, qui porte l’esprit français et qui pourrait servir de médiatrice au cœur de ces conflits infâmes…
Pour lui redorer le blason une « cité internationale » a été érigée en son honneur au château royal de Villers-Cotterêts à une soixantaine de kilomètres de Paris.
Cette cité inaugurée en octobre 2023 nous retrace son histoire. Dans ce lieu symbolique où fut promulguée l’ordonnance de Villers-Cotterêts par François 1er en 1539 pour imposer la langue française comme langue juridique et administrative, tout a été mis en œuvre pour nous rappeler la vitalité de la langue française au fil des siècles.
En pénétrant la cour du jeu de paume du château de Villers-Cotterêts qui abrite la Cité internationale de la langue française, le visiteur est frappé par une verrière rayonnante de mots et d’expressions suspendus présentant rapidement la langue française dans toute sa diversité… et cela en résonance avec Alexandre Dumas, dont la majestueuse statue trône au centre de la ville. Dotée d’un très riche parcours muséographique et interactif, la cité internationale dédiée à la langue et aux cultures francophones propose à ses visiteurs des expositions temporaires, des ateliers mensuels et des animations très variées.
Si on imagine un conte de fées, la langue française incarnant l’âme française apparait comme une brave princesse, merveilleusement parée pour valser et tourbillonner avec allégresse dans le monde. Riche de ses atouts et élue pour rayonner, elle traverse les siècles avec brio. Même si la langue française devient la langue officielle du droit et de l’administration à la place du latin au XVIe siècle, c’est en 1789 que les révolutionnaires l’imposent comme une langue qui unit toute la France. Perçue comme langue de prestige dans beaucoup de pays, elle verra sa diffusion s’accroitre davantage en France au XVIIIe siècle grâce aux grands écrivains, philosophes et encyclopédistes comme Diderot et d’Alembert. Bien des esprits seront marqués lors de la propagation de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.
Au sommet de sa gloire, elle subjugue bien des peuples qui l’adoptent pour exprimer leurs idées avec clarté. Certains lui portent même un culte pour s’élever et se libérer. Aimée, honorée avec respect et enrichie de mille façons soit par un accent chantonnant, soit par un savoureux vocabulaire local et des tournures syntaxiques amusantes, elle devient une langue internationale, métissée et ouverte aux dialogues, dit-on. Au détour des voyages, la langue de « domination », séduit et évoluera vers une langue « d’émancipation ». Elle devient accueillante.
Dans le monde, on lit, on écrit et on chante en français. Les littératures francophones attestent de la présence de la France et de sa culture à l’étranger, dévoilant l’histoire des différents peuples du monde et l’interpénétration des cultures par une production dynamique et foisonnante. Au travers de la musique, la langue française trouve également des ambassadeurs et ambassadrices de la culture française. Du 30 novembre 2024 au 5 janvier 2025, lors de sa première exposition temporaire intitulée « c’est une chanson qui nous ressemble… », la Cité internationale de la langue française présentait les succès mondiaux des musiques populaires francophones. On y retrouvait des artistes d’origines géographiques diverses qui ont marqué les esprits de génération en génération comme Henri Salvador, Edith Piaf, Mireille Mathieu, Charles Aznavour, Georges Moustaki, Céline Dion, Patricia Kaas, le groupe Kassav, Zaz, Stromae, Indila… L’association de la langue française à la musique pour favoriser son apprentissage en classe de français dans une ambiance joyeuse fait partie des méthodes ludiques couramment exploitées par les professeurs de Français Langue Etrangère (FLE). La sélection de chansons spécifiques permet d’explorer une thématique donnée, d’aborder une notion grammaticale ou d’enrichir le vocabulaire. Par exemple, la « Dernière danse » d’Indila explore le thème de l’exclusion en employant un vocabulaire simple et facile sur un rythme lent. La chanson « On ira » de Zaz donne des idées pour étudier le futur simple et le discours indirect. Avec la chanson très connue de Jacques Brel « Ne me quitte pas », on peut étudier en même temps, l’impératif, le futur et le passé composé… Des fiches pédagogiques sont alors conçues à partir des paroles de chansons en vue d’approfondir plusieurs compétences à l’oral et à l’écrit. Les apprenants peuvent également améliorer leur prononciation en répétant les paroles. Pour éviter que le français se laisse distancer, les Instituts français et TV5monde encouragent l’exploitation de la chanson francophone comme ressource pédagogique dans l’apprentissage du FLE. Et ceci participe au rayonnement de la langue française au-delà de la cité glorieuse…
Et le patrimoine des « petits » villages
Perçue comme une « langue-fratrie empreinte d’humanisme », une « langue-monde » qui rassemble, la langue française peut aussi briller de ses mille feux dans des petits villages. En octobre 2024, lors du XIXe sommet de la francophonie inauguré à la Cité internationale de la langue française, il était question de débattre sur la possibilité de « créer, innover et entreprendre en français » pour les quelques 300 millions de francophones vivant sur les cinq continents. Pour saisir la portée de ce thème, au cœur du 19e arrondissement de Paris, l’espace culturel Cent-Quatre a abrité un « Village francophone » d’une trentaine de pavillons du 2 au 6 octobre proposant un programme pluridisciplinaire fondé sur le multiculturalisme.
On peut citer deux exemples qui illustrent la créativité de la langue française et sa faculté d’évoluer en symbiose avec d’autres cultures. Le Fusionnaire (1), un dictionnaire électronique collaboratif proposait un ensemble de mots issus de la fusion des langues. Conçu par l’artiste portugais Filipe Vila-Boas, il met bien en valeur une nouvelle identité assumée par la langue française ; métissée et inventive, elle évolue au contact d’autres langues, reflétant le multiculturalisme français. La directrice de la société Topeci présentait fièrement le premier livre bilingue français-baoulé audio et interactif destiné à des enfants de plus de 3 ans pour leur faire explorer la culture ivoirienne à l’aide de 150 mots et phrases du quotidien. La présence de la langue française bien vivante peut résonner ainsi encore de plusieurs façons. Comment ne pas s’émouvoir à la Halle St Pierre dans le 18e arrondissement de Paris lorsqu’elle expose l’œuvre du poète-artiste mauricien, Malcolm de Chazal de septembre 2024 à janvier 2025 ? Quel honneur de représenter son pays au cœur d’une telle dynamique culturelle et de faire découvrir par le prisme de son « Sens plastique », le « souffle de l’universel », une ouverture au-delà des frontières !
Dans la ville lumière, la rencontre des cultures ne cesse de se développer lors de manifestations variées pour élargir nos horizons. Le 24 janvier 2025, au théâtre pédagogique de l’Université de la Sorbonne Nouvelle a eu lieu la représentation de Sacountala. Écrite par Kalidasa, poète indien du début de notre ère, et admirée par Lamartine et Goethe, cette œuvre dramatique a fait salle comble, captant toute l’attention des spectateurs grâce à l’adaptation scénique merveilleusement bien réalisée par Florent Chaillot. En découvrant la pièce lors du concours d’agrégation de littérature comparée ayant au programme l’étude du thème de l’amour et de la mémoire, le metteur en scène, fasciné par la qualité littéraire du texte, décide d’en faire une représentation théâtrale. À partir d’une traduction réalisée en français en 1884 par Abel Bergaigne et Paul Lehugeur, il réussit à mettre en résonance la culture indienne et les codes du théâtre européen.
L’intrigue qui se passe dans une Inde profondément ancrée dans ses traditions raconte la répudiation « injuste » d’une femme par son mari. Huit comédiens incarnant les différents personnages clament le texte poétique dans un langage tout à fait accessible. Ils évoluent sur scène de façon fluide dans des costumes sobres, aux couleurs symboliques adaptés à chaque scène (marron-forêt, bleu-palais royal et vert-ermitage céleste). Dans ce décor, le temps et l’espace s’effacent devant la présence du personnage-clé, Sacountala. Malheureuse victime d’une malédiction, elle résiste de façon intelligente à son sort et s’oppose à l’injustice. Devenue mère, elle fait preuve de bienveillance, transcende ses blessures et pardonne à son époux sa désertion. Avec cette belle leçon de générosité, elle nous rappelle l’universalité des valeurs humaines.
Véritable atout pour l’échange et le partage, le dialogue des langues et des cultures enrichit l’homme. Dans l’arène des francophonies plurielles, la langue française a évolué et grandi. Saura-t-elle participer de façon créative et équitable à la réconciliation des peuples ?
À suivre…
(1) https://www.fusionnaire.org/about
Pravina Nallatamby, membre du CILF (Conseil international de la langue française) à Paris
Jyoti Nallatamby, étudiante en Master de Management culturel à l’Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris