La fable de l’âne qui devint Empereur

Il était une fois, dans un très étrange et très beau pays, un âne, l’âne Empero. Il était gentil, bien élevé, réservé, généreux, cultivé (il cultivait surtout des carottes). Il savait chanter (pas comme une casserole, précisons-le), danser (le ballet en compagnie d’ânesses), dessiner (de belles carottes), et sculpter (sa plus belle sculpture étant “L’Âne qui ne pense pas”).

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Un âne merveilleux, en d’autres mots, mais qui souffrait d’un mal profond : un manque total de confiance en soi. Les remarques désagréables et méprisantes des humains n’y étaient pas étrangères.

 

Têtu comme un âne.

Cesse de faire l’âne !

Tu passes du coq à l’âne !

Mener un âne à la foire.

Cet âne, doté de toutes les qualités et de tous les talents, aurait dû être heureux. Mais non. Il ressassait chaque jour son mal-être.

— Je ne vaux rien.

— Je suis bête comme un âne.

Il avait tenté plusieurs thérapies. Il s’était lancé, avec enthousiasme, dans une carrière d’influenceur, persuadé que c’était le métier idéal pour ceux qui ont moins de deux neurones dans le cerveau, mais sans succès. Il postait des photos de lui à la plage, dans un hôtel luxueux, dans des lieux touristiques connus : Londres, Paris, Istanbul et Vacoas-New York. Mais il n’avait, en tout et pour tout, que quatre followers : ses parents défunts, le chat du voisin et son ex, une ânesse fort charmante.

Il avait, par ailleurs, suivi une thérapie psychanalytique, mais au bout de quelques séances, son thérapeute était devenu complètement fou.

Il n’en pouvait plus.

Il souffrait d’un mal incurable.

Ou peut-être pas ?

Un jour, son chemin croisa celui de la fée Carabossebosse. Il faut savoir que celle-ci venait de gagner un prix exceptionnel au Loto des Fées : un séjour de deux jours dans un hôtel en compagnie d’un génie. Que peut-on demander de plus ? Elle était au comble du bonheur.

Quand elle le vit avec son air misérable, elle comprit qu’elle devait l’aider.

— Que puis-je faire pour toi, pauvre petit âne ? Je suis la fée Carabossebosse, je peux réaliser tous tes vœux.

— Je ne sais pas, gentille fée… Je suis trop bête.

— Dis-moi ce que tu veux, le beau génie m’attend, je suis pressée.

Notre âne s’enhardit à lui dire :

— Puis-je devenir un Empereur ? C’est un rêve d’enfant…

— Rien de plus facile !

Et bing ! Et ping ! Et rebing ! Et ding !

Il devint un Empereur ! Il eut aussitôt un royaume, un palais, des ministres, un peuple à administrer. D’abord, son nouveau rôle le mit mal à l’aise. Il se demandait s’il serait à la hauteur.

Mais très vite, il se prit au jeu.

Il était désormais important, l’Honorable Excellence Trop et Très Excellent l’Empereur Empero.

Et le pouvoir monte très vite au cerveau, qu’il contienne deux ou trois milliards de neurones.

Les humains qui le méprisaient ne tarissaient plus d’éloges.

— Vous êtes merveilleux, courageux, sublime !

Ses fans, par millions, se jetaient littéralement à ses pieds. Et ne parlons pas des privilèges. Il voyageait en jet privé dans de nombreux pays (reconnaissons qu’il n’est pas aisé pour un âne bien qu’il soit Empereur de s’immiscer dans un avion), et rencontrait les grands de ce monde. Il habitait un magnifique palais et ses nombreux serviteurs, humains et ânes (Empero militait pour l’émancipation de ses congénères), cédaient à ses moindres caprices.

Et cerise sur le gâteau, les plus belles ânesses lui faisaient les yeux doux.

L’exercice du pouvoir ne va pas sans difficulté. Certains, des personnages odieux, jaloux, stupides, critiquaient sa politique économique, son autoritarisme, ses soi-disant excès. Il fut obligé de les emprisonner.

— En prison, messieurs dames, vous y apprendrez les bonnes manières !

Il comprit rapidement que, pour régner, il suffisait de mentir, de corrompre, de faire de fausses promesses et de semer la zizanie parmi des citoyens résolument et joyeusement crédules.

Ainsi, Empero, malgré les aléas de la vie politique, vécut heureux pendant plus de dix ans.

Puis, un jour, survint un malheur.

Il recroisa la fée Carabossebosse qui, entre-temps, avait vieilli et pris quelques kilos. Son histoire d’amour avec le génie avait mal tourné.

— Comment vas-tu, chère fée ? Cela fait longtemps !

— Très mal, ô Empereur, j’ai rompu avec le génie…

— Mais qu’est-ce qui s’est passé, chère fée ?

— Ben… le génie a le génie de la connerie !

— Je suis navré…

— Le problème, c’est que, suite à ma dépression amoureuse, j’ai perdu tous mes pouvoirs. Tu ne seras plus Empereur dans exactement 33 secondes.

— Je t’ordonne de conserver ton pouvoir ! Je t’ai mise sur écoute, si tu ne m’obéis pas…

— C’est trop tard, ô Empereur.

Et la fée s’en alla.

Et Empero redevint un âne.

Transition brutale, vous en conviendrez.

Sa vie devint un enfer. Il était à nouveau le pauvre âne méprisable. Il tentait bien de rappeler aux humains :

— Je suis votre ex-Empereur, vous vous en souvenez ?

Plus personne ne l’écoutait, ne le prenait au sérieux.

Un jour, il grimpa au sommet d’un gratte-ciel et hurla :

— Vénérez votre Empereur !

Des insultes mêlées à de la sauce tomate lui tombèrent dessus. Il dut s’enfuir.

Mais la fin de cette fable est heureuse.

Avec le temps, Empero devint sage. Il comprit que le pouvoir est une maladie de l’âme, qu’il rend fou.

Que plus on possède, moins on est.

Il accéda, à la fin de sa vie, à une gloire cette fois-ci légitime.

Il relança sa carrière avortée sur les réseaux sociaux et devint une star. Sa page, La sagesse d’un âne qui fut Empereur, comptait des milliards de followers.

Il postait des conseils pratiques, des perles de sagesse, qui inspiraient ses disciples.

Une de ses paroles était devenue une formule sacrée : ‘Soyez fidèle à ce que vous êtes – âne, humain, fée ou banane – et vous serez fidèle au bonheur.’

Il était enfin heureux, réconcilié avec ce qu’il était.

Pas une lumière, il serait toujours un peu lent, un âne quoi… mais une lumière infime au cœur du monde. Une lumière qui rendait le monde un peu moins sombre.

 

Umar Timol

 

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