Des élections à Maurice se définissent traditionnellement comme une lutte entre deux blocs, qui se font et se défont au gré des alliances tactiques et politiques pour le pouvoir. Au point où les protagonistes engagés dans ces arrangements politiques à géométrie variable doivent souvent tourner la langue sept fois dans leur bouche avant de s’en prendre à leur adversaire politique du jour.
Ayant déjà été des Electoral Bedfellows dans un passé récent ou lointain, ils peuvent se retrouver dans la position de kras anler tom lor nene. Mais pour le rendez-vous du dimanche 4 mai, l’enjeu dépasse le simple cadre du bras de fer politique entre blocs.
Et cela, même si des observateurs aguerris de l’échiquier politique sont déjà perdus dans des conjectures quant à l’issue de ce scrutin. C’est leur droit légitime et démocratique. Rien à redire, même si les candidats devant être potentiellement alignés dans les 120 arrondissements des cinq villes ne sont pas encore connus officiellement.
Par contre, les leaders politiques, dont au moins un comptant plus d’un demi-siècle, pour être exact bientôt 55 ans, de campagne électorale, en tenant compte de la victoire de Dev Virahsawmy sous la bannière du MMM dans la circonscription de Pamplemousses/Rivière-du-Rempart (No 5) à la partielle du 22 septembre 1970, savent qu’aucune joute électorale n’est jamais gagnée d’avance. Never take the electorate for granted.
Dans toute campagne où la victoire se dessinait sans appel, le leader du MMM, Paul Bérenger, mettait toujours en garde contre l’arrogance du succès. Son ex-camarade de parti, devenu l’un de ses plus coriaces adversaires politiques, sir Anerood Jugnauth, était réputé pour sa stratégie et sa consigne grate-grate jusqu’à la clôture des bureaux de vote. C’était lors de la traditionnelle revue des circonscriptions avec le dernier feedback de l’évolution sur le terrain le jour du scrutin.
Au début de mars 2009, quand Navin Ramgoolam s’était engagé pour repêcher Pravind Jugnauth avec la partielle à Quartier-Militaire/Moka, il se souvient encore du finish époustouflant ayant permis d’ajouter les voix nécessaires au candidat du MSM pour faire la différence au décompte. L’enjeu des élections municipales du dimanche 4 mai dépasse le simple cadre de cette lutte partisane. La conjoncture, intervenant six mois après la cinglante défaite du Pravind Jugnauth 3.0, fait que le principal obstacle à surmonter se présente sous la forme de la participation populaire.
Ces élections municipales sont organisées après trois renvois par le précédent gouvernement Jugnauth, pour des raisons aussi bancales les unes que les autres, si bien que les électeurs des régions urbaines ont été privés de manière unilatérale de leur droit le plus élémentaire : le vote pour élire les conseillers municipaux. Un taux de participation, nettement au-dessus de la barre des 50 %, taux qui n’avait pas été atteint lors des précédents scrutins, confirmera l’adhésion des Mauriciens au respect des droits fondamentaux et, en même temps, le désaveu de l’électorat face aux pratiques abusives du pouvoir en place.
Certes, le cadre légal a connu un toilettage visant à élargir la base électorale pour le choix de ces conseillers municipaux. L’exercice de compilation d’un registre complémentaire dans les cinq villes, qui prend fin aujourd’hui, est la preuve de cet Extra Mile pour octroyer le droit de vote aux électeurs potentiels non enregistrés.
Les résultats de l’enregistrement auraient pu laisser un arrière-goût aigre-doux. Jusqu’à hier, l’engouement a probablement joué aux abonnés absents. Mais cette initiative de la Commission électorale de rouvrir les registres d’électeurs au lendemain de la publication des Writs of Elections, et ce, par le truchement d’un texte de loi, constitue une avancée non négligeable sur le front de la démocratie. Unanimité à ce chapitre. La pertinence de cette démarche se fera davantage sentir à l’échéance des prochaines législatives, à la fin du présent mandat de cinq ans. Aucun doute à ce sujet.
L’autre cerise sur le gâteau de la démocratie est la rupture avec cette vieille tradition de voir les agents des différents partis prendre place à bord des camions transportant les urnes contenant des bulletins dans un défilé nocturne dans la circonscription. Le Same-Day Counting, qui a enregistré une présence en sourdine lors des dernières élections villageoises ou encore lors de celles pour l’Assemblée régionale de Rodrigues, s’inscrira en lettres d’or avec les municipales en prélude aux échéances de 2029. Un Dry Run à conclure avec succès et dans le respect.
Avec les quelque 400 000 inscrits à la Commission électorale, soit deux électeurs sur cinq, les élections municipales ont valeur de plébiscite pour ce renouveau démocratique, notamment parce que la République n’a plus le droit de faire machine arrière dans le respect sans équivoque de la démocratie. Une mobilisation massive des électeurs pour se rendre aux urnes et exercer le droit de vote de leur choix le 4 mai sera un signal que plus personne, peu importe le contexte et les prétextes, ne peut se permettre de jouer avec le droit de vote. Ce sera cela la victoire dans la nuit du 4 au 5 mai.