La culture littéraire à l’île Maurice : un héritage en péril et une jeunesse à reconquérir

Séverine Martial

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La culture et la littérature sont les piliers d’une société éclairée, des outils puissants pour construire une identité nationale, promouvoir la pensée critique et nourrir la créativité. Elles sont les fondations d’une identité personnelle et collective, les reflets d’une société dans toute sa diversité, et les outils par excellence pour comprendre le monde tout en affirmant ses propres racines. Pourtant, à l’île Maurice, ces deux piliers essentiels semblent relégués au deuxième plan, étouffés par des priorités éducatives et sociétales qui privilégient l’utilitaire au détriment de l’intellectuel et de l’artistique.

Pourtant, la littérature et la culture ne sont pas des éléments fixes ou statiques. Elles évoluent, s’adaptent, et peuvent être revitalisées. Si le constat auprès des jeunes et dans les écoles peut être amer, des solutions ne manquent pas pour insuffler une nouvelle vie à cette scène culturelle qui, bien que discrète, reste pleine de potentiel.

La littérature : un miroir et un ancrage pour l’identité culturelle

La littérature est bien plus qu’un assemblage de mots : elle reflète les réalités et les aspirations d’une société. À l’île Maurice, la littérature a le potentiel unique d’unir des identités plurielles. Elle peut raconter les récits de nos ancêtres venus d’Inde, d’Afrique, d’Europe et de Chine, tout en explorant les défis et les beautés d’une coexistence culturelle complexe. Mais pour que cette richesse prenne tout son sens, encore faut-il qu’elle soit connue, enseignée et valorisée.

Malheureusement, les jeunes Mauriciens sont peu exposés à cette littérature locale. Les romans, les poèmes et les pièces de théâtre qui explorent l’histoire et la culture de leur île sont souvent absents des programmes scolaires. Cette absence crée un vide identitaire : comment se construire en tant que Mauricien si l’on n’a pas accès à son propre récit ? Or la littérature, en particulier mauricienne, peut jouer un rôle crucial dans la construction personnelle. En lisant des textes qui reflètent leur réalité, les jeunes peuvent développer un sentiment d’appartenance et de fierté. Ils apprennent à voir leur culture comme une source de richesse et non comme un élément subalterne par rapport à une culture occidentale à laquelle ils sont davantage exposés.

Une culture littéraire en péril : les dangers de l’oubli

En négligeant sa culture et sa littérature, l’île Maurice risque de perdre son identité. Les récits oubliés et les œuvres non lues emportent des fragments précieux de l’histoire collective. Ce désintérêt affecte aussi les individus, limitant leur capacité à exprimer leurs émotions et à se connecter à leur culture.

Face à la domination des récits étrangers et d’Internet, il est essentiel de redonner à la littérature mauricienne une place centrale, non comme une obligation scolaire, mais comme une source vivante et inspirante.

La culture comme ciment de l’identité collective

Si la littérature aide à construire l’identité individuelle, elle est également un puissant vecteur d’identité collective. À l’île Maurice, où cohabitent diverses cultures, religions et langues, la culture joue un rôle fondamental pour tisser un récit commun qui respecte les spécificités de chacun tout en célébrant les richesses de l’ensemble.

La littérature mauricienne, en particulier, est un témoin précieux de cette pluralité. Des auteurs comme Ananda Devi, Shenaz Patel, Edouard Maunick ou Lindsey Collen ont su capturer les complexités de cette coexistence et donner une voix aux identités multiples de l’île. Cependant, ces œuvres restent souvent méconnues ou inaccessibles pour la majorité de la population, et en particulier pour les jeunes.

Un système éducatif qui néglige les racines culturelles

Dès les premières années d’apprentissage, le système éducatif mauricien tend à privilégier des matières dites premières comme les mathématiques et les sciences, tout en reléguant les disciplines artistiques et littéraires à des activités secondaires. La littérature, lorsqu’elle est enseignée, est largement dominée par des auteurs étrangers, laissant peu de place aux écrivains locaux. Les élèves étudient Shakespeare, Wordsworth ou Orwell, mais combien connaissent les œuvres de Raymonde de Kervern, Pierre Renaud ou Savinien Mérédac ?

Ce déséquilibre a pour effet de couper les jeunes Mauriciens de leur propre culture littéraire. La littérature mauricienne, pourtant riche et variée, est perçue comme un domaine de niche, réservé à une élite ou à des passionnés. En conséquence, les adolescents grandissent avec l’idée que la littérature locale est insignifiante par rapport aux grandes œuvres internationales.

Ce phénomène est exacerbé par un manque de représentation des écrivains mauriciens dans les manuels scolaires et les programmes éducatifs. Ce vide culturel alimente une forme d’aliénation : les jeunes peinent à se reconnaître dans les textes qu’ils lisent et à établir un lien avec leur propre héritage culturel.

Les défis structurels de la scène littéraire mauricienne

Au-delà de l’école, le paysage littéraire mauricien souffre également de plusieurs obstacles structurels. L’accès aux livres reste limité, les bibliothèques sont rares et souvent sous-équipées. De plus, le coût des livres reste prohibitif pour une partie importante de la population.

À cela s’ajoute le manque de soutien institutionnel pour les écrivains. Les auteurs mauriciens peinent à trouver des opportunités de publication et de distribution. Les maisons d’édition locales sont peu nombreuses, et celles qui existent manquent souvent de moyens pour promouvoir efficacement leurs œuvres.

Une jeunesse déconnectée de la lecture et de l’écriture

Les nouvelles générations, immergées dans un monde numérique, se détournent de plus en plus de la lecture. Les réseaux sociaux, les jeux vidéo et les plateformes de streaming captent l’attention des jeunes, confinant les livres au rang d’objets dépassés. Cette tendance n’est pas unique à l’île Maurice, mais elle est exacerbée par l’absence de mesures éducatives et culturelles pour valoriser la lecture et l’écriture.

Pour beaucoup d’adolescents mauriciens, lire un livre est perçu comme une obligation scolaire plutôt qu’un plaisir ou une forme d’évasion. Cette perception est renforcée par l’approche pédagogique, souvent rigide, qui ne laisse que peu de place à l’imagination ou à la découverte personnelle.

De même, l’écriture créative est rarement encouragée dans les écoles. Les élèves, s’ils apprennent à rédiger, apprennent à écrire des dissertations et des analyses, mais peu d’espace est accordé à l’expression artistique ou à l’exploration de leur propre voix. En conséquence, notre jeunesse mauricienne peine à s’approprier les outils de la créativité et à développer un esprit critique et un intérêt authentique pour la littérature.

Relancer la culture littéraire :  des solutions à envisager

Face à ce constat, des initiatives ciblées peuvent être mises en œuvre pour redynamiser la culture littéraire et reconnecter les jeunes à la lecture et à l’écriture. Voici quelques pistes à explorer :

Organiser des événements littéraires pour les jeunes

Des festivals pour enfants et adolescents pourraient éveiller leur intérêt pour la littérature à travers des ateliers d’écriture, des lectures publiques et des rencontres avec des auteurs. Ces activités interactives, comme réinventer une histoire mauricienne ou écrire sur des thèmes personnels, stimuleraient leur imagination tout en valorisant leur patrimoine culturel.

Introduire des jurys littéraires dans les écoles

Les écoles pourraient former des jurys d’élèves pour lire et évaluer des œuvres, notamment mauriciennes. Cette initiative encouragerait la lecture, développerait l’esprit critique et valoriserait les talents locaux, avec des prix littéraires décernés par les élèves pour renforcer leur implication.

Rendre la littérature mauricienne plus accessible

Pour démocratiser l’accès à la littérature locale, il serait essentiel de développer des bibliothèques communautaires et de soutenir des initiatives de prêt de livres, notamment dans les zones rurales. Les technologies numériques pourraient également être mises à profit : par exemple, en créant des plateformes en ligne où les jeunes pourraient accéder gratuitement à des œuvres mauriciennes.

Valoriser les écrivains locaux dans le cursus scolaire

Inclure davantage de textes d’auteurs mauriciens dans les programmes scolaires est une mesure incontournable. Ces œuvres pourraient être étudiées aux côtés des classiques internationaux, offrant ainsi aux élèves une perspective équilibrée et un sentiment d’appartenance culturelle.

Par ailleurs, inviter des écrivains locaux à intervenir dans les écoles serait un moyen efficace de les rendre plus accessibles et inspirants pour les jeunes.

Promouvoir l’écriture créative comme outil d’expression personnelle

Enfin, l’écriture créative devrait être intégrée au programme scolaire comme une activité à part entière. En donnant aux élèves la liberté d’explorer leurs propres idées et émotions à travers l’écriture, on leur permettrait de développer leur confiance en eux et leur créativité.

Une urgence culturelle et éducative

 

« La littérature nous permet de comprendre l’âme de notre île, avec ses multiples identités et ses blessures encore ouvertes” a écrit Khal Torabully.

Il est de notre devoir de relancer l’intérêt pour la culture et la littérature à l’île Maurice car ces domaines jouent un rôle essentiel dans la formation des citoyens de demain.

La littérature est une porte ouverte sur le monde, un moyen de rêver, de questionner, de comprendre et d’agir. Offrons à la jeunesse mauricienne les clés de cette porte. Car en revitalisant la culture littéraire, c’est l’âme même de la nation que nous préservons.

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