La commedia dell’arte

Alors que la COP28 entame sa dernière ligne droite, l’on est déjà en droit de se demander par quel tour de passe-passe les dirigeants du monde réussiront une fois de plus à convaincre de leur engagement climatique sans pour autant avoir à lâcher trop de lest. Sur ce point, ils peuvent déjà se rassurer : quoi qu’ils concèdent et quoi qu’ils signent, rien ni personne ne les obligera à respecter leur parole. Et c’est bien là d’ailleurs l’un des principaux problèmes des COP, organe des Nations Unies qui, par nature, ne rend que dans de très rares occasions ses accords contraignants. Au point que l’on peut raisonnablement se poser la question de la pertinence d’un tel cirque médiatique.
« Cirque », parce que l’on connaît l’urgence depuis plusieurs décennies déjà; « Cirque » parce que depuis l’accord « historique » de Paris, nous n’aurons réduit nos émissions de gaz à effets de serre que de 2%, contre un taux de plus de 40% recommandé par les experts du GIEC afin de maintenir l’élévation des températures sous la barre des +1,5 °C par rapport à l’avènement de l’ère préindustrielle; « Cirque » encore car, alors que l’on sait les énergies fossiles responsables de tous nos malheurs, l’on n’a rien trouvé de mieux que de confier la présidence de la conférence sur le climat à un prince du pétrole… Cirque, cirque, cirque… avec des clowns à tous les étages. Autant dire que l’on doit s’amuser pour le moment dans les gratte-ciel de Dubaï.
Concernant justement ce conflit d’intérêts apparent entre les objectifs affichés de la COP et la ville où cette 28e édition a posé ses valises, et que nous dénonçons depuis des mois déjà dans ces colonnes, comment interpréter la polémique soulevée il y a quelques jours par la BBC concernant Sultan al-Jaber ? Ce dernier, pour rappel, est soupçonné d’avoir profité de la COP, dont il est président, pour avoir préparé des réunions d’affaires avec au moins 27 gouvernements étrangers avant le sommet, avec la clé de juteux contrats pour la vente d’énergie fossile. En l’absence de preuves, nous nous contenterons juste de dire que l’on ne confie pas plus les clés d’une chocolaterie à un amateur de douceurs que celles d’un centre commercial à un acheteur compulsif.
S’il y a en revanche un fait indéniable, c’est que Sultan al-Jaber s’est rendu coupable de « crime de déni » caractérisé. Selon lui en effet, mettre fin aux énergies fossiles pourrait « ramener l’humanité à l’âge des cavernes ». Une figure de style, croyez-vous ? Peut-être. Mais alors que penser lorsqu’il dit ne vouloir souscrire « en aucun cas à des discussions alarmistes », ajoutant qu’« aucun scénario ne dit que la sortie des énergies fossiles nous permettra d’atteindre +1,5 °C » ? Des propos qui auront (heureusement) suscité un tollé, notamment dans la communauté scientifique, et envers qui, disons-le clairement, le président la COP aura été in… Sultan !
Cette parenthèse fermée, arrêtons-nous un instant sur l’agenda de la COP28 et ses « avancées ». Avec une première question : pourquoi avoir perdu une journée sur le lien entre crise climatique et santé. Certes, la pollution de l’air tue (sept millions de morts par an selon l’OMS), mais était-on obligé d’y consacrer une journée, tout cela pour s’entendre répéter que « oui, la pollution tue ! » ? Que de temps perdu ! Temps que l’on aurait pu par exemple consacrer à chercher à convaincre les géants de l’industrie du pétrole et du gaz à augmenter leurs efforts. Car pour l’heure, seule une cinquantaine d’entre eux (40% de la production mondiale) s’est engagée à décarboner ses opérations. Et encore : d’ici… 2050. Ce qui leur laisse un moratoire de 25 ans pour épuiser leurs gisements et, accessoirement, assister à la multiplication des phénomènes extrêmes.
Enfin, 118 pays se sont engagés à tripler leurs capacités d’énergies renouvelables d’ici 2030. Génial, non ? En apparence du moins, car la part du renouvelable au niveau mondial étant actuellement de 12%, cela signifie donc que l’on ambitionne d’atteindre 36% d’ici six à sept ans. Outre le fait qu’il ne s’agit que d’une annonce, et que les chances d’atteindre cet objectif sont minces, cela laisserait encore une part de 64% aux énergies fossiles. Belle avancée en effet ! Autant dire que rien ne changera de sitôt dans cette triste pièce de la comédie humaine, et où la ruse du politique et l’ingéniosité du commerçant se frottent les mains devant notre incroyable naïveté.