La Citadelle : La police soupçonne un acte planifié et prémédité de l’escadron

– Une dizaine d’arrestations à hier avec deux suspects inculpés au tribunal de Port-Louis

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Les Casernes centrales entretiennent de forts soupçons à l’effet que les violences survenues lors d’un concert caritatif à La-Citadelle, actes attribués à un escadron, avaient été planifiées et préméditées, à l’avance, soit bien avant le début de l’événement, soit depuis samedi après-midi. Une série d’éléments portés à la connaissance des enquêteurs de la police tendent à soutenir ce scénario. D’abord, plus de la moitié de la première dizaine de suspects appréhendés jusqu’ici viennent de Beau-Bassin/Rose-Hill et que leur venue dans la capitale samedi n’aurait pas été décidée au dernier moment.

De ce fait, la police écarte sans problème le fait que l’origine de l’incident serait que la musique aurait dérangé les habitants alentours. La pollution sonore ne pouvait être la raison de ces actes prémédités. D’autant qu’aucun suspect en détention n’habite dans les quartiers voisins et que le concert devait prendre fin avant 22h, soit à peine 20 minutes après l’arrivée des fauteurs de trouble.

Autre élément avancé par la police : des suspects étaient munis d’armes tranchantes et de bâtons télescopiques, ce qui laisse penser que le coup était non seulement prémédité, mais qu’il visait avant tout de faire semer la peur et d’instaurer un climat de frayeur. « Leur but était d’instaurer une atmosphère de frayeur, de faire peur », explique un haut gradé de la police affecté à cette enquête délicate.

Pour les besoins de l’enquête, la Major Crime Investigation Team (MCIT), en charge du dossier, compte solliciter un Judge’s Order afin d’examiner la mémoire des cellulaires des suspects. Les limiers veulent établir le réseau de communication mis en place en vue de démasquer cet escadron, ou encore identifier le cerveau derrière ce rendez-vous dans un faubourg de la capitale. Ils étaient plus d’une vingtaine de jeunes à répondre à cet appel et à débarquer à La-Citadelle samedi soir.
Les enquêteurs sont par ailleurs en possession d’images des caméras du Safe City Network, sur lesquelles l’on voit le mouvement de ce groupe d’individus. Grâce à ces images, un ASP et son équipe avaient rapidement quitté le Divisional Sub-Headquarters de Metro Nord, à Abercrombie, pour se rendre à La Citadelle afin de prévenir les membres du public. Les policiers allèguent qu’ils auraient cependant éprouvé des difficultés à pénétrer l’enceinte de La-Citadelle. Car des membres de la sécurité, issus du privé, leur auraient interdit l’accès au podium.

Autre élément : à l’origine du mécontentement de ces individus se trouverait la chanson One Day de Matisyahu, un Américain d’origine juive et fervent défenseur de la cause israélienne. C’est ainsi que, vers 20h10, le travailleur social Shezad S. est arrivé à La-Citadelle et a demandé à s’entretenir avec l’organisateur, à qui il a ensuite demandé de retirer cette chanson de la programmation, car « cela pourrait créer un problème ». Cinq minutes plus tard, la vingtaine de jeunes débarquaient en hurlant des slogans politiques et en faisant l’apologie de la Palestine.

La suite s’est transformée en psychose à l’intérieur de La-Citadelle avec des effets de contagion dans le pays : les membres de l’escadron ont ensuite bousculé physiquement les artistes et endommagé leurs instruments de musique et équipements de sono.
Shezad. S. aurait tenté de leur parler, mais une vive dispute aurait ensuite éclaté. Les suspects ont même fini par agresser le travailleur social, qui n’a cependant pas souhaité loger de plainte à la police à ce sujet.

Dans un premier temps, la police soupçonnait que le groupe de suspects était mené par Reedwan Bauluck, qui a été interpellé dans le cadre de cette affaire. Mais lors de son interrogatoire, hier, celui-ci a indiqué aux enquêteurs qu’il se trouvait dans un centre commercial de Phoenix, niant de fait être mêlé à l’incident survenu à La-Citadelle. La police l’a d’ailleurs relâché après son interrogatoire et confirmation de son alibi.

Hier, la police avait déjà procédé à une douzaine d’arrestations. D’autres opérations étaient prévues dans les heures suivantes. Les suspects Anfal Khodadin et Imtiaz Toorabally, eux, ont été traduits au tribunal de Port-Louis hier, et font l’objet d’une accusation provisoire des délits de Damaging Property by Band et Participating in an Unlawful Assembly ». La police a objecté à leur remise en liberté conditionnelle en évoquant le risque d’interférences avec les témoins et les preuves, mais aussi pour leur propre sécurité et pour la sécurité publique.

Les deux suspects étaient représentés par Mes Arshaad Inder et Inas Sambon. Ces derniers ont demandé à la magistrate Shavina Jugnauth que l’interrogatoire de leur client soit mené en leur présence. En attendant, tous deux demeurent en détention préventive.
La PHQ Special Striking Team (SST) a appréhendé hier matin six suspects, nommément Ajmal Imrith, Soowan Torabally, Djibrail Munsoo, Tawqueer Munsoo, Muzaffar Salauroo et Ramatoolah Hossen. Dans l’après-midi, quatre autres suspects ont été interpellés. À l’issue de leur interrogatoire, dans la soirée, la MCIT devait décider de leur éventuelle arrestation.

18 policiers pour assurer la sécurité du concert

Un rapport de la police fait état de seulement 18 policiers présents pour assurer la sécurité du concert de samedi soir organisé par les 15 ans du groupe hôtelier Attitude. Cette escouade était composée d’un assistant surintendant de police (ASP), un inspecteur, trois sergents, un caporal et 12 constables. Ces derniers n’étaient pas en service normal, mais ils effectuaient en Extra Duty.
Des agents de la sécurité du privé étaient également déployés sur place. Néanmoins, ils n’ont rien pu faire face à cet escadron d’hommes armés et cagoulés. Dans un Occurrence Report (OB 2375/2023) logé au poste de police de Fanfaron durant le week-end, le haut gradé souligne
«… there reaching, that is at 21.40 hrs, in company of Insp P., Ps M., Pc R., entered Citadel to put an end to the concert though access was denied to police by security officers. Some minutes later the ASP was surprised by a group of male person between 20-65 years, some were hooded and were shouting…”
Le concert, dont le billet était en vente à Rs 500, a débuté vers 15 heures et devait prendre fin vers 21 heures. C’est vers 19h15 que la police a eu des renseignements qu’un groupe de personnes pourrait créer des problèmes sur place. Selon le rapport, un haut gradé du Metro Nord a été informé de ce cas de même que l’OPS Room de la police.
Néanmoins, aucun renfort n’aurait été dépêché pour épauler les 18 policiers à La-Citadelle. À 21h10, le dénommé Shezad S., s’est présenté sur place pour parler aux agents de sécurité au sujet de l’interprétation d’une chanson au programme.
Une trentaine de minutes plus tard, des membres de l’escadron ont débarqué sur les lieux du concert pour donner la chasse aux artistes et membres du public, tout en endommageant des instruments de musique.
Les suspects avaient évacué les lieux vers 21h55. La police soupçonne que ces derniers étaient menés par Reedwan Bauluck. Sauf que cet habitant de Phoenix n’a pas été inquiété par la police après avoir fourni un alibi pour monter son absence à Port-Louis samedi soir. Les liens entre ces membres de l’escadron se précisent au fur et à mesure que l’enquête policière progresse.

Padayachy condamne avec force les incidents à la Citadelle samedi

Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a condamné avec force hier l’interruption d’un concert organisé, samedi, à La-Citadelle. « C’est inacceptable », a-t-il répondu à une question de la presse après la  cérémonie d’ouverture d’un atelier de travail de cinq jours consacré aux enquêtes administratives dans les pays francophones d’Afrique.
« Je ne peux pas en tant qu’homme politique, humain, papa et mari accepter de telles actions.  Comment peut-on entrer dans un endroit avec des armes pour effrayer des personnes. Je connais certaines personnes qui ont été traumatisées. Aucun parti politique que ce soit au gouvernement et dans l’opposition ne peut défendre cela. Je suis d’accord avec le Premier ministre qui a dit qu’il sera sans pitié », a déclaré le ministre des Finances.
Il est d’avis qu’on ne peut pas importer à Maurice des conflits internationaux.
« Nous avons toujours préconisé la paix et nous occupons la huitième place au monde dans ce domaine. Nous ne pouvons pas permettre que des personnes puissent mettre en péril la notion de paix dans le monde. Peu importe qui nous sommes, nous ne pouvons pas accepter cela. Nous sommes confiants que la police a agi très vite et a commencé à arrêter plusieurs personnes », ajoute-t-il.
Répondant à d’autres questions le ministre des Finances maintient que le pays a repris le chemin de la croissance avec un taux de 6,8% prévu pour cette année et une croissance de 5% ensuite.  Il s’est dit satisfait que le taux de la dette publique soit passé de 92% pour tomber à 72% du PIB. De plus, il se réjouit d’une meilleure répartition de la richesse du pays en expliquant que le coefficient GINI est passé de 0,42 en 2015 à 0,304 en 2022.
Invité à faire un état des lieux de la situation concernant la corruption à Maurice, le ministre des Finances a rappelé que « la corruption freine la croissance économique ». Il a fait comprendre que la corruption constitue le premier degré d’inégalité dans le pays car elle donne l’avantage aux plus riches.  Il a renouvelé sa confiance en la Mauritius Revenue Authority (MRA) et à son directeur Sudhamo Lal, « une sommité au niveau international qui a introduit  des mesures pour combattre la corruption ».
Au sujet de l’atelier de travail de cinq jours consacré aux enquêtes  administratives dans les pays francophones d’Afrique, le ministre fait ressortir que cette mesure vise à favoriser la lutte contre la corruption et à promouvoir les bonnes pratiques de gouvernance au sein de la direction des douanes à travers la conduite d’enquêtes administratives. L’atelier est une initiative de la Mauritius Revenue Authority (MRA), en collaboration avec l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et le Programme anti-corruption et promotion de l’intégrité des douanes (A-CPI). Les représentants de plusieurs pays francophones y participent
De son côté, le directeur général de la MRA a mis l’accent sur le rôle de l’OMD et du département des douanes de la MRA dans la promotion du développement socio-économique de Maurice.

Un témoin en première ligne ‘La polis dir bann-la arme deor la ! Bizin aret tou ! »

« La police a tenté de discuter avec les individus à la porte au départ. Les individus réclamaient que la dernière chanson ne soit pas interprétée. La police a tenté d’entrer pour faire cesser le concert, mais ils ont tenté de négocier.
« Entre temps, l’ordre a été donné par les organisateurs de ne pas remercier les ONG et de ne pas faire de remise de chèque et encore moins de chanter la dernière chanson. Prophecy devait alors interpréter une dernière chanson pendant que la police tentait de faire stopper le concert en disant « bann la arme deor la bizin aret tou! ».
Les hommes en noir et encagoulés étaient déjà entrés et étaient à l’arrière des policiers à ce moment-là. Une fois la dernière note, ils ont investi la scène et les devants, tapant sur tous les équipements sous le regard des agents de sécurité et des policiers et insultaient les spectateurs pour qu’ils quittent les lieux.
« Certains musiciens ont pu prendre sous la main des instruments, d’autres non, et la panique s’est installée à partir de là. La police était censée être là pour nous protéger et les empêcher d’investir les lieux et non pas les escorter jusqu’à la scène et nous faire vivre cela ! »

Cri du cœur de Jonathan Ravat : « Ensemble se poser les questions portant sur l’origine de cette violence »

« Comme des centaines de Mauriciens, j’étais, avec ma fiancée et des amis, au Gran Konser solider de samedi soir.
« Le concert tirait à sa fin quand, vers 21h40, j’ai vu plusieurs officiers de police se rendre à l’arrière de la scène. Je pensais qu’ils venaient ordonner de terminer le concert pensant que nous avions dépassé l’heure. Ou peut-être était-ce une affaire de drogue…
« Ils y restèrent pendant environ trois longues minutes, discutant avec des organisateurs et artistes, etc., quand j’ai vu passer, à moins de deux mètres de moi, des hommes encagoulés ou masqués, certains tout de noir vêtus, entourant la scène, y montant ou bousculant des artistes qui avaient fort à faire pour protéger les instruments et autres équipements.
«  Ils hurlaient en scandant au public de déguerpir parce que pa kot zot isi. Isi se Palestinn isi! Sans oublier les insultes et jurons. Mouvement de panique qui vit le public, certains artistes y compris, courir dans tous les sens, tentant de protéger les enfants, les familles, tandis que la police essayait de calmer les intrus, de les isoler, de les stopper, avec l’aide de quelques bouncers de l’événement.
« Plusieurs d’entre eux restèrent aux côtés du public qui était encore à l’intérieur de La-Citadelle, dont mes amis et moi-même, et qui avions choisi de rester, d’attendre…
Les choses se sont envenimées, avec davantage de hurlements, scandant « Allah akbar », les mains levées, certains avec ce qui m’a semblé être des bâtons, bousculant des organisateurs, sans craindre ni les bouncers et les policiers. Je ne peux vous cacher que même si nous sommes restés et avons attendu dans la Citadelle pendant de longues minutes, le cœur battait la chamade, avec quand même un sentiment de peur et de bouleversement.
« Ensuite, nous sommes sortis, escortés par certains, tandis que la police avait fait une chaîne humaine pour bloquer les hommes encagoulés qui n’arrêtaient pas de crier et d’essayer de pousser les policiers avec violence.
« Malgré tout, nous sommes restés devant l’entrée de la Citadelle encore un long moment, d’une part, parce que la tension était encore palpable et l’espace pas encore sécurisé, jusqu’à l’arrivée des renforts de la SSU. Mais aussi parce que nous voulions rester, nous faire violence pour regarder, affronter, attendre…
Comme quelque chose en moi, en nous, qui nous obligeait à intérioriser toute cette expérience quelque peu traumatisante, pour mieux prendre la mesure de ce qui se passait, pour mieux prendre conscience de ce que nous vivions.
Mais aussi pour qu’en affirmant notre présence, comme témoins, nous pourrions chercher un moyen de dire non à tout cela, refusant de laisser l’espace public vide, de laisser notre paysage commun se remplir par des extrémistes qui instrumentalisent une belle religion de Paix, qui se font des amalgames avec violence, osant faire fi de la loi et des droits de l’humain.
« J’aime trop mon pays pour rester insensible ou immobile ; j’en suis trop passionné pour laisser une poignée s’octroyer des permissions et saboter le cadre de droit essentiel pour mieux-vivre-ensemble ; je suis trop fier de notre bien commun qu’est la République pour ne pas réagir et être un caillou dans la sandale du racisme, de la violence, de l’extrémisme.
Raison pour laquelle nous sommes allés au poste de police de Trou-Fanfaron, pour y faire un Statement, notamment pour violation du chapitre 2 de la Constitution, sentant nos droits fondamentaux être violés, et nos libertés essentielles bafouées.
« Mais je veux absolument terminer ce témoignage en affirmant que j’ai la ferme conviction qu’il faut aller plus loin ! Car il faut lire entre les lignes : si on décode les comportements, celui de ces hommes dit quelque chose de ce qu’ils vivent, de ce qu’ils ont reçu, de ce qu’ils ont subi ou subissent eux-mêmes – car je le maintiens : ces hommes sont des êtres humains, des frères en humanité, des citoyens, comme moi, avec moi, de la même République.
Ils sont eux aussi porteurs de dignité, des hommes, maris, pères, voisins en quête de bonheur. Oui, j’y crois, et leur comportement – au-delà de cette violence – veut me dire quelque chose, veut nous dire quelque chose, de ce qui se joue dans leurs vies, dans leurs quartiers, de ce qui se joue chez eux, en eux…
« C’est la raison pour laquelle il faut certes refuser la violence de certains délinquants en la contenant par la violence légitime des forces de l’ordre ; mais il faut ensemble se poser les questions portant sur l’origine de cette violence et ensemble chercher les réponses, car ce n’est qu’ainsi, au prix de cette marche ensemble, de ce co-apprentissage, que nous pourrons propulser notre pays vers la République, belle et plurielle, qu’elle doit être.

« Un rendez-vous nous est proposé ici, acceptons-le, tous ensemble ! »

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