À l’initiative de Shakti Callikan, artistes-céramistes, potiers et le public ont eu l’occasion de se rencontrer et d’échanger au Caudan Arts Centre (CAC), en octobre, dans le cadre du festival de céramiques, Krea’terre. L’événement fait suite à la manifestation intitulée “Terres marronnes” de son initiatrice, l’année dernière à l’Institut français de Maurice (IFM), à Rose-Hill. Conférences, ateliers, expositions et exposition-vente de produits céramiques ont jalonné la journée.
Il est presque 15h au CAC. C’est l’heure de la fermeture du festival. Les ateliers ont pris fin déjà. Les exposants commencent à ranger leurs produits, mais la petite Selina, âgée de six ans, attablée, outil en main, grave un pot de céramique qu’elle a, vraisemblablement préalablement pincé. « I am making zig zag and then I will make flowers », dit-elle à Le-Mauricien qui s’intéresse à ce qu’elle fait. Visiblement avide de partager son impression sur le nombre d’outils disposés sur la grande table où le public pouvait expérimenter librement l’art de la céramique, elle lance : « Look, there are lots of tools on the table. » L’activité ne lui est pas étrangère, cependant. En Chine, d’où est originaire sa mère, elle s’y est frottée et elle adore.
Plusieurs coins sont aménagés dans le vestibule du rez-de-chaussée du CAC. Les derniers visiteurs peuvent voir quelques produits non encore emballés, rencontrer les artisans et artistes et découvrir leurs histoires. Nadine de Marcy Chelin qui habite Blue-Bay s’est initiée à la poterie à Montréal au Canada, où elle a vécu quelque temps avant de rentrer à Maurice. Elle fabrique des produits utilitaires : tasses, assiettes, bols et boucle d’oreille en argent. L’artisane se réjouit de ces rencontres. « J’ai rencontré Shakti l’année dernière, et j’avais participé à la première exposition-vente à Rose-Hill. C’était super ! Comme aujourd’hui ! », souligne celle qui voit dans cette activité « la capacité à transformer l’argile brute en une œuvre d’art fonctionnelle ». « La poterie est un art qui me connecte à la nature, car l’argile provient de la terre elle-même et elle m’inspire dans toutes mes créations », dit-elle.
La surprise
Aux dires des artistes, “Terres marronnes” a effectivement été une aubaine pour certains qui découvraient cet art, il y a quelques mois. Et pour d’autres, de s’ouvrir à leurs semblables et surtout d’expérimenter la terre locale. « L’artiste-céramiste Amélia m’a invité dans son studio à Roches-Brunes pour faire de la poterie que je ne connaissais pas avant. Et là, pas à pas, j’ai appris à connaître et à comprendre l’argile. On est allé la creuser à Midlands et on a entamé tout le processus pour la préparer avant d’en faire des sculptures. C’est un matériau très malléable et intéressant à travailler. Cependant, parfois à la cuisson, on peut avoir quelques déceptions », raconte Romain Govind, artiste qui peint surtout des portraits très colorés et qui a participé à l’exposition collective dans le cadre de ce festival.
Effectivement, comme l’explique Shakti Callikan qui a fait une longue expérimentation pour comprendre les différentes argiles de Maurice, dans le cadre de son projet Terres Marronnes, en 2023 : « Avec la terre commerciale, tu sais comment cela va sortir mais avec la terre locale, c’est la surprise ! »
Pour Jean-Yves Lonflé qui fait de la sculpture en céramique depuis plus de 25 ans, travailler la terre locale a été un succès. Son expérience lui a montré qu’une des conditions pour réussir la cuisson de l’argile avec succès est de maîtriser la température. « Elle n’est pas la même pour celle importée que pour celle trouvée localement », affirme-t-il. « Ce festival m’a permis de rencontrer des artistes que je n’ai pas rencontrés depuis des années et de connaître d’autres potiers locaux », dira Jean-Yves Lonflé qui a créé un oiseau en utilisant du papier comme support sur lequel il a travaillé l’argile. « Quand on fait cuire la pièce, le papier brûle », explique-t-il. Le travail lui a pris trois jours.
Apprenants kinésthésiques
Avec l’artiste-sculptrice Guita Mohit-Pusun, ancienne enseignante d’art, qui participait également à l’exposition collective, c’était l’occasion de revenir sur la poterie qui était une activité offerte dans les collèges dans le temps.
« On en fait quasiment plus aujourd’hui », se désole Guita Mohit-Pusun. « Le dessin deux dimensionnels est important mais j’encourage toujours mes élèves à la manipulation. D’autant qu’il y a beaucoup d’élèves qui sont des apprenants kinesthésiques. Cela leur permet de réfléchir et de mieux comprendre ce qu’ils font. Le dessin et la manipulation contribuent à les rendre indépendants de leurs pensées et cela aide dans les autres matières également. En art, il n’y a pas de copie en tant que telle comme dans les autres matières. Même si un élève copie sur son camarade, ce ne sera jamais le même travail. Par exemple, si je demande à une classe de 35 élèves de copier les tournesols de Van Gogh, ce seront 35 travaux différents. L’art aide à observer ce qui se passe et ce qu’il y a autour de soi. L’art aide aussi à s’évader et c’est important pour les élèves. »
Pour l’instigatrice du projet, le festival a été un véritable succès sur toute la ligne. « On a eu un bon succès d’affluence. Les potiers étaient hypercontents. Le public également. Il s’est beaucoup intéressé à la terre locale et à ce qu’on pouvait en faire. On a eu des participants d’âges divers aux ateliers. Notre doyenne avait 92 ans. Certaines personnes ont passé presque toute la journée ici, à suivre les rencontres, participer aux ateliers et visiter l’exposition. L’événement s’inscrit dans la continuité de Terres marronnes. Depuis, il y a eu plusieurs studios de céramiques qui se sont ouverts à travers l’île. Les gens s’y intéressent de plus en plus. Je pense déjà à une prochaine édition pour 2025. C’est un événement qui demande à s’installer comme un rendez-vous annuel. »