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Joyce Veerasamy (artiste) : « La chanson engagée, c’était pour le pays »

Fondateur du Grup Fangurin avec son frère, Joyce Veerasamy a connu la mouvance de la chanson engagée dans les années 70. S’il a évolué avec son époque au point de se décrire aujourd’hui comme un dénicheur de talents, il ne cache pas que la mentalité a beaucoup changé. Dans son récit autobiographique, Enfant de Carol, qu’il vient de publier, il revient sur cette période d’engagement, mais nous emmène surtout au milieu des champs de cannes de Camp-Diable, son village natal.

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Vous venez de publier un récit autobiographique retraçant votre parcours. Pourquoi ce livre ?

Je suis arrivé à un âge où je fais le bilan de ma vie. Je me suis imaginé sur mon lit de mort et j’ai vu ma vie défiler devant moi. J’ai voulu laisser un héritage derrière moi. Comme on dit : kit enn tras lor to pasaz. J’ai grandi à Camp-Diable. J’ai eu la joie de jouer dans les champs de cannes, d’aller nager et de pêcher à la rivière… Des plaisirs simples quoi, mais qui m’ont apporté beaucoup de bonheur. J’aime les plaisirs simples de la vie. J’ai voulu partager cela.
J’ai bénéficié de la collaboration de mes amis Danny Drack et Eddy Caramédon pour l’écriture. Je suis très reconnaissant envers Khalid Atchia, qui m’a fait une 4e de couverture. De même envers Cyril Palan pour son soutien, Tibye Ahmad et Cédric Palan pour les photos, ainsi que Laëtitia Rousselin, une jeune artiste, qui a fait l’illustration de la couverture. Ainsi que tous ceux qui m’ont aidé d’une manière ou d’une autre.
Je suis tombé un jour sur un texte de Loganaden Markanda Mudali, originaire de Camp-Diable lui aussi, qui racontait comment il allait à l’école les pieds nus. Je me suis retrouvé dans ce texte et je lui ai demandé la permission de le reproduire dans le livre. Je lui suis aussi reconnaissant.

Retrouvez-vous l’atmosphère du Camp-Diable de votre enfance quand vous allez au village aujourd’hui ?

Il y a eu beaucoup de développements certes, mais je constate que la mentalité est toujours la même. Je vois que l’amitié et le partage entre les gens sont intacts.

Vous parlez de « choc culturel » dans votre livre, au moment où votre famille déménage à Curepipe. Racontez-nous…

La manière de vivre en ville est différente de celle des villages. Ici, les gens étaient un peu plus personnels. Je raconte cela à travers un événement. Je dis que j’étais marqué par le sentiment de honte qu’avaient les citadins vis-à-vis de leurs morts. Chez nous, au village, il était une tradition que quelqu’un aille faire l’annonce de porte en porte quand il y avait un décès. Mais à Curepipe, ce n’était pas le cas.
Malgré ce choc culturel, j’ai rapidement pris mes repères en ville. Je suis une personne qui s’adapte facilement. Je me suis fait des amis très vite. Toujours est-il qu’il y a une partie de moi qui est restée à Camp-Diable. Si demain je gagnais à la loterie, la première chose que je ferai serait de m’acheter une maison à Camp-Diable.

Vous avez vécu à Camp-Diable, village à majorité musulmane, pendant la bagarre raciale. Comment cela s’est-il passé ?

Heureusement que Dieu est grand. C’est le vivre-ensemble qui a primé, au-delà des autres considérations. Je dois dire que les Mauriciens n’ont pas de problème entre eux. C’est la politique qui fragilise le tissu social.

Vous avez aussi côtoyé les partis politiques…

A un certain moment, j’étais proche du MMM, puis j’ai connu Lalit. J’ai été aussi actif au sein du Mouvement social chrétien. J’ai connu la grève des étudiants… On peut dire que je suis un militant dans l’âme.

Comment vous êtes-vous intéressé à la musique ?

Quand j’avais 12-13 ans, ma mère m’a mis dans la chorale. C’est mon cousin, Richardson Rebet, qui m’a initié à la musique. En dépit du fait qu’il était paralysé. Comme je le dis dans le livre : « Il avait une voix chaude et pénétrante… Il était un exemple pour les jeunes de sa génération… Malgré son handicap lié à sa paralysie, il savait galvaniser son auditoire. »

Plus tard, avec toute la mouvance sociale, j’ai découvert la chanson engagée. À cette époque, on chantait pour faire passer des messages pour un lendemain meilleur. Évidemment, cela m’a attiré. Avec mon frère, nous avons fondé le groupe Fangurin. C’était aussi l’époque de censures. Les chansons engagées ne passaient pas à la radio.

On dit qu’avec la victoire du MMM aux élections de 1982, la chanson engagée a connu un déclin. Partagez-vous cet avis ?

On avait apporté notre contribution à notre manière pour un idéal, et notre espoir s’est envolé. On peut dire ça comme ça. Beaucoup de chanteurs engagés étaient découragés. Certains n’avaient plus d’engagement, d’autres avaient quitté le pays. Il y avait une rupture.

Ceci étant dit, la chanson engagée existe toujours aujourd’hui, sous de nouvelles formes. Quand j’écoute les chansons de Blakkayo, par exemple, je me dis que c’est de la chanson engagée. Pour ma part, je préfère aujourd’hui me consacrer à l’accompagnement des jeunes. C’est un plaisir de les voir avancer dans leur carrière.

Quel est votre regard sur la musique mauricienne aujourd’hui ?

Il y a des jeunes qui font beaucoup d’efforts. Mais quand je vais sur YouTube et que je constate dans quelle direction certains jeunes s’engagent, je me dis qu’il y a une certaine pauvreté. Et puis, à l’époque, quand on faisait une chanson engagée, nous avions un rêve pour notre pays. Aujourd’hui, c’est l’individualisme qui prime. On vit dans un monde matériel, la technologie aidant.

Selon vous, l’État soutient-il suffisamment les artistes ?

Pour moi, le ministère de la Culture se limite à un nom. Dans la pratique, il n’y a rien pour aider les artistes concrètement. Par exemple, pour faire ce livre, je suis allé au ministère en vue de bénéficier de l’aide de l’État aux artistes. On m’a donné un formulaire à remplir et on m’a demandé mon Business Plan. Mais je suis un artiste, je ne suis pas un businessman. Je ne sais pas comment faire un Business Plan. Il y a trop de paperasseries et trop d’exigences. Finalement, j’ai préféré laisser tomber et j’ai fait des sacrifices pour financer le livre, avec le coup de main de quelques amis.

Cyril Palan écrit, dans la préface, qu’il vous a connu à travers une polémique avec un prêtre dans les médias. Qu’en est-il exactement ?

En fait, le père Souchon avait écrit un article dans un journal pour dénoncer la montée de ce qu’on appelle les sectes, qu’il avait qualifiées de religion Panadol. Je lui avais répondu, même en étant un fervent catholique, car je suis pour la liberté. Je lui avais conseillé de voir la poutre dans son œil au lieu de chercher la paille dans l’œil de l’autre, comme le dit la Bible. Cela avait fait polémique. Je suis d’avis qu’il faut laisser les gens vivre leur foi librement.

Quelle est la prochaine étape de votre engagement artistique ?

Avec mon ami Eddy Caramédon, je prévois une grosse compilation biographique des artistes mauriciens des années 60’ à ce jour. Je passe donc mon temps à bouquiner à ce sujet. Cela aurait dû être la responsabilité de l’État de valoriser ses artistes, mais puisque ce n’est pas le cas, ce sont des artistes indépendants comme moi qui en prennent la responsabilité. Il faut bien remplir ce vide.


« Enfant de Carol » en deux mots

Joyce Veerasamy, Enfant de Carol. Au-delà du personnage, ce récit autobiographique a le mérite de nous emmener à la découverte, ou redécouverte, de l’île Maurice rurale, dans les années 1960-1980. Période très fertile en histoire avec l’accession du pays à l’indépendance, le cyclone Carol qui balaya tout sur son passage un certain 28 février, la bagarre raciale… Et plus tard, l’éveil des consciences avec l’ébullition sur le plan social, l’engagement à travers la chanson engagée, le choc culturel entre la campagne et la ville…

Joyce Veerasamy a su faire revivre ce moment, tout comme ce bonheur, pour ne pas dire ce privilège, des enfants des villages, courant dans les champs de cannes ou pêchant dans les rivières du coin. Et que dire du vivre-ensemble qui prime dans ces lieux. En dépit de son nom, qui peut donner des connotations négatives, Camp-Diable reste un paradis aux yeux de Joyce Veerasamy.

Ce livre est à lire pour ceux qui veulent s’imprégner de cette ambiance et de cette époque.
Enfant de Carol est en vente en librairie à Rs 350.

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