Dr Diplal MAROAM
Commémorée pour la première fois en 1987 à Paris suite à l’appel lancé par le pasteur et activiste humanitaire français, Joseph Wresinski, la Journée mondiale du refus de la misère fut reconnue par l’ONU cinq ans plus tard et le 17 octobre de chaque année, des milliers de gens se mobilisent partout à travers le monde pour rappeler publiquement que l’éradication de la pauvreté et de la misère sur tous les continents ne constitue guère une possibilité imaginaire mais dépend exclusivement de la volonté de l’homme. Le thème retenu cette année 2024 est : « Agir ensemble contre la maltraitance sociale et institutionnelle ».
En effet, là où sévissent la pauvreté et l’exclusion, les droits et la dignité de l’individu sont constamment bafoués. Cependant, la seule commémoration de la Journée mondiale de l’alimentation et celle du refus de la misère ne résoudra pas en soi le problème de la faim et la pauvreté qui a, d’ailleurs, tendance à s’accentuer tant au niveau global que local. Il est temps de regarder la réalité en face et prendre les décisions qui s’imposent. Car la répartition inégalitaire de la nourriture comme motif de pénuries dans certaines régions de la planète pourrait bientôt ne plus tenir la route.
Pour répondre à la demande globale en pleine croissance, les Nations unies ont prévu que le monde aura besoin de relever sa production alimentaire de 70% dans les 30 – 40 prochaines années. Or, en même temps que les prix des denrées de base ne cessent de prendre l’ascenseur sur les marchés internationaux, de plus en plus de céréales cultivées sont destinées à l’alimentation du bétail. Ce qui pourrait aggraver la concurrence entre alimentation humaine et animale dans les années à venir avec, bien évidemment, des conséquences inimaginables sur les prix à la consommation.
Ainsi, pour subvenir aux besoins alimentaires de la population mondiale qui compte 80 millions de bouches supplémentaires à nourrir chaque année, nous n’avons d’autres alternatives que de changer notre fusil d’épaule, non seulement du point de vue de notre mode de vie et d’alimentation mais aussi de celui du développement économique actuel.
La quête infernale de la croissance à tout prix a, dans une grande mesure, provoqué la conversion des millions d’hectares de terres jadis sous cultures vivrières pour la production des agro-carburants. Pourtant, d’autres sources d’énergie tout aussi propre, à l’instar de l’énergie solaire, auraient bien pu être exploitées, et ce au nom du principe de développement durable. Cependant, si le risque de l’aggravation du problème de la sécurité alimentaire s’avère être le facteur qui contraindrait la communauté internationale à agir dans un esprit de solidarité et de coopération, nous renforcerons alors notre volonté de lutter contre l’injustice qui est la cause et le résultat d’un monde à deux vitesses et nous relèverons inévitablement le défi de doubler la production alimentaire pour nourrir 9 milliards de personnes d’ici 2050. Or, la tendance des relations internationales aujourd’hui n’incite guère à l’optimisme.
Mais il convient tout de même de reconnaître que parmi les facteurs qui ont tant handicapé le développement de notre continent, où vivent un tiers de personnes les plus pauvres de la planète, particulièrement en Afrique subsaharienne, l’on relève l’instabilité politique chronique et la mauvaise gestion des affaires de l’État. Ce sont d’ailleurs les pays africains qui arrivent en tête de liste de Transparency International sur la perception de la corruption.
Or, les investissements directs constituent l’un des meilleurs indicateurs de la santé économique d’une nation. Mais il est évident que sans la politique de bonne gouvernance et de l’application des lois, l’attraction des capitaux ne pourrait se manifester. Même l’annulation de la dette pourrait ne pas donner les résultats escomptés car tout en ruinant les efforts de bonne gouvernance mis en place par quelques États vraiment décidés à s’affranchir de la tutelle financière de l’Occident, elle est susceptible, en même temps, de récompenser des pays qui, eux, ne font rien pour promouvoir la transparence de leurs comptes et l’assainissement de leur administration.
Certes, l’aide publique au développement (APD), même si elle est en pleine régression, a joué un rôle non négligeable dans le combat contre la pauvreté. Cependant, les pays donateurs apporteraient une contribution beaucoup plus significative s’ils travaillaient de concert avec les leaders politiques locaux mais aussi les dirigeants des milieux économiques et de la société civile afin d’élaborer avec eux des solutions durablement efficaces. La priorité aujourd’hui, dans le combat contre la pauvreté et la sous-alimentation, demeure l’établissement des politiques inclusives garantissant le caractère durable et une répartition convenable de la croissance. Chez nous à Maurice, des mesures audacieuses ont été prises en ce sens ces dernières années, notamment par rapport au revenu minimum garanti, entre autres, mais l’érosion perpétuelle du pouvoir d’achat en l’absence d’un mécanisme de contrôle adéquat risque d’anéantir l’effet du « feel good factor » attendu.