En 2024, la campagne de la Journée mondiale de l’environnement se concentre sur la « restauration des terres », la « désertification et la résistance à la sécheresse » sous le slogan « Nos terres. Notre avenir / Our land, Our Future ». Au fait, l’année 2024 marque le 30e anniversaire de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Comment pouvons-nous envisager cet avenir ? Trois pistes peuvent nous aider à voir la question de l’environnement au-delà du simple tri de déchet, de capture d’eau ou de nettoyage des quartiers. Ces pistes sont : (i) L’encyclique du Pape Francois Laudate Deum qui a paru en octobre 2023, (ii) une thèse de maîtrise par notre jeune compatriote Christina Wong Yu Chong, qu’elle a soutenue en mai 2024 aux Etats Unis et (iii) le rapport de Truth & Justice Commission (2011).
Un problème social
Huit ans après son encyclique Laudate Si, considérée à sa sortie en 2015 comme le texte le plus abouti jamais écrit par le Vatican sur l’écologie, le Pape Francois s’adresse une nouvelle fois en 2023 dans Laudate Deum, une publication plus courte, sur la question écologique et souligne que l’analyse écologique ne peut faire l’impasse sur la dimension sociale. Pour le Pape Francois « il s’agit d’un problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine » (para.2). L’écologie va au-delà d’une approche purement écologique parce que « l’attention que nous portons les uns aux autres et l’attention que nous portons à la terre sont intimement liées. Le changement climatique est l’un des principaux défis auxquels la société et la communauté mondiale sont confrontées. Les effets du changement climatique sont supportés par les personnes les plus vulnérables, que ce soit chez elles ou dans le monde entier» (para.2). En effet, en mars 2022, Pape François avait rencontré des activistes ougandais en lutte contre la construction de l’oléoduc de pétrole brut Eacop (East Africa Crude Oil Pipeline) de Total. Le Pontife s’attaqua au marketing et aux fausses informations de ceux qui disposent de plus de ressources et dont usent souvent les décideurs pour illusionner leur peuple en leur parlant du progrès local qui pourra être généré, ou des opportunités économiques en matière d’emploi. Le Pape Francois fit remarquer que les décideurs ne disent pas clairement qu’à la suite de tel projet, il résultera une terre dévastée, des conditions beaucoup plus défavorables pour vivre et prospérer. Cela nous rappelle les tristes souvenirs du passage du cyclone Belal en janvier 2024 et les victimes. Et c’est dans cette perspective que les travaux d’une jeune universitaire mauricienne méritent d’être mentionnés.
L’injustice climatique
Christina Wong Yu Chong a soutenu brillamment son mémoire de maîtrise en International Affairs en mai 2024 à l’université The New School, New York. Le titre se lit comme suit: « Rethinking maroon heritage: assessing coloniality in heritage-making and highlighting counter-interventions for alternative politics in Mauritius ». Au chapitre 3 (« Reframing Maroon Heritage »), la mauricienne parle de « demystifying climate crisis ». Elle explique comment « while natural disasters affect all people, but they are never neutral » (p.66). Et citant Smith, « the contours of disaster and the difference between who lives and who dies is to a lesser and greater extent a social calculus » Et elle conclut: « Climate injustice is therefore experienced twofold: those who contribute the least suffer the most…structural inequalities at the local level further exacerbate these disparities, shaping communities’ ability to withstand and recover from climate-related disasters » (p.67). Les Key Informants de Christina Wong sont les opinion leaders et habitants de la région du Morne. Elle parle de l’action menée par le mouvement Rezistans ek Alternativ avec les habitants qui se battent pour le retour de leur terre. C’est l’occasion pour nous de revenir sur le rapport de la Commission Justice et Vérité (2011).
L’Ecologie, c’est comprendre et agir sur le passé
La terre est essentiellement un phénomène social même si elle existe sous forme de propriété individuelle. Dans l’histoire, le mot « colonisation », au sens français du terme, avait un sens agraire, c’est-à-dire, il s’agissait de l’appropriation des terres et sa transformation pour des besoins agricoles. La toute première répartition des terres se fait à Maurice durant la colonisation française, et ce qui va finalement déterminer la propriété foncière jusqu’à ce jour. Dans la préface à la publication « Terres, Possession et dépossession » (2020) de Jean Claude de L’Estrac, Ananda Devi écrit que le « monde brûle aujourd’hui des séquelles de la colonisation et du libéralisme forcené qui ont bradé les terres et les hommes ». Le texte, qui se lit facilement, livre une analyse historique éclairante ; il est illustré de tableaux, ainsi que de photos d’archives et celles beaucoup plus contemporaines de l’histoire politique de notre pays. Ceci nous montre que l’écologie c’est comprendre le passé et agir par conséquent. Au fait, la terre n’est pas comme des objets concrets qu’on peut bouger et transporter avec soi. Elle est inamovible. En revanche, son utilisation détermine et donne accès à l’eau, aux routes et autres facilités. D’où le pouvoir que la terre donne à ceux qui la possèdent sur les autres. La terre a aussi une dimension sacrée. Elle peut être le lieu de sépulture ou a pu avoir été des cimetières dans le passé et convertie par la suite pour des projets dits de « développement ». Ainsi le phénomène de « land grabbing » pour le développement du tourisme est courant dans le monde. Dans certains pays, le déplacement des populations locales se fait soit par la force ou subtilement pour faire place à ces projets.
Possession, dépossession et possédée
Durant les travaux de la Commission Justice et Vérité (2009-2011), l’audition des « deponents » a permis d’apprendre comment la possession et la dépossession des terres ont été effectuées de la période de la colonisation à ce jour. Une des tragédies a été d’apprendre comment la population de la région du Morne fut déplacée en faisant que le boutiquier du coin aille s’installer ailleurs. Les gens furent alors obligés de bouger pour s’y rapprocher et laissant ainsi derrière eux leurs terres. C’est ainsi que telles astuces auraient été pratiquées, menant à la « douce » dépossession.
Dans d’autres cas, c’est le complot phénoménal de plusieurs institutions. Le volume 4 du rapport de la Commission contient les dépositions verbatim des victimes et aussi des personnes des institutions convoquées pour des explications à fournir sur les plaintes faites. On peut s’appesantir sur 3 des 88 plaintes enregistrées par la commission. Elles sont : N0.1 : le sceau d’un arpenteur d’un département du gouvernement apparait sur un faux document de vente de terre. Les Commissaires interrogent la personne. Elle dit à plusieurs reprises qu’elle ne comprend pas car ayant un problème à l’oreille. Elle est à la retraite depuis très longtemps. N0.2 : C’est le cas de l’octroi de permis de construction par les autorités de l’administration locale. La personne explique les procédures et le rôle des inspecteurs. Elle se confond à un moment donné et informe les Commissaires que certains documents sont partis en fumée lors des émeutes de Kaya (1999). N0.3 : C’est le bureau du Conservateur des Hypothèques. On apprend du responsable que la salle où le public consulte le document demandé est un ‘searched room open to public’. Aucun préposé ne peut s’assurer qu’un individu n’enlève les pages ou écrive dans les documents. Ici les Commissaires confondent la personne avec une entrée qui est faite en 1821 et une autre en 1977. L’écriture du propriétaire du title deed pour 1821 et 1977 est la même. On croirait regarder sur Netflix un de ces films de « walking dead ».
La question de la terre est vraiment une histoire de « possédée ». Il faut certainement plus que de la simple sensibilisation à l’écologie pour une justice climatique.
Dr Jimmy Harmon
Références
Veracini. L. (2013). ‘’Settler colonialism: Career of a concept”, The Journal of Imperial and Commonwealth History, 313-333, 41.
Kachika, T. (2010). Land grabbing in Africa. A review of the impacts and the possible policy responses. Pan African Program of Oxfam International.
——- ACCROCHE
Christina Wong Yu Chong a soutenu brillamment son mémoire de maîtrise en International Affairs en mai 2024 à l’université The New School, New York. Le titre se lit comme suit: « Rethinking maroon heritage: assessing coloniality in heritage-making and highlighting counter-interventions for alternative politics in Mauritius ». Au chapitre 3 (« Reframing Maroon Heritage »), la mauricienne parle de « demystifying climate crisis ».