JOURNEE INTERNATIONALE DU SOUVENIR DE LA TRAITE NEGRIERE ET SON ABOLITION – Esclavage : la Mer et la forêt

Dr JIMMY HARMON

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Vice-Président du Comité Scientifique

Musée Intercontinental de l’Esclavage

République de Maurice

En cette Journée internationale du Souvenir de la traite négrière et son abolition (23 août), décrétée par l’UNESCO depuis 1998, il ne serait pas inintéressant d’évoquer la mer et la forêt. En octobre 2023, un protocole de recherche fut signé à Maurice entre le Département d’anthropologie de l’Université de Toamasina (Tamatave, Madagascar) et le Musée Intercontinental de l’Esclavage. Lors son allocution, le Professeur Diny Razanakolona, président de l’Université Toamasina, avait souligné les liens géographiques et historiques entre Maurice et Madagascar. Il avait déclaré que cette collaboration vise à renforcer les liens existants, en mettant l’accent sur la recherche, l’histoire, la géographie et les échanges culturels. Le partenariat prévoit un avenir fondé sur la compréhension mutuelle et un patrimoine partagé.

Groupe culturel de la mention anthropologie – ses chansons conjuguent les douleurs de séparation avant la déportation des esclaves

Cette année, le département d’Anthropologie de l’Université de Toamasina a célébré ses premières journées anthropologiques. Cette célébration, qui a eu lieu du 12 au 16 août, s’insère dans le cadre du renforcement de la capacité des étudiants de l’université à recueillir des données sur le terrain et elle est destinée à devenir une tradition annuelle. Pour cette année, les recherches étaient axées sur le thème « L’esclavage : la mer et la forêt ».  Les résultats préliminaires de ces recherches anthropologiques localisées  apportent un nouvel éclairage sur ce « crime contre l’humanité ». Le point le plus saillant de ces résultats, c’est qu’ils confirment que l’esclavage existait dans la Grande Ile avant la colonisation. J’eus l’occasion d’envoyer une communication vidéo pré-enregistrée pour la journée du 14 août.

Dans cet article, je me réfère au rapport que m’a envoyé le Dr André Rakotoarimanana, Responsable de la Mention Anthropologie de l’Université de Toamasina. Puis, je donne deux pistes que j’avais empruntées dans ma communication.

Les résultats des recherches

Le rapport du département d’anthropologie explique qu’il s’agissait pour les étudiants de remonter le temps, et d’aller collecter des données relatives à l’esclavage dans quatre sites dont la commune urbaine de Toamasina ville, et trois communes rurales de Toamasina II, dont Ambodisaina, Fanandrana, et Foulpointe. La célébration de ces journées anthropologiques a été répartie comme suit : les deux premiers jours ont été consacrés aux descentes de terrain. Les étudiants ont ensuite rapporté publiquement, via une conférence, le résultat de leurs recherches. Les journées se sont enfin terminées par une soirée dansante animée par des artistes traditionnels. En ce qui concerne le résultat des recherches, on peut le résumer comme suit : pour les endroits précités, la période de l’esclavage a commencé bien avant la colonisation française, plus précisément à partir du XVIe siècle. C’était la période où les pirates ont commencé à sillonner l’océan Indien et où ils ont échangé avec les chefs lignagers betsimisaraka. En effet, durant cette période, c’est-à-dire du XVI au XIXe siècle, l’esclavage se manifestait sous différentes formes : il y a d’abord les guerres lignagères c’est-à-dire les rapts après lesquels les captifs seront échangés contre des zébus, ces derniers étant le symbole de puissance pour les lignages de l’époque. Vient ensuite la traite où des esclaves en provenance de Madagascar ont été transportés vers les iles voisines pour servir de main-d’œuvre dans des plantations. Il y a aussi des expéditions aux Comores où les chefs lignagers betsimisaraka utilisaient comme technique militaire le siège, afin de se procurer des esclaves. Sans oublier des travaux forcés tels que la construction du Manda de Foulpointe, qui servait de résidence pour les dirigeants de l’époque.

L’esclavage continuait durant la colonisation française. En effet, à partir de 1896, les habitants de la Côte-Est de la Grande Ile étaient soumis à des travaux forcés. Tel est par exemple le cas de la création du Canal des Pangalanes d’une longueur de 700m reliant Tamatave à Farafangana où il était question de le creuser à la main ou avec des matériels rudimentaires. Il en est de même de la plantation des palmiers, des cafés, et de la canne à sucre à Fanandrana. La création d’un refuge appelé Farafaty à Ambodisaina a également lieu durant cette période où les esclaves se sont cachés pour fuir l’oppression des colons. Le rapport souligne finalement que « bref, la mer et la forêt constituent les principaux points clés de la période d’esclavage sur la Côte-Est de Madagascar. Tout d’abord, la mer symbolise le cimetière pour les déportés (car nombre de vies périssaient en mer durant les traversées) et la forêt constituait un refuge pour les opprimés (car c’est dans la forêt que les esclaves se sont cachés) ». Ce qui m’amène alors aux pistes de réflexion que je donne dans ma communication.

La mer, archive vivante du tombeau gris

Le poète et écrivain Derek Alton Walter Scott (1930-2017) met en avant dans un de ses poèmes « Where are the monuments, your battles, martyrs? Where is your tribal memory ? Sirs, in that gray vault. The sea. The sea has locked them up. The sea is history ». La mer est alors une archive vivante du tombeau gris qui renferme les récits de douleur et de résilience du passé.

Dans sa publication Maritime Maroonage in Ile de France (2017), la Mauricienne Annelise Levasseur-Elizabeth met en exergue que « Much has been written by earlier researchers about maroonage on Mauritius. Yet, one of the forms maroonage has remained more or less unexplored. This concerns the use of the sea as a means of resistance or escape, which I have termed ‘maritime maroonage’ (p.8). La même publication relève pour l’Isle de France un bon nombre de marrons capturés entre 1773 et 1775 près de Trou-Fanfaron qui essayaient de prendre la fuite sur une chaloupe ou un chaland. La publication fait aussi mention du Sieur Dayot qui rapporta le 12 août 1777 le vol de sa chaloupe dans le Caudan par douze esclavés malgaches. La destination, désirée ou réussie, était souvent le retour à Madagascar ou l’île Bourbon. Ce type d’évasion demandait certainement une réflexion longuement mûrie et un « bon plan ». Cet aspect nous révèle l’ingéniosité de ces hommes et femmes, soifs de liberté.  Ils furent les premiers explorateurs.

La forêt, habitat des « premiers explorateurs de l’intérieur du pays »

La publication Le marronage à l’Isle de France-Ile Maurice (1999) de l’historien mauricien Amédée Nagapen (1930-2012) reste la référence pour l’étude du marronage par des tout premiers marrons sur notre île à l’époque de la période hollandaise. En 1642, Van der Stel (1639-1654) entreprit le premier de ses trois voyages à Madagascar. Il y embarqua cinq cents indigènes. Dès les premières semaines, cinquante-cinq de ces Malgaches arrivèrent à s’enfuir. Les Hollandais réussirent à en reprendre dix-huit. Van der Stel les fit enchainer. L’historien nous dit : « Par la force des choses, ces nouveaux arrivants fugitifs devinrent les premiers explorateurs de l’intérieur du pays » (Nagapen, 1999). C’est un renversement de la situation. Nagapen nous invite à relire la vie des marrons comme une victoire sur l’adversité. Alors qu’à l’école on apprend que les colonisateurs furent les premiers explorateurs avec Christophe Colomb (l’Amérique) ou Jacques Cartier (Canada) comme image d’Epinal.  Par contre, le récit de la vie des marrons nous désapprend sur les vrais explorateurs. Au fait, les marrons furent les premiers explorateurs de l’intérieur du pays. Les premiers sentiers, les premiers escarpements furent créés par le passage des marrons. La forêt fut alors l’habitat de ces premiers explorateurs marrons.

Cette année, deux publications par le Centre Nelson Mandela Pour la Culture Africaine nous amènent à mieux cerner la place de la mer et de la forêt, notamment la bande dessinée en Kreol Morisien sur l’esclavage, « Goulous » par Stanley Harmon. La publication abonde d’images de forêts. La forêt regorge de nourriture : « Ti ena manze an abondans isi, pwason, fri, bred, torti, zako, zozo » (p.13). L’autre publication est « Leritaz Maronaz, Chroniques de la résistance au colonialisme à l’Ile Maurice » par Rafiki Audibert. Le jeune auteur reprend les grandes figures du marronage avec de superbes illustrations et les présente sous différents prismes. Parmi on retrouve  « Panglose, le sorcier de la foret ». L’auteur nous raconte que le 20 avril 1811 Panglose attaqua au sabre une milice de chasseurs à sa poursuite. Il a sur lui un sac d’objets de sorcellerie nommés “grigri” grâce auxquels il fait des rituels animistes. L’humain est en symbiose avec la Nature. La forêt fut alors le premier temple du Panthéisme, ne pourrait-on dire ?

Références

Audibert, R. Leritaz Maronaz, Chroniques de la résistance au colonialisme a l’Ile Maurice. Centre Nelson Mandela, 2024.

Levasseur-Elizabeth, A. Maritime Maroonage in Ile de France, UoM/ CRSI, 2017.

Harmon, S. Goulous, Centre Nelson Mandela, 2024

Nagapen, A., Le marronage à l’Isle de France-Ile Maurice, Nelson Mandela Centre, 1999.

Rakotoarimanana, A. Journées Anthropologiques, 12 au 16 août 2024. Rapport du Département d’Anthropologie, Université Toamasina, 2024.

UNESCO, 2015-2024, An agenda for ten years, History, Memory, Heritage

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