Les Jeux Olympiques 2024 se tiennent du 26 juillet au 11 août alors que les paralympiques se dérouleront eux du 28 août au 8 septembre. Au lendemain de la cérémonie d’ouverture, les toutes premières réactions et dénonciations autour de cette « scène » de la Cène fusent : « choc », « blasphème », « non-respect des enfants », « parodie honteuse de la dernière Cène » sans compter la dénonciation par les Evêques de France. À Maurice, le Père Mongelard en parle aussi dans ses Méditations Matinales qu’on reçoit tous les jours par WhatsApp depuis le COVID-19. Par la suite, le dimanche 4 août, le Saint-Siège a aussi déploré dans un communiqué « certaines scènes offensantes pour les croyants » mais souligne que « la liberté d’expression, qui n’est évidemment pas en cause, trouve sa limite dans le respect des autres ». Quoi dire ? Que peut-on apprendre de ces Jeux Olympiques ? Il faut placer le tout dans un nouveau récit national français. Certes, ce récit est « français », mais il y a du « bon grain » à séparer de « l’ivraie » pour nous tous.
Leçon 1
Références historiques, cultu(r)elles et Colonne Vertébrale
Mireille Legait dans un édito intitulé « Qu’elle(s) cène sur la Seine ? dans Le Journal de la Réunion (JIR) du 29 juillet 2024 (p.2), quotidien qui est associé à la droite réunionnaise, condamne le blasphème commis et dit que « les références historiques et cultu(r)elles, c’est du sport ». Le « r » mis entre parenthèse dans « cultu(r)elles » est très significatif. L’éditorialiste nous fait comprendre que le sport a aussi un côté « culte ». C’est ce qu’on a vu tout le long de l’ouverture des Jeux Olympiques. Les organisateurs ont souligné cela en faisant ressortir le paganisme dans l’origine des Jeux olympiques au sens grec du terme. Mais pour Mireille Legait, « notre culture commune, [c’est] cette Fraternité d’Abraham qui unit les trois religions du Livre : le judaïsme, l’islam et le christianisme ».
De son côté, Dominique Seux, dans son éditorial dans le quotidien français à tendance libérale, Les Echos (29 juillet 2024, p.13) pose la problématique de la sorte : « Cet événement a permis de répondre à une question qui nous taraude collectivement depuis plusieurs années. Qu’est-ce qu’être Français ? Quelle est notre colonne vertébrale… ? » Il compare ce qui fait le trait culturel des autres pays en disant ceci : « Les Allemands se rassemblent autour de leur modèle économique. Les Britanniques autour de leur insularité. Les Américains autour de leur génie technologique et, pendant un siècle, de leur rôle messianique. Les Chinois sont fiers de leur fantastique rattrapage économique. Comme les Italiens et les Grecs le sont de leur patrimoine culturel et historique ». Finalement il résume bien ce que la France a toujours représenté pour le monde : « L’aspiration à l’égalité et le progrès social ont depuis toujours été les moteurs qui ont animé la France. C’est aujourd’hui la créativité qui la distingue et dont elle a besoin. La capacité, dans un certain nombre de domaines (intellectuel, scientifique, économique) à déplacer les lignes, à innover, à transgresser, à refuser les disciplines artificielles. C’est cela qui a été montré au monde vendredi soir ».
Leçon 2
Le fond gréco-latin
La France et le Royaume-Uni ont un fond culturel gréco-latin sur lequel s’est greffé le christianisme. La mythologie grecque façonne la pensée européenne, la formation discursive et tout particulièrement le patrimoine intellectuel français. En cette fin d’après-midi du vendredi 26 juillet devant ma télé, je fus captivé par deux jeunes qui couraient avec un flambeau à tour de rôle et qui s’arrêtaient devant un type encapuchonné, sans visage, qui était dans une barque. Cet homme est présenté sur les réseaux sociaux officiels de l’organisation des jeux comme « Assassin Creed », personnage des jeux vidéo historique d’action aventure et d’infiltration en monde ouvert pour bien démontrer l’intégration de la nouvelle technologie aux Jeux pour raconter l’histoire avec un grand « H ». Mais pour moi cet homme représente le personnage mythologique « Charon » qui fait traverser la rivière du Styx aux morts dans une barque, contre une pièce ou un objet selon certaines croyances.
Le Styx (affluent de la haine) est un des quatre fleuves dans la mythologie grecque avec notamment le Phlégéthon (rivière de flammes), l’Achéron (fleuve du chagrin), le Cocyte (torrent des lamentations) et le Léthé (ruisseau de l’oubli) qui convergeaient vers les enfers grecs, l’Hadès. L’existence du Styx était directement associée aux croyances dites païennes. Au fil des temps et avec l’expansion de la culture judéo-chrétienne, l’Hadès disparut. En revanche, on retrouvera cette mythologie dans l’intertextualité de la littérature chrétienne d’Europe. En 2021, le pape François dans sa lettre apostolique « Candor lucis aeternae », saluait le 7e centenaire de la mort de Dante Alighieri (1265-1321), poète italien, auteur de « La Divine Comédie ». Ce chef-d’œuvre de Dante Alighieri, composé entre 1303 et 1321 est un long poème qui raconte le voyage de l’auteur en enfer parmi les damnés, guidé par le poète romain Virgile. Dante y retrouve plus tard sa bien-aimée, Béatrice, qui le guide jusqu’au purgatoire, puis au paradis où, dans un moment d’extase, le narrateur aperçoit Dieu. De son temps, le poète Dante avait une relation compliquée avec les papes. Mais la papauté a, par la suite, fait Dante progressivement un point de référence. Ainsi le Pape François dit : « Il fait en effet partie intégrante de notre culture. Il nous rappelle les racines chrétiennes de l’Europe et de l’Occident, il représente le patrimoine d’idéaux et de valeurs proposées aujourd’hui encore par l’Église et la société civile comme « base de la coexistence humaine. » (Lettre Apostolique, 2021 p.6, para.2).
Leçon 3
Création des identités nouvelles
L’Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie avant, pendant les Jeux Olympiques et jusqu’au 8 septembre 2024. L’idée est d’allier l’art et le sport, “le muscle à l’esprit” comme le disait Pierre de Coubertin. Dans ce contexte, le Collège de France (qui existe depuis 1503) organise des séminaires, téléchargeables et disponibles sur YouTube. Le séminaire ‘Sports et migrations’ tenu le 8 février 2024 a réuni Patrick Mignon (sociologue, ancien responsable du laboratoire de sociologie de l’INSEP), Paul Dietschy (Professeur d’histoire contemporaine, directeur du Centre Lucien Febvre, directeur de la revue “Football(s). Histoire, Culture, Économie, Société”) et Emmanuel Laurentin (Journaliste et historien, producteur de l’émission “Le Temps du débat” sur France Culture).
Ce séminaire nous apprend que l’invention du sport moderne à la fin du XIXe siècle est liée à la question des migrations et des circulations. La colonisation donna des règles universelles aux jeux locaux tel que le football en 1863 par les Anglais. Les troupes et les fonctionnaires coloniaux, les commerçants, les missionnaires et pédagogues diffusèrent le sport dans le monde. Dans les pays dits « neufs » d’Amérique du Nord et du Sud, le sport joua un rôle de création d’identité nouvelle avec des peuples aux origines multiples. Ainsi, les géants (noirs) de la boxe américaine dépassèrent les boxeurs européens. Ce qui fait que le sport rend visible le corps, qu’il s’agit de sa stature, de sa musculature ou la couleur de la peau. En même temps, le sport est un lieu d’intégration ou d’affirmation identitaire dans les sports populaires comme la boxe, le cyclisme ou le football. Le séminaire du College de France aborde la portée des Jeux Olympiques 2024 en disant : « l’époque contemporaine, on verra comment le sport pose la question des sociétés multiculturelles et est l’un des lieux, parfois complexes, de la promotion des minorités visibles et, en même temps, de construction d’un nouveau récit national, celui du sport ».
Et si on retournait le blasphème ?
L’esprit libre-penseur, libertin, voltairien et qui doute de tout et de rien a toujours été « la marque » française. Les plates excuses des organisateurs des Jeux et les propos attribués à Charles Declercq, prêtre et journaliste belge, largement relayés sur les réseaux sociaux, nous permettent d’espérer : « Et pourtant, dans ces représentations, y compris celle d’hier, c’est le sens le plus profond du christianisme qui se donne là à voir: Jésus qui accueille les pécheurs, les publicains, les prostituées et qui leur promet de nous précéder dans le royaume. Comme chrétien, j’aime à penser que Jésus, aujourd’hui, aurait pu s’entourer de ces personnes pour son dernier repas ».
Dr Jimmy Harmon
Références
Collège de France, Grand Evénement Sport et migrations, Paul Dietschy, Patrick Mignon et Emmanuel Laurentin, 8 février 2024. https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/grand-evenement/les-jeux-au-college-de-france/sport-et-migrations?
Dominique Seux, « French Touch », Les Echos, 29 juillet 2024, p.13
Le Saint-Siège, Lettre Apostolique Candor lucis aeternae , à l’occasion du 7e centenaire de la mort de Dante Alighieri, Pape François, 25 mars 2021
Mireille Legait, « Qu’elle (s) cène sur la Seine ? », Le JIR, 29 juillet 2024, p.2.