Dans le sillage du Panic Buying des bouteilles d’huile récemment, Le Mauricien a rencontré Jérôme Clarenc, directeur commercial de Moroil. Il tire la sonnette d’alarme sur les risques de demeurer dépendant des fournisseurs de produits finis ou semi-finis pour la consommation locale. Il souhaite une réflexion sur la re-régionalisation de la Supply Chain pour assurer la sécurité alimentaire. Jérôme Clarenc souligne que Moroil a un engagement moral et social envers la population mauricienne. Même s’il souhaite une augmentation des subsides sur l’huile, il reconnaît que le contrôle des prix ou l’octroi de subsides ne peut pas être le seul mécanisme envisagé pour juguler la flambée des prix. À ce propos, il propose un système de Burden Sharing entre les “stakeholders.
Une annonce publique a donné lieu à une panique dans les supermarchés au sujet de l’huile comestible. Puisqu’il n’y a pas de fumée sans feu, quel était le problème ?
D’abord, nous sommes soulagés que la situation soit retournée à la normale. C’était une pénurie artificielle. C’est le conflit en Ukraine qui a, sans aucun doute, servi d’élément déclencheur de cette vague de Panic Buying. L’approvisionnement se déroulait normalement avant cela. Le bruit a couru sur un risque potentiel de pénurie de produits essentiels comme le gaz, les céréales et l’huile comestible, entre autres. Ensuite, sans que cela soit justifié, des radios ont alimenté la situation en parlant de pénurie d’huile imminente dans le pays.
Tous ces éléments ont contribué à enfler la rumeur et nous avons vu les consommateurs se ruer dans les supermarchés et acheter des bouteilles d’huile en grande quantité. Nous étions loin de la consommation habituelle. Heureusement, nous avons eu des séances de travail avec les autorités et la MCCI. Nous avons rassuré tous les Stakeholders et tout est rentré dans l’ordre.
Quelle est la situation concernant le stock d’huile dans le pays ? Qui sont les principaux consommateurs
Le stock est satisfaisant. En ce qui nous concerne, nous avons un engagement moral et social. Nous n’avons jamais failli à cet engagement et tenons à rassurer la population : Moroil dispose d’un stock suffisant pour les prochains mois par rapport à sa part de marché habituelle. Il est vrai, cependant, que nous notons une demande accrue depuis ces dernières semaines. Cela met une pression importante sur notre production. D’où notre appel pour une consommation plus responsable et pour une confiance dans les producteurs locaux.
Quelle est la demande dans le pays ?
Le marché domestique est constitué de trois segments : les foyers, l’HORECA (Food Services) et les industries. La consommation principale est représentée par les foyers avec une consommation estimée à plus de 2 000 000 litres par mois.
Quelle est la part de la production locale et de l’importation ?
Depuis quelques années, la production locale était de 50% environ. L’impact de la pandémie de Covid-19 s’est fait ressentir sur le circuit de l’importation. Nous avons noté que la production locale et le Made in Moris se sont révélés plus importants que jamais. Il y a eu une prise de conscience du rôle de l’import-substitution. Je pense que les Mauriciens ont compris l’importance d’avoir une production locale résiliente, capable d’assurer l’approvisionnement lorsque les puissances productrices étrangères décident de ne plus envoyer leurs produits chez nous. Aujourd’hui, nous voyons que le marché rrecommence à pencher nettement en faveur du produit local.
Qui sont les principaux producteurs et importateurs à Maurice ?
Le marché de l’huile est assez diversifié. Il y a Moroil, producteur depuis 1968 ainsi qu’un autre producteur local, REOP. À nos côtés, il y a un peu moins d’une dizaine d’importateurs, principalement d’Égypte. Moroil est un des principaux producteurs.
Quelle est sa part du marché à Maurice. Est-ce que l’usine produit pour l’exportation ?
En ce moment, nous avons la part la plus importante du marché local avec des produits de qualité respectant les normes internationales, vendus à des prix très compétitifs. Notre engagement est envers le marché local avant tout. Moroil aussi est fournisseur d’une grande conserverie dont la majorité de la production est tournée vers l’export.
Tenant compte de l’ouverture du marché et de la compétition, est-ce l’entreprise est rentable ?
Un producteur local n’est pas soumis aux mêmes contraintes qu’un importateur. Il y a aussi la question de l’économie d’échelle. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés au sein de l’AMM et soutenons son plaidoyer pour des réformes structurelles qui accéléreront la transformation du secteur manufacturier mauricien.
Peut-on dire que Moroil est un des pionniers de l’industrie locale ?
Je tiens à rappeler que Moroil est un producteur historique d’huile à Maurice. Son histoire est étroitement liée à celle de l’île Maurice indépendante. Cela fait plus de 50 ans que nous nous sommes engagés à servir la nation mauricienne. Elle a commencé la production de l’huile comestible en 1968, année de l’indépendance. Sa création s’inscrivait dans la stratégie économique du pays qui misait sur la substitution des importations. Cela a permis de jeter les bases de l’industrialisation à Maurice et allait, au fil des années, prendre de l’ampleur. Moroil s’est, dès ses débuts, engagée à garantir à la population mauricienne un approvisionnement continu en huiles alimentaires raffinées de qualité internationale, à des prix compétitifs et conditionnées localement. Depuis cinq décennies, Moroil poursuit sans relâche ces objectifs, avec une amélioration continue de ses activités de production et de distribution. Elle est certifiée MSB, HACCP et SA 8000. Moroil produit aujourd’hui des huiles répondant aux normes internationales les plus exigeantes avec une assurance qualité et une régularité d’approvisionnement qui rassure un large éventail de distributeurs, d’utilisateurs professionnels et de consommateurs.
Est-ce que vous produisez uniquement des huiles de la famille Moroil ?
Les compétences reconnues de Moroil ont également été propices à la mise en place de partenariats avec des producteurs européens de renom, à savoir Lesieur en France, Sovena en Espagne et Attianese en Italie pour la représentation et la commercialisation de leurs produits sur le marché mauricien. Aujourd’hui, Moroil propose, en plus de sa propre gamme d’huiles végétales, une sélection de produits importés de pays européens, réputés pour leur savoir-faire et la qualité de leur industrie.
Pouvez-vous nous parlerdu processus du raffi nage de l’huile localement ?
Le processus de raffinage entrepris à Moroil consiste à transformer l’huile brute en un produit commercialisable en assurant sa stabilité et en préservant au mieux ses valeurs nutritionnelles et ses propriétés organoleptiques. Ce processus de raffinage optimal permet aux huiles Moroil de conserver le meilleur de leurs valeurs naturelles afin de nous apporter au quotidien leurs bienfaits essentiels. Moroil est équipée de machines à la pointe de la technologie pour emballer toute la gamme de produits nécessaires pour satisfaire les besoins des clients.
Tous les processus d’emballage sont soumis à des contrôles métrologiques stricts pour garantir que les quantités correctes sont fournies aux clients. Moroil Rani est emballée dans des pochettes d’un litre, dans des bouteilles d’un litre ou des gallons en plastique de cinq litres et 16 litres. Moroil Soya est disponible en bouteilles d’un litre et en gallons de quatre litres. Le Tournesol Moroil est vendu en flacons d’un litre et en bidons de 16 litres.
Disposez-vous de facilités de stockage suffisantes ?
Moroil dispose d’installations de stockage spécialement adaptées pour ses huiles et produits importés. La compagnie a mis en place un réseau de distribution autour de l’île afin de répondre aux demandes du marché, notamment après l’émergence de centres commerciaux, d’hôtels et de restaurants. Nous disposons d’une flotte de neuf véhicules et de distributeurs agréés pour assurer la distribution de ces produits locaux et importés sur toute l’île.
Combien de personnes sont employées par la compagnie ?
Moroil emploie quelque 190 salariés actifs et considère son capital humain comme un atout vital. La société veille à ce que sa politique d’emploi soit équitable et que les procédures adoptées soient transparentes, fondées sur le mérite et conformes à toutes les législations. Moroil ne ménage pas ses efforts pour attirer, motiver et retenir des personnes talentueuses qui contribuent au succès de la société. Les employés participent à un régime de participation aux bénéfices, basé sur la performance au travail. La formation et le développement sont considérés comme une priorité absolue pour tous les employés. Nous avons toujours investi dans des programmes de développement où chaque employé acquiert une formation spécifique et adéquate pour améliorer ses compétences. Nous nous sommes toujours engagés à assurer un équilibre travail- vie approprié dans un e n v i r o n n e – ment sain et sécurisé.
Votre bilan financier a été publié récemment. Pouvez-vous nous en parler ?
Le bilan financier pour l’exercice financier se terminant le 30 juin 2021 a été publié en février. Le chiffre d’affaires du groupe pour la période a augmenté en raison de l’augmentation du volume des ventes dans tous les secteurs, ce qui a entraîné une augmentation du bénéfice après impôts de Rs 17,5 millions (2020) à Rs 31,7 millions en 2021. Au cours de cette période, le coût de l’huile brute a augmenté et cette hausse devrait se poursuivre. La société a versé un acompte sur dividende de Re 0,50 par action en décembre 2021.
Est-ce que la production a été affectée par la pandémie ?
Depuis le début de la pandémie, nous opérons dans des conditions extrêmement compliquées, et encore plus avec la guerre en Ukraine. Ainsi, nos principales matières premières connaissent, depuis juin 2020, une hausse considérable inattendue. Actuellement, les prix de matières premières représentent environ plus de 70% du coût d’une bouteille d’huile sur les étagères. Nous nous devons de réfléchir – avec le gouvernement et le secteur manufacturier – au Sourcing de nos intrants dans la région. Néanmoins, nous assurons l’approvisionnement régulier à tous nos clients. La sécurité alimentaire a toujours été une de nos priorités. De plus, notre production n’a jamais été affectée grâce à nos employés sur lesquels nous pouvons toujours compter. La guerre entre l’Ukraine et la Russie présente un nouveau défi .
Quelle est votre analyse de la situation ?
Cela fait plus de deux ans que l’Association of Mauritian Manufacturers, dont nous sommes membres, tire la sonnette d’alarme sur les risques de demeurer dépendants comme nous sommes des fournisseurs de produits finis ou semi-finis pour notre propre consommation locale. Nous devons alerter l’opinion publique sur cette question et engager la réflexion sur la rerégionalisation de notre Supply Chain et le développement d’une boîte à outils pour assurer notre sécurité alimentaire. La pandémie et le conflit armé ont de réelles répercussions sur notre territoire. Dans ce contexte, une industrie locale forte avec pour piliers l’AMM et le Made in Moris, est primordiale pour construire des modèles de production durable qui assureront notre sécurité alimentaire.
D’où viennent vos matières premières ? Nous importons principalement d’Amérique du Sud.
Quelle est la part des importations de l’Ukraine qui est un gros producteur de tournesol ? Il semblerait que ces huiles importées d’Égypte sont principalement produites à partir de matières premières provenant d’Ukraine. À noter que les autorités égyptiennes ont interdit l’exportation d’huiles comestibles.
Est-ce que vous appréhendez les embargos concernant les exportations de matière premières ?
Non. Pour le moment, nous avons peu d’appréhensions à ce sujet car nous avons d’excellentes relations avec nos fournisseurs qui nous assurent un approvisionnement régulier. De plus, lorsque vous produisez pour le marché local, vous avez le sens des responsabilités. Ce n’est pas un engagement que nous prenons à la légère. Et lorsque nous vous donnons l’assurance que nous disposons du stock, nous le disons avec beaucoup de sérieux.
Peut-on être autosuffisant en matière de production d’huile ? Oui, l’île Maurice pourrait être autosuffisante en huile raffinée produite à partir d’huile brute importée. Le pays pourrait être autosuffisant avec une planification et des investissements nécessaires. Nous suivons de près le travail mené par les institutions du secteur privé, les ministères concernés et les associations industrielles de la région océan Indien. Il y a des décisions politiques courageuses à prendre dont le développement d’une stratégie nationale d’import-substitution. Il faut nous intéresser à la région océan Indien pour en faire un Hub. Toute la production locale en bénéficierait.
Quelle est la situation des prix de l’huile sur le marché local ? Les prix des huiles ne reflètent pas le prix mondial parce qu’il est subventionné par le gouvernement pour venir en aide à la population. Que faut-il faire pour maintenir les prix à un niveau abordable ? Le gouvernement subventionne déjà d’une manière importante plusieurs familles de produits. Il faut reconnaître cet effort. Pour maintenir ces prix, les autorités doivent impérativement augmenter les subsides car nous n’avons pas les moyens de combattre la flambée des prix sur le marché mondial. Une autre option serait le Burden Sharing entre tous les Stakeholders. Mettons à la même table, producteurs, raffineurs, importateurs pour constater le poids global de leurs coûts, pour aboutir à un mécanisme collectif qui permettrait d’absorber la hausse des coûts qui ne serait plus, ainsi, répercutée sur les consommateurs. Le contrôle des prix ou l’octroi de subsides ne peut pas être le seul mécanisme envisagé pour juguler la flambée des prix.
Avez-vous des propositions à faire en vue de la présentation du budget 2022-2023 ?
Il faut avant tout reconnaître que le gouvernement fait ce qu’il peut pour alléger le fardeau des consommateurs et qu’il ne dispose pas de baguette magique pour faciliter la situation au niveau des opérateurs économiques. Aujourd’hui, le contexte appelle à des mesures pour répondre aux urgences immédiates et des actions à moyen terme pour des réformes structurelles. Nous nous inscrivons dans les propositions de l’AMM pour que le gouvernement engage, très vite, des réformes structurelles. Nous voyons tous les limites de nos modèles de consommation et de production.