J.D.Vance, un vice-président américain apôtre du post-libéralisme, un danger pour la démocratie

REYNOLDS MICHEL

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De La Réunion

Il a même dépassé les limites en rencontrant la candidate de ce parti extrémiste et nationaliste pour la chancellerie, Alice Weidel. Un appel implicite à voter pour ce parti, alors même que les responsables des principales Églises chrétiennes en Allemagne, estimant la démocratie en danger, invitent les électeurs à voter pour la défendre dans les urnes le dimanche 23 février. « Notre démocratie n’est pas négociable », lancent les signataires de l’appel commun lancé le mardi 11 février par les responsables des principales Églises chrétiennes en Allemagne (Sophie le Pivain, dans La Croix du 17/02/2025).

Qui est James David Vance ?

L’homme qui, à Munich le 14 février 2025, a stupéfié les dirigeants européens, les accusant de pratiquer une démocratie dénaturée qui bâillonne la liberté d’expression, verrouille les réseaux sociaux, tout en condamnant le cordon sanitaire contre l’extrême droite ? Un idéologue extrémiste doublé d’un chrétien nationaliste ultraconservateur et nativiste qui veut créer un ordre « post-libéral » ? Découvrons ensemble.

De l’Ohio au sommet de l’état, un parcours fulgurant

James David Vance est né Donald Bowman à Middletown, dans l’Ohio, le 2 août 1984. Il est issu d’une famille modeste d’une région désindustrialisée représentative d’une Amérique en déclin (la Rust Belt/ceinture de rouille). D’une mère, Beverly Carol Vance, qui luttait contre la toxicomanie et d’un père absent, Donald Ray Bowman. Renommé James David par sa mère dans son enfance, il a surtout été élevé par ses grands-parents, notamment sa Mamaw (grand-mère), qui lui ont apporté un soutien sans faille et des repères stables, comblant l’instabilité familiale.

Après ses études primaires et secondaires, il s’engage dans le corps de Marines de 2003 à 2007. Il est affecté aux services de communication, y compris en Irak. Après sa démobilisation, il entre, grâce à une bourse (G.I. Bill), à l’Université de l’Ohio où il sort avec un diplôme de Sciences politiques et de philosophie en 2009. Les très bons résultats de ses études lui ont valu d’être admis à la prestigieuse Université de Yale, en faculté de droit. Quatre ans plus tard, il obtient son doctorat de la faculté de droit de l’université. C’est là, à Yale, qu’il rencontre Usha Chilukuri, une femme brillante issue de l’immigration indienne de Madras – de parents universitaires, la mère est biologiste moléculaire – qui a fait comme lui la Yale Law (École de juristes). En 2014, il prend son nom actuel et l’épouse. Le couple aura trois enfants.

Sa carrière sera d’abord juridique et financière, tout en se spécialisant dans le capital-risque et le secteur de la high-tech. Depuis Yale, J.D. Vance a su développer une grande capacité à se lier d’amitié avec des personnalités importantes du monde des affaires. En 2011, il se rapproche de Peter Thiel, une grande figure libertarienne (1) de la Silicon Valley cofondateur de PayPal – le leader mondial du paiement en ligne – qui l’introduit dans ce milieu emblématique de l’innovation. Cette rencontre avec Peter Thiel, grand ami d’Elon Musk, J.D. Vance l’a qualifiée lui-même de « moment le plus significatif de sa vie ».

En effet, c’est sous l’influence de son ami Peter Thiel, fervent catholique, élève et disciple de René Girard (1923-2015) – anthropologue français auteur de la théorie du désir mimétique – qu’il s’est converti en 2019 au catholicisme. Et c’est Peter Thiel, l’un des premiers milliardaires de la tech à soutenir Trump, qui finance sa campagne électorale de sénateur de l’Ohio en 2021-2022 à hauteur de 15 millions de dollars – la plus grosse somme pour soutenir un candidat. Il n’est pas pour rien dans la nomination de J.D. Vance comme vice-président des États-Unis.

Le nouveau visage de la droite américaine

C’est en 2016 avec la publication, chez Harper, du récit de son enfance paumée dans les Appalaches, Hillbilly Elegy. A Memoir of a Family and Culture in Crisis, que J.D. Vance s’est fait connaître du grand public. Le livre, qui plonge les lecteurs au cœur de cette région du Midwest, confrontée à la désindustrialisation, au chômage, à la toxicomanie, et d’une classe ouvrière blanche en grande difficulté, est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Devenu un best-seller, l’ouvrage est traduit en français dès 2017 aux éditions Globe sous le titre Hillbilly Elégie et porté à l’écran par Netflix en 2020. Le livre, qui apparaît comme une aide à la compréhension du vote de la classe ouvrière en faveur de Trump en 2016, attire l’attention du fils aîné de Donald Trump, dont Vance est devenu ami.

À l’époque, il est un opposant à Trump, allant jusqu’à se demander si Trump n’est pas « le Hitler de l’Amérique ». Mais il se reprend ensuite et se rapproche de lui en reprenant les grands thèmes de Donald Trump quand il brigue le siège de Sénateur de l’Ohio. Bien mieux : il défend ensuite énergiquement et avec loyauté le candidat républicain à la présidentielle, deviendra son vice-président à seulement 39 ans. D’où la question du lien entre cette rapide ascension au sommet de l’État et sa conversion au catholicisme en 2019. Depuis sa conversion au catholicisme en 2019 – après sa rencontre avec Peter Thiel, sa lecture de Saint Augustin (l’un des Pères de l’Église) et celle de René Girard – J.D. Vance aime mettre en avant sa foi chrétienne comme boussole privée et politique. Mieux, Vance porte un projet politique dont sa foi catholique constitue le socle. Il a trouvé dans le catholicisme une expression de la foi conciliable, selon lui, avec une forme de nationalisme dont l’évangélisme l’avait privé.

Un converti zélé devenu apôtre du post-libéralisme

Après sa conversion au catholicisme sous le patronage de Saint Augustin, J.D. Vance se rapproche davantage de penseurs et cercles d’intellectuels catholiques ultra-conservateurs, notamment du philosophe Patrice Deneen, professeur de science politique à l’université catholique Notre-Dame (Indiana) et auteur du livre Why the Liberalism Failed, paru en 2018 (traduit en français en 2020 sous le titre Pourquoi le libéralisme a échoué, chez l’Artisan).

Que veulent ces catholiques conservateurs ? Ils appartiennent tous à un courant post-libéral. Outre, qu’ils veulent recréer une politique chrétienne autour des valeurs morales traditionnelles et subordonner l’instance politique à l’instance religieuse (Blandine Chelini-Pont, revue Etudes, Octobre 2023), ils appellent à des changements profonds dans les institutions politiques, en faisant l’avocat d’un remplacement de la démocratie(2) par un régime post-libéral (Monique Dagnaud (sociologue), in Telos, 6 février 2025).

Ces catholiques post-libéraux ont en commun avec les nationaux conservateurs (NatCons) – mouvement créé par l’intellectuel israélo-américain Yoram Hazony après la parution de son essai de 2018 intitulé The virtue of nationalism, élu livre conservateur de l’année en 2019 – et d’autres courants post-libéraux une remise en cause du libéralisme économique et moral. Le projet libéral, selon eux, est allé au bout de sa logique à tous les niveaux de la société. Il faut passer à autre chose : à une vision plus autoritaire du politique, à un État fort, une présidence forte, une administration forte (3). Cette école de pensée sillonnée de différents courants (une galaxie) cherche, de surcroît, à étendre son influence au-delà des États-Unis (discours de J.D. Vance à Munich).

Le vice-président des États-Unis, J.D. Vance, occupe une place de choix au sein de cette galaxie post-libérale. En utilisant habilement son itinéraire singulier, il cherche à construire sa propre version de l’ultra conservatisme et du post-libéralisme, qu’il entend développer dans un projet à long terme pour l’Amérique. Le plus dangereux pour la démocratie, dans cette Amérique en transition, n’est peut-être pas Trump, mais son jeune vice-président, James David Vance.

Notes

1.Courant de pensée politico-économique essentiellement américain. Soutien que la liberté individuelle est une valeur absolue. Donc, défiance vis-à-vis de toute intervention de l’Etat dans la vie sociale. Peter Thiel dit, par exemple, qu’« il ne croit plus que la liberté et la démocratie soient compatibles » (Peter Thiel, 2009)

2.« Ce qu’il faut […] c’est un changement de régime – le renversement pacifique mais vigoureux d’une classe dirigeante libérale corrompue et corruptrice, accompagné de la création d’un ordre post-libéral », a écrit Patrick Deneen, un auteur éminent de ce mouvement (cité plus haut), dans son livre de 2023 « Regime Change ».

3.James Patterson, professeur de sciences politiques, s’inquiète de cette évolution au sein du mouvement conservateur : « Les post-libéraux tentent de réhabiliter les idéologies fascistes et réactionnaires qui étaient populaires au début du XXe siècle dans les pays catholiques d’Europe et d’Amérique Latine. La Seconde Guerre mondiale a balayé ces idéologies jusqu’à récemment. » (Cf. La Croix, 02/10/2024)

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