Afin d’entendre le point de vue d’un jeune sur la situation à Maurice, Le-Mauricien a rencontré cette semaine Irfan Mallam Hassam, 23 ans, un étudiant mauricien qui termine actuellement ses études en droit à Londres après avoir été lauréat de la cuvée 2019. Il parle de l’importance d’avoir un système d’éducation plus adapté aux réalités locales et internationales. Concernant la classe politique, il constate que le renouvellement se fait petit à petit, avec l’arrivée de plusieurs jeunes, mais que le sommet de la pyramide politique est resté intact. Autre problème : les gens craignent d’exprimer leur opinion publiquement. Il partage enfin de son rêve d’une île Maurice « unie, prospère et ouverte sur le monde ».
Vous avez 23 ans et poursuivez vos études supérieures en Grande-Bretagne. Vous connaissez sûrement le proverbe : « Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait. » Une telle affirmation est-elle toujours valable en 2023 ?
Il faut mettre cela en perspective et voir comment les choses évoluent. La connaissance et la possibilité de faire sont très dynamiques. Durant ces cinq à dix dernières années, il y a eu des choses inimaginables. Dans cet espace de temps, tout est devenu possible. Si je prends mon cas, il y a quatre ans, on ne parlait pas d’intelligence artificielle, de Chat GPT.
Nous avons vu comment, en quelques mois, les choses se sont accélérées de manière incroyable. Il se trouve que ce sont les jeunes qui sont, dans la plupart des cas, derrière ces innovations technologiques. Même les considérations par rapport à l’environnement sont poussées par les mouvements de jeunes. De plus en plus, la jeunesse devient elle-même le moteur du changement.
À voir la façon dont évolue le progrès technologique et sociétal, j’aurais tendance à qualifier cette expression. En fait, tout le monde avance en même temps. La vérité, c’est un Two-Way Street. En matière d’expérience, la jeunesse est obligée de se référer à la génération qui l’a précédée. L’expérience se construit au fil des années. Les jeunes, de leur côté, s’adaptent très rapidement à l’environnement digital et participent au développement des nouvelles technologies.
Vous avez été lauréat dans la filière économique de la promotion 2019. Quel souvenir gardez-vous de la proclamation des résultats ?
C’était essentiellement une satisfaction personnelle. Cela reflétait un peu ma personnalité, car je m’engage à fond dans ce que je fais. Je m’étais fixé ce défi et j’ai fait de mon mieux. J’avais étudié l’économie, la physique et les mathématiques. C’était une super-expérience.
Quelle université avez-vous choisi ?
J’ai fait mes études en droit à l’Université de Durham. C’était une belle expérience, malgré le Covid.
Les lauréats font partie de l’élite mauricienne. Comment s’est passé votre contact avec l’élite internationale ?
Pour être honnête, c’était un changement considérable. Nius faisons partie de l’élite ici, mais là-bas, nius entrons en contact avec des jeunes qui sont plus forts que nous. Ce que j’ai apprécié le plus, c’est la qualité de la pensée et l’ouverture d’esprit. Nous découvrons de nouvelles perspectives, tant en termes d’intelligence que d’expériences, car les étudiants venaient de tous les horizons avec différentes cultures et différents contextes. C’est une occasion de former son opinion en se basant sur l’expérience des autres dans leur pays. J’ai terminé mes études en droit et je fais actuellement mes études professionnelles en Angleterre. Je pratique one step a time.
Envisagez-vous de faire carrière à l’étranger ?
Personnellement, j’adore Maurice, mais je pense qu’il faut avoir un peu d’expérience à l’étranger. Bien entendu, je passerai encore quelques années à l’étranger avant de rentrer au pays.
Quel regard jetez-vous sur le système d’éducation à Maurice ?
Le monde évolue rapidement. Or, nous pouvons avoir l’impression qu’à Maurice, le système n’a pas changé. La question ne se pose pas tellement jusqu’au School Certificate. Après cela, beaucoup de pays adoptent actuellement le Baccalauréat international, qui est beaucoup plus extensif que le HSC. En Angleterre, on évoque de plus en plus l’élimination du HSC et son remplacement par un examen connu comme le British Advance Standard. Je pense qu’à Maurice, il faudrait une réflexion approfondie pour s’adapter à ce système, tenant en compte que beaucoup de Mauriciens choisissent l’Angleterre pour leurs études supérieures.
À la lumière de votre expérience en Angleterre, qu’est-ce qui pourrait être amélioré à Maurice dans le domaine de l’éducation ?
Il est difficile de dire où le bât blesse exactement. Est-ce un problème culturel ? Est-ce le système éducatif qui doit être revu ? Mon constat est que les étudiants étrangers que j’ai rencontrés à l’université ont une vision plus large par rapport aux citoyens, à leur engagement et leur rôle dans la société, alors qu’a Maurice, l’éducation se concentre uniquement sur la performance académique. Nous travaillons en vue de passer un examen. Il me semble que l’étudiant mauricien pèche par manque de critical thinking et n’arrive pas à penser Outside the Box.
L’évolution sociétale mondiale ne se reflète pas dans notre système d’éducation. Le modèle appliqué dans les années 1960 est resté le même. Beaucoup d’étudiants ont une bonne maîtrise de l’histoire, alors qu’à Maurice, l’histoire locale et universelle n’a pas la place qu’elle mérite. Nous avons à apprendre d’eux. Cependant, les étudiants mauriciens ont une éthique du travail, la discipline et la capacité de travailler de longues heures, et ont le potentiel nécessaire pour rattraper leur retard. Peut-être qu’il nous faudrait davantage d’activités extra-curriculaires afin de mieux appréhender les questions sociétales. Nous souhaitons tous que le système d’éducation à Maurice évolue dans le bon sens, bien qu’en ce moment, nous constatons une stagnation.
Quel regard jetez-vous sur le pays ?
Il faut vivre en dehors du pays afin de mieux l’apprécier à son retour. En termes de qualité de vie, à Maurice, nous faisons mieux que beaucoup d’autres pays. Nous sommes très sévères dans nos critiques par rapport au pays. C’est quand même un pays qui réussi à se développer mieux que beaucoup d’autres depuis son accession à l’indépendance. Nous avons un système de transport public moderne, des routes convenables… Je peux vous affirmer que ce n’est pas un plaisir pour un Mauricien de quitter son pays pour vivre à l’étranger. Nous sommes habitués avec notre soleil, la mer… La famille est là.
Si beaucoup de jeunes choisissent de partir, c’est probablement parce qu’ils pensent que leurs compétences seront mieux reconnues et que l’herbe peut être plus verte ailleurs. Je dois reconnaître que tous les jeunes que j’ai rencontrés aiment Maurice profondément. Il se pourrait que l’écosystème politique et économique fasse qu’ils ont vision incertaine de l’avenir et les forcent à aller voir ailleurs. Je souhaite qu’il y ait un changement à ce niveau.
Que pensez-vous de la jeunesse mauricienne dans son ensemble ?
Je rencontre pas mal d’amis et leur état d’âme dépend de la position où ils se trouvent. Beaucoup se plaisent beaucoup. D’autres considèrent aussi qu’ils n’arrivent pas à s’épanouir et progresser aussi rapidement dans une entreprise parce qu’ils n’ont pas les mêmes facilités au départ. Il faut admettre qu’il y a une partie du pays où les jeunes se développent plus facilement et disposent d’opportunités qui s’offrent à eux plus facilement, alors que d’autres doivent galérer pour avancer. En gros, nous avons une jeunesse qui veut prospérer et avancer dépendant des circonstances des lesquels ils évoluent.
Suivez-vous la situation politique du pays ?
Je constate un manque de confiance dans la classe politique en général parmi les jeunes. C’est dû aux choses promises qui n’ont pas été faites, et aux choses non promises qui ont été réalisées. Il y a aussi le fait que les jeunes ont l’impression qu’au lieu de travailler en faveur de l’unité nationale, les politiciens font tout pour diviser le pays. C’est triste d’arriver jusque-là pour des gains politiques.
Un jeune ne fait pas de différence entre les communautés. Ses camarades viennent de toutes les communautés. Forcément, les jeunes peuvent développer un dégoût devant l’insistance de certains politiciens pour diviser la population. Il y a aussi le renouvellement de la classe politique qui tarde à se concrétiser.
Donc, vous êtes de ceux qui pensent que le renouvellement de la classe politique se fait trop lentement ?
Il y a un renouvellement qui se fait petit à petit, avec l’arrivée de plusieurs jeunes, mais le sommet de la pyramide de la classe politique est resté intact. Autre problème : les gens craignent d’exprimer leur opinion publiquement. Ce qui n’est pas normal dans un pays démocratique, et où il n’y a pas suffisamment de débats intellectuels et sociétaux.
Le droit de vote à 16 ans est évoqué par les principaux partis. Qu’en pensez-vous ?
Cela aurait été une bonne chose pour les élections locales et régionales, mais pas pour les élections générales. À 16 ans, il aurait été mieux que les jeunes commencent à avoir un engagement civique. Je ne connais pas beaucoup de pays où les jeunes peuvent voter dès l’âge de 16 ans, voire être candidat à cet âge. Je suis pour le maintien de l’âge de vote à 18 ans pour les élections générales.
Aujourd’hui, un montant de Rs 20 000 est accordé aux jeunes dès qu’ils atteignent l’âge de 18 ans. Qu’en pensez-vous ?
C’est une question très politique. Il n’y a rien de mal à donner un coup de pouce à un jeune pour commencer sa vie d’adulte, à condition que l’État ait les moyens de le faire et qu’il n’y ait pas d’agenda caché derrière cette démarche. Je suis convaincu qu’un jeune de 18 ans a suffisamment de maturité pour voir ce qui se passe et comprenne qu’il a une responsabilité vis-à-vis de son pays.
Quelles devraient être les priorités pour le pays ?
La pierre angulaire du développement du pays reste l’éducation. Il faut pouvoir adapter le système d’éducation à Maurice au standard international, aux nouveaux marchés du travail. Par ailleurs, l’école est l’endroit idéal pour construire la nation. En France, l’école de la République est destinée à former des citoyens français. Cela devrait être le cas à Maurice, où nous devrions pouvoir encourager une meilleure connaissance des religions et des cultures pratiquées dans l’île. Le marché du travail constitue un autre défi.
Pourquoi sommes-nous obligés d’avoir recours massivement à la main-d’œuvre étrangère ? Est-ce dû à un manque de formation à Maurice ?
Le gouvernement devrait pouvoir développer un plan avec l’aide du secteur privé afin d’endiguer la fuite des cerveaux. Les ressources humaines sont notre seule richesse. Si cela s’amenuise, il y a un problème. Il faut tout faire pour arrêter l’exode de la main-d’œuvre locale.
Sur plan sociétal, la participation féminine dans l’économie privée et publique est une question importante. Le Law and Order présente également des faiblesses. Les autorités devraient pouvoir dire la vérité concernant les finances publiques, la dette publique, les pensions. Il ne faudrait pas oublier le combat contre le trafic et la consommation de drogue, qui affecte principalement les jeunes. Il y a donc beaucoup de chantiers à Maurice avec différents Timelines, certains très pressants.
Quid de la démocratie ?
Il y a une perception à l’effet que la liberté démocratique n’est pas qu’elle devrait. Lorsque je vais sur Facebook, je me prive de faire des commentaires, pas par peur, mais parce qu’un climat de méfiance a été créé.
D’ailleurs, les travaux parlementaires que nous pouvons suivre à la télévision sont un massacre. Les informations à la MBC sont catastrophiques. Je suis d’accord qu’elle rapporte les activités du Premier ministre, mais nous nous demandons s’il faut obligatoirement que nous lui consacrons une demi-heure chaque jour à la télévision. C’est inacceptable, d’autant que nous n’avons pas de télévision privée. Ce sont des choses malheureuses. C’est inquiétant.
Êtes-vous intéressés par l’écologie ?
L’écologie est un sujet extrêmement important. Imaginer un instant que les aires de parking des centres commerciaux soient utilisées pour produire de l’électricité pour leurs besoins propres à partir de panneaux solaires, avec la possibilité pour les voitures de se garer en dessous.
L’énergie solaire est capitale pour un pays à risque comme Maurice. Il est catastrophique de voir le rétrécissement des places avec la montée des eaux en raison du réchauffement climatique. C’est pourquoi il faut multiplier les initiatives pour protéger l’environnement en encourageant le recyclage des déchets. Cela doit devenir un geste naturel.
Il y a aussi l’économie circulaire. Il est bon que les autorités aient interdit l’utilisation des sacs en plastique. L’utilisation des bouteilles en verre au lieu des bouteilles en plastique doit être encouragée. Il y a beaucoup à faire et il faut qu’il y ait la plateforme et l’environnement appropriés pour le faire. On doit également mieux protéger nos espaces verts. Nous avons plusieurs acquis qu’il faut encourager.
Vous sentez-vous concernés par la guerre dans le monde ?
Ce qui se passe est triste et préoccupant. Nous nous retrouvons dans un monde belliqueux. Aujourd’hui, une guerre peut se déclarer n’importe où. Après ce que nous avons assisté en Ukraine, avec l’invasion russe, ce qui se passe au Proche-Orient, avec le massacre d’innocents à Gaza, est bouleversant. On croirait que la vie humaine n’a pas de valeur. Pourtant, il y a des gens qui permettent que ce genre de massacre se produise. Nous avons aussi vu l’exode des populations arméniennes du Haut Karabagh alors que la situation va mal dans plusieurs pays africains.
Quelle vision avez-vous de Maurice pour les cinq ou dix prochaines années ?
Je rêve d’un pays où il fait très bon vivre, où il y a un sourire sur le visage de tous les Mauriciens, où il y a une fierté de vivre, qui fait défaut actuellement. Je rêve d’une île Maurice qui continue sur un développement plus simple et plus durable, où les talents des Mauriciens seront reconnus et utilisés à leur juste valeur. Je souhaite que Maurice soit un pays ouvert sur le monde et où chacun peut trouver sa place.
Je voudrais aussi que Maurice soit un pays où il y a une harmonie et une unité nationale plus forte, avec un sens du mauricianisme et une classe politique qui n’a pas de mépris pour la population, mais qui accorde priorité à l’intérêt national, au lieu des intérêts personnels. On pourra me traiter d’idéaliste. mais we must shoot big and shoot for the sun. Il nous faut une île Maurice unie, prospère et ouverte sur le monde.