Avant que les volutes de tes créations ne portent vers les aigus,
jusqu’à divulguer toute une ramification de couleurs
et accorder à merveille ce que tu recueilles
de « périssable » en cette Terre,
combien de feuilles de journaux auras-tu détournées
de leur toute première impression ?
Ce papier journal, pour autant, ne se froisse
car il renaîtra par tous ses pores
et s’apparentera à la toile tendue d’un de tes tableaux.
Pareil au lierre grimpant,
ce rien-que-du-récupérable
que recèlent tes archives en atelier,
s’érige en propositions artistiques
dans l’arcane de ton « laboratoire »
Si pour toi, la plénitude de l’ouvrage conçu
ne s’accomplit que sur les voies du regard
– le nôtre, le vôtre, le leur –
ces interprétations démultipliées,
on les entendra tressauter en s’entrechoquant
comme des clochettes de paatlis et de gounguerous.
Jusqu’au seuil de ta porte elles tintinnabuleront
avant que tu ne te retires discrètement
dans l’encoignure de ta vaste solitude,
refus de l’indécence de commenter,
de dévisager ton propre « travail »,
de le dépouiller de son intime,
sans se risquer à l’inéluctable défigurement
de ceux-là mêmes qui osent s’y exposer,
s’y complaire.
Tes visiteurs, se prêteront-ils à cette démarche
qu’est de la relire et de la réécrire, ton œuvre ?
Oseront-ils un regard investigateur
qui soit en mesure, entre tant de mouvements,
de saisir les implicites, d’en démystifier les « vides » caractéristiques,
sciemment disposés pour sceller l’ensemble,
et de s’ouvrir en définitive à la réverbération de tes travaux ?
Se distinguent dans le vernis une bonne centaine
de tes « ouvertures » après Fla-Fla,
la toute première exposition du Groupe I.
Ce 20 février 1970, la Galerie Max Boullé voit éclore l’artiste
grâce à ta REVOLUTION,
une toile sur châssis
qui se prête au 3D
par le truchement d’une cigarette.
Et en 1971, un autre « travail » majeur commence à poindre :
« Six Heads », peinture-objet et collage, de « I. GANTI »,
trônera à ta première sortie solo en 1972
où seize autres pièces occuperont la Galerie des Mascareignes.
Cependant, qu’est-ce l’adhésion ou non à tes réalisations,
si ta véritable œuvre de prédilection,
le processus même, demeure méconnue ?
Point de magnum opus au sens strict du terme…
Ton grand œuvre ne relèverait-il pas plutôt de cette faculté
à doser la part de ta vibrance personnelle
coulée en l’ouvrage du plasticien,
et, à chaque décoffrage,
se réapproprier un iota de toi-même,
qui sitôt t’échappe, te fuit par moments ?
Ne serait-ce pas, en définitive, l’âme de ton violon,
l’ultime pièce qui se love dans ta poétique du « périssable »?
Tu te livrais à la presse d’autrefois en ces termes :
« profond aujourd’hui », « j’évolue » ;
avec l’intention de « démystifier » la chose picturale,
dans le refus cisaillant de la critique facile,
de félicitations béates, de l’indifférence inculte,
voire de cette fâcheuse tendance à piédestaliser…
Plus d’un demi-siècle que cette résonance-là,
d’une « cérébrale jouissance »,
émane de la contemplation des traits de la multitude.
Aussi découpais-tu jusque dans le sein du confinement,
de ces grands et petits récits à tiroirs :
une éblouissante tête qui, selon ta volonté, Ismet,
se voile la frimousse aux yeux du Divers.
Voilà cette autre représentation à l’allure métallique
que tu forges délicatement…
Polysémique, en effet.
Tout comme la semblance d’extraterrestre faite maison
qui, en amont, habite ce lointain recoin de notre imaginaire.
En ta permanente résidence artistique,
peinture et collage côtoient du Scotch.
Des corps se dessinent, s’accolent, s’agglutinent,
s’enchevêtrent,
avant de dériver vers l’informe, du moins en apparence,
s’imbriquent,
s’entassent à mort dans l’hétérogénéité du trait.
Ce liant d’artiste, ta sève de tout jour,
imbibe carton et papier journal.
Il se joue de boîtes de conserve, bois et métaux,
du feu destructeur et de l’impatience du temps,
s’imagine tout de toile vêtu et en mode installation,
songe à poser une colle… à du Plywood,
solidaire à l’adhérence de Pekay, et jadis de Pattex ;
Liant qui témoigne d’une éthique prononcée,
du vif ressouvenir de tes innombrables présents
et de l’engagement de tes jeunesses,
qui signifie, paradoxalement ou non, rupture(s)
se vérifiant tout aussi « profond aujourd’hui »
dans les pas d’un « guerrier » ;
Liant d’une fréquence telle dans la résonance,
que tout digne panorama,
dont celui d’André Decotter sur la peinture mauricienne,
n’a cédé à l’outrageuse inclination du conservatisme
à évincer un tempérament révolutionnaire,
une intarissable histoire des idées et des idéologies,
celle d’Ismet Ghanty.
Texte : Dhiren Moonesamy
Photos : Brahms Mahadea