Inspiration – L’île arc-en-ciel… Tizistwar nou pays : Les reflets irisés de nos affirmations identitaires

avec Nanda Pavaday

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À l’heure de la mondialisation où la revendication identitaire soulève des débats houleux et provoque des tensions amères, se pose la question de l’identité, qu’elle soit géographique, culturelle, sociale et/ou professionnelle. Parfois, ou même trop souvent, certains se retrouvent littéralement écartelés entre deux ou plusieurs chaises ou sans chaise du tout !

Mais, qu’en est-il dans notre petite île arc-en-ciel ? Les différentes communautés vivent en harmonie avec une certaine réserve au quotidien. Quid des mariages mixtes, quid des injustices ? Depuis des années, cette affligeante réalité sociale se traduit dans la littérature mauricienne par la description des tensions intercommunautaires des protagonistes et leur quête identitaire souvent très douloureuse.

L’identité multiculturelle dans un langage attachant

Aujourd’hui, Nanda Pavaday nous livre une autre approche identitaire avec Tizistwar nou pays. Il nous apporte un vent de fraicheur et de bonheur, en rassemblant un ensemble de poignants souvenirs enrichis d’anecdotes d’antan, manifestement très présents dans toutes les mémoires. Il nous fait prendre la pleine mesure de la richesse multiculturelle de l’île Maurice. L’auteur propose à son lectorat des récits dans une langue métissée et authentique, reflet de notre mauricianité, où fourmillent des mots et des expressions créoles dont certains ont été empruntés au hindi, au tamoul et à l’anglais. En voici quelques exemples : satini, cotomili, dhal, fatak, result slip, Guest of Honour. Du titre du livre au jargon local utilisé avec nam fim indien, dress enn papié, vey séké, met dan bataz, papié lagazet en passant par les titres de chapitres comme par exemple, « Siro Zanana », « Kazot Poul », « Tir foto », tout se mêle harmonieusement dans un langage attachant qui parvient à toucher notre âme profondément mauricienne. En présentant la deuxième édition (1), l’auteur nous précise qu’elle a été enrichie « d’explications » sur des termes couramment employés localement, facilitant ainsi leur compréhension par des lecteurs non-initiés. Avec ses Tizistwar nou pays, Nanda Pavaday bâtit des ponts intergénérationnels au pays arc-en-ciel et dans la diaspora mauricienne. La jeune génération et les descendants d’expatriés découvrent la grande Histoire de leurs ancêtres, racontée avec un mélange de tendresse et d’humour.

Des balises pour se ressourcer

Avec sa façon particulièrement sémillante de réactualiser la mémoire en nous ancrant dans nos racines plurielles, l’auteur ranime le parfum réconfortant d’un passé évanoui. Lors de la lecture de Tizistwar nou pays, c’est tantôt un sourire, tantôt un pincement au cœur qui accompagne cette plongée dans un passé révolu, suscitant une réflexion méditative ou mélancolique. On se reconnait dans les lieux évoqués, on se réjouit de voir nos us et coutumes s’animer sous la plume habile de N. Pavaday. On s’émeut de ces nombreux détails d’un passé oublié qui devient, tout à coup, prodigieusement palpable. Dans cette mise en présence d’une mémoire lointaine, rehaussée par de très belles illustrations, on accède de nouveau à des fragments du passé qui nous ressourcent en nous réconciliant avec des valeurs perdues. Avec « Kook Kasiet », « Gran Frer » et « Leker Mama », on replonge avec délice dans l’insouciance de l’enfance. On se love dans l’affection fraternelle et la tendresse maternelle en espérant pouvoir prolonger le décompte du temps au-delà de l’inexorable 100 du jeu de cache-cache. En savourant « Lekol péyé », « Lalis Liv », « Pass Senior », « Aprann Konté » et « Linet Parbriz », certains peuvent se souvenir avec émotion et beaucoup de fierté de leur éducation dans leur île natale ! De grands moments de convivialité, de partage et de solidarité sont racontés avec beaucoup de générosité nous rappelant l’importance du vivre-ensemble en plein air, et en famille, dans une nation indépendante et multiculturelle. Les petites histoires comme : « Lavey lané », « Laboutik Sinois », « Film indien », « Travay Lakour », « Koul dal », « Sof Soley » et « Pass Lanwit » le reflètent merveilleusement bien.

Pour les non-initiés, les deux recueils de Tizistwar nou pays offrent une vision réaliste de notre pays grâce à l’authenticité des souvenirs évoqués par l’auteur. Il leur fait également découvrir les lieux mythiques, la beauté de la flore locale, la saveur des fruits locaux, les habitudes alimentaires, les loisirs et les festivités. Comment ne pas avoir l’eau à la bouche avec « Pie Mang » et « Bred mouroum » et se relier à notre histoire locale avec « Karo Kann » et « Cyclone Classe 4 » ?

Avec une lumière qui rayonne

Chacun peut apprécier Tizistwar nou pays à sa façon. On pourrait lire les deux recueils d’un seul trait ou choisir au hasard les histoires en savourant « Gato Diwali », pas seulement par gourmandise mais aussi pour la portée symbolique de la fête Diwali, fête de lumière et de partage car, comme le dit si bien l’auteur, « on ne peut allumer une lampe qui ne brille que pour nous, le rayonnement de la lampe éclaire également ceux qui nous entourent. » Puis, on pourrait opter pour « Santé préféré » ; on se laisse alors emporter par le simple plaisir d’entendre un homme heureux fredonner sa chanson préférée pour sa femme : « Aane se uske aaye bahaar » (2). Et, last but not least, « Roche Cari » mérite vraiment le détour. Incontournable ustensile de cuisine de notre patrimoine, la roche cari fait un clin d’œil à notre pays arc-en-ciel en livrant le savant alliage de condiments qui se forme lorsqu’on fait rouler le baba roche cari à deux mains sur la roche cari. Chaque épice se fond aux autres en y mêlant sa meilleure saveur pour la préparation d’un excellent mets ! Aujourd’hui, la roche cari, faisant partie de notre précieux patrimoine, est devenue caduque car on préfère les mixers électriques modernes. Toutefois, l’image survit grâce à la lexicalisation du mot « roche cari » en français mauricien (3). Devenu partie intégrante du lexique, le mot, renvoyant à l’objet, rentre dans l’usage courant. Voici quelques attestations provenant du tome 1 de Tizistwar nou pays nous montrant sa vitalité.

« Une roche cari nouvellement fabriquée ne peut être utilisée le même soir. (.) La roche cari marche toujours de pair avec un baba roche cari. (.) Le soir, si quelqu’un était souffrant, c’était vers sa roche cari que la maman se tournait pour trouver une solution. (.)Beaucoup de Mauriciens qui ont encore une roche cari la considèrent comme un trésor. (.) Si d’aventure, leur roche cari se brise, (.) certains le vivent comme une vraie tragédie. »

Pour sauvegarder notre patrimoine

En mettant en scène des objets de notre patrimoine tout en restituant un temps qui n’est plus, Nanda Pavaday participe à la survivance de notre Histoire bâtie sur des fondations multiples, résistantes et solidaires à la fois. On doit vivre l’instant présent et évoluer avec son temps, certes ! Toutefois, lorsque le passé redevient si merveilleusement vivant, lumineux et inspirant, et nous fortifie, on ne saurait que témoigner de la gratitude à l’auteur de ces petites histoires qui ont fait la grande Histoire des identités plurielles du peuple mauricien.

(1) En ce début d’année 2025, faisons un vœu. Que les reflets irisés de cette belle lumière nous guident pour sortir de nos ténèbres oppressantes !

(2) Nous tenons à préciser que la présente analyse faite en octobre dernier porte sur la première édition. La deuxième édition des deux tomes de cet ouvrage est parue aux éditions de l’Océan Indien en décembre 2024.

(3) « Lorsqu’elle arrive, elle amène le printemps avec elle. » (traduction de Nanda Pavaday).

(4) D’autres termes de la variété du français, couramment utilisés localement dans la littérature et la presse locale francophone et reflétant leur vitalité, ont été répertoriés dans des glossaires divers.

Pravina Nallatamby

Membre du CILF, Paris

Références

Pavaday Nanda, Tizistwar nou pays, Tome 1, Ile Maurice, 2019.

Pavaday Nanda, Tizistwar nou pays, Tome 2, Ile Maurice, 2023.

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