Pravina Nallatamby
Les élections vont et viennent et parait-il, c’est la même rengaine. L’année 2024 aura été particulièrement électorale, nous emportant malgré nous dans les campagnes avec à la clé, élections présidentielles et scrutins parlementaires soulevant mille interrogations sur la démocratie, la tyrannie et la dictature d’un continent à un autre et… c’est effrayant à l’aube d’un siècle censé plus avancé. Quêtes et enquêtes, joutes oratoires et explosions de promesses mirobolantes pour un avenir meilleur ! Personne n’est dupe ! Un exercice de style, un coup de force, un nouveau tour de manège pour revenir à la case départ, c’est ainsi depuis la nuit des temps… Et pourtant, il y aurait des leçons à tirer des erreurs du passé et des enseignements de grands penseurs de l’Antiquité à nos jours qu’ils soient philosophes ou écrivains, politiques ou économistes.
Suite à toutes ces désillusions qu’on subit à Maurice et ailleurs, me voilà embarquée dans une réflexion. C’est un bien triste tableau qui se dessine à l’échelle mondiale, où la démocratie pêche de plus en plus par l’absence de transparence. Tous les coups sont permis. La liberté individuelle semble tellement menacée qu’on en perdrait tout espoir… J’aurais aimé brandir un drapeau de révolte par solidarité pour hurler de rage « à bas cette tyrannie ! » Mais Rome ne s’est pas bâtie en un jour, aucune démocratie non plus…
L’Histoire nous apprend que la liberté a été au cœur de grands débats au fil des siècles. Remontons le temps, non pas pour trouver des excuses pour toutes les politiques ignoblement menées et décriées aujourd’hui mais pour essayer de comprendre le processus des grandes mutations. L’expression littéraire et artistique pourrait nous faire changer de vision et développer une certaine forme d’espérance. Car, il ne faut pas perdre foi en l’homme ni… la femme, toujours pleins de ressources, même dans le pire des exils. Actualité mondiale et locale oblige et, compte tenu des débats sur la question de liberté, il m’a paru intéressant d’évoquer le cheminement d’une femme de lettres du XVIIIe siècle. En effet, quelques textes de Germaine de Staël nous rappellent son combat pour la liberté, la paix et le partage des valeurs européennes. Avec elle (et bien d’autres), la politique pourrait rimer avec les joies artistiques et culturelles pour en sortir grandie.
Avec Mme de Staël, se libérer en exil
Germaine de Staël est née à Paris en 1766 où elle grandit dans un environnement intellectuel très stimulant. Fille de Jacques Necker, ministre des Finances sous Louis XVI et de Suzanne Necker, femme de lettres franco-suisse, elle reçoit une instruction encyclopédique et développe le gout de la littérature et de la politique. Après un mariage de convenance avec le baron de Staël à l’âge de dix-neuf ans, elle ouvre un salon littéraire qui accueille des écrivains, des philosophes et des politiciens. D’abord partisane des réformes de la Révolution française, elle va vite s’opposer au régime napoléonien, elle se trouve contrainte de quitter Paris pour s’exiler en Suisse en 1803. Elle s’installe au fameux château de Coppet où elle reçoit l’élite intellectuelle de l’époque, connue, selon la célèbre phrase de Stendhal, comme « les Etats généraux de l’opinion européenne ». En effet, intellectuelle cosmopolite, Mme de Staël accueille des personnalités de plusieurs nationalités ainsi que de confessions religieuses et de sensibilités politiques différentes. Leurs débats touchent des thèmes très variés comme la politique, l’économie, l’histoire, la littérature ainsi que des phénomènes religieux et de la liberté. S’ennuyant pendant son exil en Suisse, elle veut rejoindre l’Angleterre mais pour ce faire, elle va devoir faire le tour de l’Europe ! Lors de ce long périple en Allemagne, en Suède, en Russie, en Autriche, elle va s’épanouir au contact d’autres civilisations et consolider ses propres convictions philosophiques et politiques. Nourrie de ces échanges, son œuvre diversifiée et riche en lettres, essais et romans, témoigne d’une époque bien remplie de mutations politiques et culturelles en Europe. En abordant la condition féminine, elle prône la liberté de la femme dans un monde dominé par le patriarcat dans ses deux romans, Delphine et Corinne ou l’Italie. Au contact d’autres cultures, elle élargit ses horizons et va percevoir l’Europe plutôt comme une unité de culture et de civilisation qu’un ensemble de nationalités indépendantes. Dans De l’Allemagne, en tant que véritable médiatrice des cultures, elle nous parle non seulement de ce pays et de sa grande culture, mais préconise aussi l’intérêt des échanges interculturels littéraires en Europe :
« On pourrait proposer un traité de paix entre les façons de juger, artistes et mondaines, des Allemands et des Français. Les Français devraient s’abstenir de condamner, même une faute de convenance, si elle avait pour excuse une pensée forte ou un sentiment vrai. Les Allemands devraient s’interdire tout ce qui offense le goût naturel, tout ce qui retrace des images que les sensations repoussent : aucune théorie philosophique, quelque ingénieuse qu’elle soit, ne peut aller contre les répugnances des sensations, comme aucune poétique des convenances ne saurait empêcher les émotions involontaires. Les écrivains allemands les plus spirituels auraient beau soutenir que, pour comprendre la conduite des filles du roi Lear envers leur père, il faut montrer la barbarie des temps dans lesquels elles vivaient, et tolérer que le duc de Cornouailles, excité par Régane, écrase avec son talon, sur le théâtre, l’œil de Glocester ; notre imagination se révoltera toujours contre ce spectacle, et demandera qu’on arrive à de grandes beautés par d’autres moyens. Mais les Français aussi dirigeraient toutes leurs critiques littéraires contre la prédiction des sorcières de Macbeth, l’apparition de l’ombre de Banquo, etc., qu’on n’en serait pas moins ébranlé jusqu’au fond de l’âme, par les terribles effets qu’ils voudraient proscrire.»
Avec patience et résilience…
Germaine de Staël va également défendre toutes les libertés : dans un ouvrage paru à titre posthume en 1818, Dix années d’exil, elle montre le sort de la fragile liberté acquise à l’époque de l’anarchie en France après la Révolution de 1789.
« Le plus grand grief de l’empereur Napoléon contre moi, c’est le respect dont j’ai toujours été pénétrée pour la véritable liberté. Ces sentiments m’ont été transmis comme un héritage ; et je les ai adoptés dès que j’ai pu réfléchir sur les hautes pensées dont ils dérivent, et sur les belles actions qu’ils inspirent. Les scènes cruelles qui ont déshonoré la Révolution française n’étant que de la tyrannie sous des formes populaires, n’ont pu, ce me semble, faire aucun tort au culte de la liberté. L’on pourrait, tout au plus, s’en décourager pour la France ; mais, si ce pays avait le malheur de ne savoir posséder le plus noble des biens, il ne faudrait pas pour cela le proscrire sur la terre. Quand le soleil disparaît de l’horizon des pays du Nord, les habitants de ces contrées ne blasphèment pas ses rayons, qui luisent encore pour d’autres pays plus favorisés du ciel. »
Est-ce qu’aujourd’hui, on respecte pleinement les Droits de l’homme et du citoyen en France ? Si les grandes démocraties ont encore du mal à appliquer leurs réformes proclamées haut et fort depuis plus de deux siècles, alors les jeunes démocraties doivent s’armer de beaucoup de patience…