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Il était une fois Gorz

Prenez au hasard n’importe quelle crise d’origine anthropique (changement climatique, érosion sociale, trafics tous azimuts, destruction de la biodiversité, guerre en Ukraine…), et vous trouverez inévitablement un lien, même indirect, avec notre propension à en vouloir toujours plus. Histoire non seulement de pérenniser notre système économique, mais de doper la croissance. Que l’on veut bien entendu croire éternelle. Problème : elle ne l’est pas. Et ce, pour la bonne et simple raison que celle-ci est alimentée par des ressources qui arriveront bien tôt ou tard à manquer. C’est, entre autres choses, ce que clamaient déjà les experts engagés par le Club de Rome en 1972, sous la houlette de Dennis Meadows. Mais pas seulement, car d’autres éminents penseurs auront aussi, chacun à leur manière, rappelé toute l’ineptie de ce culte voué à la croissance.
Parmi eux se trouvait un certain André Gorz. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais l’homme – aujourd’hui disparu, mais qui aurait fêté début février ses 100 ans – était en quelque sorte un néo-collapsologue, et probablement l’un des premiers à proposer le concept de décroissance. Autant dire que face à cette cruelle réalité actuelle, et dont l’horizon apparaît apocalyptique, Gorz fait figure de précurseur. Ainsi, jamais ne se sera-t-il privé à travers ses écrits, lorsqu’il était encore journaliste au Nouvel Observateur – dont il aura d’ailleurs été un des fondateurs –, de mettre en avant les rapports entretenus entre l’écologie et la politique.
Certes, l’homme avait ses orientations propres, mais à y voir de plus près, et à relire certaines de ses convictions fondamentales, l’on sent là un lien évident avec les discours actuels de la décroissance et de la collapsologie. Ainsi, en 1972, date de la publication du rapport Meadows (Les limites de la croissance), Gorz écrivait : « D’autres civilisations se sont effondrées avant la nôtre, dans les guerres d’extermination, la barbarie, la famine et l’extinction de leurs peuples pour avoir consommé ce qui ne peut se reproduire et détruit ce qui ne se répare pas. » L’occasion aussi pour lui, cette même année, d’organiser un colloque réunissant nombre d’intervenants du paysage intellectuel du mouvement écologique naissant, à l’instar d’Herbert Marcuse ou Edgar Morin.
Il s’attaque alors à la temporalité progressiste et questionne l’orientation productiviste et économiciste de son époque. Et même, ce qui peut paraître paradoxal, le rapport Meadows lui-même, car bien que jugeant le contenu « profondément subversif », il considère que celui-ci entretient l’illusion d’un capitalisme raisonné, sans croissance. Or, Gorz n’est pas de cet avis. Pour lui, la croissance capitaliste et la survie de l’humanité sont tout simplement « incompatibles ». D’où la nécessité selon lui de décroître. Plus précisément, c’était est un penseur de l’écosocialisme. Ainsi, cette « décroissance productive » qu’il appelait se résumait à : se libérer de la consommation, et donc créer moins de besoins ; réduire les dépenses de matière, d’énergie et de travail ; et provoquer le moins possible de nuisances.
À ce titre, l’on peut, une fois encore, qualifier Gorz de précurseur, en ce sens où, dans les années 70’, quasiment personne ne s’intéressait à la cause environnementale, d’autant plus que la thématique du changement climatique n’apparaissait que dans les romans de science-fiction. En revanche, le journaliste et penseur qu’était Gorz avait vu venir avec quelques décennies d’avance – tout comme Meadows et quelques autres de ses contemporains –, l’impasse que notre système capitaliste nous promettait. Un mur dont l’on commence seulement à percevoir les premières briques, mais qui, au fur et à mesure que l’on s’en approche, nous promet aussi un choc de plus en plus brutal.
Ainsi donc, cela fait au moins 50 ans (car d’autres évoquaient déjà cette idée avant Meadows et Gorz) que nous savions. Malheureusement, ces nouvelles données, doctrines et philosophies auront majoritairement été perçues comme négatives, et même pourrait-on dire négationnistes, car le monde, alors, avait besoin de davantage de croissance (et d’optimisme) pour alimenter un système que personne ne voulait voir s’écrouler. Le problème, c’est qu’un demi-siècle plus tard, rien ne semble avoir réellement beaucoup changé !

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