Honita-Prayag Poonith  : « La violence domestique coûte environ Rs 2 milliards par an »

Alors qu’on célèbre ces jours-ci la Journée internationale des femmes, la vice-présidente du département de Conciliation et de Médiation du ministère du Travail constate que malgré la campagne de sensibilisation menée autour de la violence domestique, celle-ci fait preuve de résistance. Il faut, selon ellegérer la colère pour arriver à bout de ce problème. En ce qui concerne la discrimination à l’égard des femmes, elle dira que dans de nombreuses sphères socioprofessionnelles du secteur privé, il y a encore ces disparités salariales entre les hommes et les femmes.

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On vient de célébrer la Journée internationale de la femme. Quel constat faites-vous de la situation des femmes à Maurice sur les plans professionnel et familial ?

Les stéréotypes touchant la femme ont décidément la peau dure. Moi, je choisis de voir le verre à demi plein. Depuis des années, on nous rabâche les oreilles que la Mauricienne fait face à un plafond de verre dans sa vie professionnelle. Du moins, si c’était le cas quelque temps de cela, ce n’en est plus.

Dans de très nombreuses sphères professionnelles, la Mauricienne accède de plus en plus naturellement à des postes décisionnels. Par exemple, à la Cour suprême de Maurice, les femmes juges sont plus nombreuses que les hommes. C’est d’ailleurs une femme, Mme Rehana Gulbul, qui assure sans complexe les fonctions de chef juge. Et le numéro deux est également une femme, Nirmala Devat. Il y a également de plus en plus de femmes magistrates à la Cour intermédiaire et dans les tribunaux de district. Il en est de même dans la profession légale en général, que ce soit au niveau des avocats, des notaires ou des avoués.

Dans la fonction publique, davantage de femmes accèdent à des postes de très hautes responsabilités, tels que ceux de Senior Chief Executive ou de Permanent Secretary. Il en est de même dans de très nombreuses compagnies du secteur privé. Je suis persuadée que d’ici peu, on verra une femme chef de la fonction publique et Cabinet Secretary.

Vous noterez qu’il y a de plus en plus d’associations professionnelles de femmes. Chacune des membres de l’Association des femmes entrepreneurs est une Chief Executive Officer en elle-même. Des femmes accèdent de plus en plus à au comité exécutif du Mauritius Institute of Directors. Il devient, donc, de plus en plus normal de voir des femmes nommées à des postes de responsabilité. D’ailleurs, notre système légal est tel qu’une femme peut chercher réparation si elle estime avoir été lésée dans son ascension professionnelle – et de très nombreuses femmes ne s’en privent pas.

Cependant, cette ascension des femmes dans leur corps de métiers ne diminue en rien leurs devoirs familiaux. Elles jonglent avec leurs devoirs de mère, leurs tâches ménagères et leurs responsabilités professionnelles. Par exemple, la pression que les femmes subissent depuis d’avènement de la pandémie de Covid-19, avec d’une part le Work-From-Home, et de l’autre leurs tâches ménagères, et dans de nombreux cas la supervision des études de leurs petits, témoigne parfaitement de la capacité presque surnaturelle qu’elles ont pour naviguer entre ces eaux troubles.

Malgré une campagne de sensibilisation régulière, on constate que la violence à l’égard des femmes continue toujours. Pourquoi, selon vous ?

Dans la famille, la violence est le plus haut niveau de l’expression physique d’une colère qui explose. Cette colère est en elle-même un sentiment et/ou un comportement humainement naturel découlant d’une frustration ou d’une incompréhension longtemps contenue, d’un manque de communication ou de dialogue. La violence (qu’elle soit familiale ou sociale) c’est donc comme un volcan qui n’attend que la soupape de sûreté saute (causée par la colère) pour entrer en éruption.

Un sujet ressent de la colère parce qu’il est frustré dans ses efforts de vouloir contrôler l’autre. Il ne peut comprendre pourquoi il ne peut asseoir sa domination ou son contrôle sur l’autre. Enfermez deux êtres humains dans un enclos familial avec une accumulation de frustrations contenues, et il ne faudrait pas longtemps avant que le “tempo” explose.

Une récente étude a estimé que (sans compter le lourd bilan humain) la violence domestique à Maurice coûte environ Rs 2 milliards par an au gouvernement en termes de soins d’hospitalisation et de jours de travail chômés, entre autres, – sans compter les séquelles psychologiques sur les survivants et les enfants.

Que faire pour éviter cela ?

Il faut d’abord comprendre que la violence dans la famille est une tentative (souvent réussie) de vouloir contrôler/dominer/gérer l’autre. Soumettre l’autre à sa volonté par la force physique ou économique (l’argent), ou par chantage émotionnel (menace de suicide, tentative de soustraire de l’affection des enfants ou promesses de changement de comportement violent, entre autres).

Par ailleurs, ne dit-on pas « ventre affamé n’a point d’oreille ». Il en est de même pour un humain frustré et en colère. Il est difficile de chercher à faire entendre raison à une personne en colère ou qui a choisi délibérément de se montrer violente.

Pour prendre les taureaux par les cornes, il faut agir en amont. La colère étant un sentiment/comportement humain naturel, il s’agit d’éduquer nos enfants, dès leur plus jeune âge, leur apprendre à gérer leur colère. Leur donner, dès l’école primaire (et tout au long de leur scolarité), l’occasion de comprendre le mécanisme de la colère (que j’ai décrite plus haut) et de les équiper de stratégies pour désamorcer leur colère. La psychologie comportementale a fait d’énormes progrès dans ce domaine. C’est là où le gouvernement – le ministère de la Famille en particulier – devrait dépenser son argent. Il faut investir dans la formation des enseignants ou des psychologues pour la mise en œuvre de programmes de gestion de la colère.

Pourquoi, d’après vous, y a-t-il si peu de femmes au Parlement ?

À l’Assemblée nationale, il faut d’abord qu’elles y soient élues. Pour cela, il leur faut avoir l’investiture de leur parti politique en nombre suffisant. D’autre part, il faut également que l’électorat suive. Il y a donc tout un écosystème politico-social à mettre en place pour permettre la parité hommes/femmes à l’Assemblée nationale.

Amender les lois électorales et inciter les femmes à faire de la politique n’est pas une démarche suffisante. Il faut voir plus grand : investir dans des programmes de formation politique qui permettraient aux citoyens d’apprendre comme fonctionne les institutions dans une démocratie indirecte comme la nôtre, les éveiller au civisme, à l’engagement citoyen, leur faire prendre conscience de leur importance et de la situation des groupes minoritaires dont les pauvres, les vieux, les handicapés, les homosexuels, les autres sans-voix. C’est ainsi que petit à petit on verra davantage de femmes à l’Assemblée nationale.

Étant vice-présidente de la commission de Conciliation et de Médiation, qui tombe sous le ministère du Travail, beaucoup de dossiers ayant trait aux conditions de travail passent devant vous. Est-ce que la discrimination salariale entre les hommes et les femmes existe toujours ?

Oui. Dans de nombreuses sphères socioprofessionnelles du secteur privé, on voit encore ces disparités salariales hommes/femmes. Dans la fonction publique toutefois, on ne voit plus cette discrimination salariale. Cela, grâce au travail du Pay Research Bureau qui statue sur les salaires et les conditions de travail sans discrimination de genre ou autres.

De nombreuses institutions, à l’instar des syndicats, du National Remuneration Board, de l’Equal Opportunities Commission et même de la commission de Conciliation et de Médiation mettant en œuvre des décisions non discriminatoires. D’autre part, le gouvernement s’attelle activement à éliminer les lois discriminatoires.

Bon nombre de consommateurs se plaignent de la cherté de la vie en ce moment. Les femmes sont aussi concernées, surtout lorsqu’elles font des achats pour la maison. Quel constat faites-vous de la situation ?

Toutes les ménagères, moi y compris, font leurs achats dans les supermarchés ou les petites boutiques du coin. Nous constatons que les prix des produits augmentent. Cela devient de plus en plus difficile pour nous de joindre les deux bouts, surtout si on a des enfants. Nous n’avons pas besoin d’être des experts financiers pour comprendre l’impact de cette inflation sur notre famille.

Nous nous réjouissons toutefois que les associations de consommateurs, les syndicats et même le gouvernement ne restent pas insensibles à nos misères et essayent de trouver des moyens pour atténuer l’impact de la cherté de la vie.

La femme est-elle toujours considérée comme le sexe faible à Maurice ?

Comme je le dis plus haut, les stéréotypes sur la femme ont la peau dure à Maurice. Comment continuer à parler de sexe faible  alors que de plus en plus de femmes font aujourd’hui des métiers d’homme qui requiert la forme physique : maçon, fossoyeuses, chauffeuses d’autobus ou de camions, électricienne, entre autres.

D’autre part, même si davantage de femmes travaillent maintenant pour elles-mêmes et pour soutenir leur famille, elles ne négligent pas pour autant ni leurs devoirs domestiques ni leurs responsabilités professionnelles. Alors que bien souvent les hommes ne s’occupent que de leur boulot et laisse le ménage à leur épouse. Certes, il y a de ces hommes qui aident à la maison.

Est-ce qu’une journée suffit pour célébrer la femme ?

Est-ce qu’il y a une Journée pour les hommes pour marquer la nécessité de faire respecter leurs droits ? S’il n’y avait pas autant de discriminations contre les femmes, il n’y aurait aucune nécessité d’avoir une telle journée. C’est pour cela que je plaide pour une éducation aux valeurs humaines, aux droits humains et au civisme. Cela ferait gagner du temps dans notre combat pour davantage de respect de nos droits en tant qu’être humain à part entière, sans discrimination ni aucune domination.

Si la femme était respectée en tant qu’être humain à part entière, il n’y aurait aucune nécessité d’une telle journée. Mais c’est toujours bon à prendre car, d’une part, on reconnaît nos efforts, notre contribution dans la société et notre courage dans la vie de tous les jours même s’il y a un encore un long chemin à parcourir.

Le mariage civil est fixé à 18 ans dans la Children’s Act. Qu’en pensez-vous ?

C’est toujours bon d’amender les lois pour mieux protéger les gens. J’estime cependant que dans toute société civilisée, tout citoyen doit pouvoir être considéré comme égal devant la loi et bénéficier de sa protection sans discrimination d’âge, de sexe, de religion, de culture, de condition sociale, etc.

La sociologie, la psychologie et la politique estiment qu’avant 18 ans, un humain n’est pas apte à assumer les responsabilités du mariage. D’où cette loi. C’est une bonne chose car cela empêcherait dans une certaine mesure l’abus des enfants.

Quelle est votre opinion sur la mise sur pied d’une Children’s Court ?

Je dis oui car les enfants auront une cour spécialisée où des dispositions ont été prises pour leur protection, surtout s’ils sont victimes ou s’ils ont été appelés comme témoins. Les procédures à la Children’s Court sont différentes des autres cours de justice. C’est moins effrayant et intimidant pour eux.

Propos recueillis par

Jean-Denis PERMAL

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