HOMMAGE – Mon père, Bardoaz Matabudul, ce discret soldat de la Seconde Guerre mondiale

VEENA MATABUDUL-PULTON

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War is declared! Quand le déclenchement d’une invasion est annoncé, le monde entier est en émoi. Ukraine et Russie sous les feux des médias, c’est tout un peuple qui devra subir les conséquences fatales de cette guerre.

Voyageons dans le temps. 1939-45, c’est la Deuxième Guerre mondiale. De nombreux pays, dont notre petite île Maurice, sont impliqués dans cette bataille d’un autre siècle. Je suis particulièrement concernée par ce pan de notre histoire puisque mon père, Bardoaz Matabudul – tout comme les 38 000 patriotes mauriciens – a leur part de contribution à l’histoire de notre pays et du monde.

Ma visite à la galerie d’hommage dédiée aux Anciens Combattants mauriciens des deux guerres mondiales – la Première 1914-1918 et la Seconde 1939-1945  – au premier étage du Musée d’Histoire naturelle, sise à  Port-Louis –, m’a profondément marquée. De même, la lecture de l’ouvrage de F. R. Domingo, Les Mauriciens Dans La Deuxième Guerre mondiale, m’a permis de mieux comprendre les réalités poignantes de cette période cruciale de notre histoire que ma génération n’a pas connue. Tout comme mon père, F. R. Domingo a servi son pays durant la Seconde Guerre mondiale.

Île Maurice, 1939 – la population mauricienne est constituée de 400 000 habitants. Mode de vie rudimentaire, les moyens de transport sont essentiellement la bicyclette, les charrettes à bœufs et bien sûr, le train. Le taux d’alphabétisation avoisinait les 10%. Notre économie dépend exclusivement de la canne à sucre.

Fin 1939, le monde est en ébullition. Lorsque les troupes allemandes sur ordre de leur Führer Adolf Hitler, envahissent la Pologne, les pays alliés que sont l’Angleterre et la France, déclarent la guerre à l’Allemagne. L’Empire britannique lance une vaste campagne de recrutement dans ses colonies dont l’île Maurice. Bannières, avis publics placardés sur des édifices et brochures, incitent les Mauriciens à s’enrôler dans les forces britanniques pour aller servir au Moyen-Orient. « The Army wants you. Will you join? » Les deux bureaux de recrutement sont à Bell-Village et à Vacoas.

Tout va basculer pour les 38 000 familles mauriciennes de toutes les communautés lorsqu’un des siens se porte volontaire pour s’enrôler dans l’Armée britannique. Il fallait des « gaillards bien charpentés. L’examen médical fut très sévère ». Selon les archives, 500 femmes y sont aussi inscrites et seront postées en Égypte, loin des fronts.

Aiguillonnés par la fibre patriotique ou contraints de choisir cette voie militaire par anticipation pour leur avenir et celui de leur famille, rien ne désarmerait ou ne découragerait ces milliers d’hommes et de femmes enrôlés, même pas le maigre salaire. Au contraire, ils arboreront fièrement l’uniforme et le casque coloniaux comme en témoigne la photo de mon père, Bardoaz.

Jeunes, certains moins de 25 ans, sans aucune expérience de la guerre… ils s’embarqueront sur des paquebots dont le Tin-How et le Talamba, en partance pour Durban. Ensuite, direction Égypte, pays des pharaons et des pyramides. Les volontaires sont tous soumis à un entraînement militaire.

Beaucoup d’entre eux, à l’instar de mon père, laissent derrière eux une famille. Ma mère Rainooka, déjà maman, voit donc partir Bardoaz, 21 ans, pour la première fois vers « l’aventure dans l’inconnu ». Elle puise ses forces dans ses prières. Que son époux revienne sain et sauf! Si mon père a rejoint sa famille, d’autres ne sont hélas jamais retournés sur leur terre natale.

Le passage du Canal de Mozambique et la traversée de la Mer Rouge sont particulièrement éprouvants. Le danger est bien réel comme celui des « attaques éventuelles à la torpille de quelque sous-marin ennemi ».

Cales suffocantes la nuit, mal de mer, chaleur qui écorche, unique plat de résistance… « curry patoles et snoek », tels sont les désagréments qu’il fallait subir. Toutefois, les hommes profitant de l’escale à Durban se procurent des instruments de musique et improvisent un orchestre. Le reste de la traversée en mer devient plus agréable et le nouveau régime alimentaire remonte le moral.

En Égypte, c’est le désert à perte de vue et qui dit désert dit tempêtes de sable, aussi dévastatrices que nos cyclones. Construire des baraquements militaires ou des Nissen huts en assemblant des pièces détachées, creuser des tranchées ou des dug-outs pour se protéger des bombardements, les soldats mauriciens peuvent tout faire. Loin de la vie paisible de leur île natale, il faut s’habituer aux ronronnements des sirènes ou aux bruits assourdissants des bombardiers.

Pourquoi l’Égypte? “Les armées australiennes, néo-zélandaises, indiennes et britanniques avaient eu pour mission de contenir l’avance de l’ennemi hors de  l’Égypte. La conquête de l’Égypte pour les Allemands aurait sans nul doute donné une autre tournure à la guerre…il leur aurait permis d’assurer leur entreprise sur le Golf-Persique où se trouvent les principales sources pétrolières du monde.”

Combattants sur le terrain, agents secrets, artisans, pionniers ou membres du Royal Pioneers Corps (RPC), les Mauriciens se démarquent par leur bilinguisme, leur faculté d’adaptation et surtout leur savoir-faire. S’ils sont victimes de discrimination, les Mauriciens de couleur ne renonceront pas à leur devoir de “soldat engagé.” 

Mon père et ses compagnons sont épargnés par les batailles meurtrières qui ont lieu en Égypte, Tunisie et Italie. « Qu’ils n’aient pas à prendre part en première ligne à ces batailles, ne signifie pas qu’ils n’étaient pas soumis aux risques de guerre du fait des bombardements aériens ennemis. »

Vétérans ou anciens combattants…ne sont-ils pas tous des héros d’une Grande Guerre? Quelque part dans la maison de vos parents ou de vos grands-parents, un objet empreint de souvenirs de cette guerre lointaine n’est-il pas conservé comme un précieux trésor ? Ma mère, de son côté, gardait jalousement, parmi d’autres souvenirs de guerre de mon père, la British Empire Medal qu’est la Médaille d’Honneur et de Mérite de l’Empire britannique.

           

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