GÉRALDINE HENNEQUIN-JOULIA
Leader, Idéal Démocrate
Il y a des fuites en avant qui peuvent se révéler catastrophiques. Nous voyons, de la Turquie au Kazakhstan, en passant par la Hongrie comment l’affaissement du pouvoir d’achat rime avec la montée des tensions sociales. Inquiets, nous constatons quasi quotidiennement que les dépenses des ménages mauriciens gonflent alors même que le panier s’amaigrit en produits depuis plus d’une année.
Regardons de près ces chiffres qui mordent à pleine dent dans notre pouvoir d’achat pour le réduire comme peau de chagrin.
La dernière hausse de prix qui a abasourdi les Mauriciens est celle du carburant. Les automobilistes et motocyclistes ont dû depuis ce début d’année 2022 sortir Rs 5 de plus par litre d’essence pour alimenter leur véhicule. L’essence est donc vendue à ce jour à Rs 55,75. Cette augmentation arrive après deux hausses successives en avril et juillet 2021. À bien y voir, on peut déduire que l’essence est passée de Rs 44 avant la crise Covid à un peu plus de Rs 55 le litre actuellement, soit 25% d’augmentation sur la période. C’est quasiment un record mondial ! Il y a de ces premières places qu’on préfèrerait sincèrement laisser aux autres !
Concédons que le gouvernement a annoncé, en entrée de matière pour 2022, un allègement ponctuel de la facture d’électricité pour les ménages les plus vulnérables pour cette année. Il a dégainé une subvention de 6 à 10 % maximum pour les ménages consommant entre 300 et 5000 watts.
C’est une énième mesure qui ressemble à faire l’aumône pour acheter la paix sociale.
Mais que se passe-t-il pour les autres ménages ? La classe moyenne souffre sans commune mesure d’une perte de son pouvoir d’achat depuis de longs mois. Et quid des entreprises ? Qui paiera la facture ?
Le pouvoir d’achat des Mauriciens a pris un coup de massue depuis une année ! La crise sanitaire mondiale est mise en avant pour expliquer cette baisse.
Il est vrai que l’inflation repart à la hausse dans le monde : elle a déjà dépassé les 6 % aux USA, elle atteint presque 5 % en Allemagne notamment à cause de la hausse du prix des matières premières et du fret ; mais ces hausses de prix s’accompagnent ailleurs d’une forte croissance économique, reprise logique après une crise de l’ampleur de celle que le monde a connue.
À Maurice, on peine à redémarrer. La reprise tant espérée qui aurait été tirée par le tourisme n’est pas au rendez-vous ! Conséquence d’une mauvaise gestion ? Ou incapacité à dégager des stratégies de relance ? Comme tout est possible ici, clame-t-on en slogan politique, alors il est possible que ce soit une combinaison de ces deux suppositions !
L’une des pires performances
Jugez par vous-mêmes ! Parlons du Produit intérieur brut (PIB), soit cet indicateur économique qui permet de mesurer la production de richesses d’un pays, qui mesure la valeur de tous les biens et services produits sur une année. En 2020, le compteur de Maurice affichait un très consternant -14.9%. L’une des pires performances au monde. Tous les pays de la région font mieux que nous : Inde (-7.2%), Madagascar (-7.1%), l’Afrique du Sud (-6.4%), le Rwanda (-3.3%) et même les Seychelles (-10.7%) pourtant très dépendantes comme nous du tourisme. L’Union européenne est à -5.9% et l’Afrique Subsaharienne à -2% (source : Banque mondiale).
Pourtant notre inflation se révèle être aussi importante que dans les pays à très forte reprise économique. Comment expliquer cela ?
Une des principales raisons est que la roupie a perdu 19 % de sa valeur face au dollar et 22% face à l’euro, ce qui rend nos importations d’autant plus coûteuses. En d’autres mots, nous subissons les mêmes problèmes que l’ensemble du monde, mais la dépréciation de la roupie les aggrave ici.
Cette dépréciation aurait-elle pu être évitée, ou minorée ?
Elle est indéniablement la conséquence du manque de devises étrangères dans le pays durant la crise sanitaire, à cause d’une mise à l’arrêt de l’industrie touristique.
Pourtant si nos gouvernants avaient su mieux réagir après le 1er lockdown qui était inévitable, ils auraient pu ouvrir les frontières plus tôt. Cela aurait impliqué d’avoir préparé le pays en commandant des vaccins très tôt, quand ils étaient disponibles, pour protéger au moins les frontliners. Il aurait fallu également équiper nos hôpitaux très tôt et le faire surtout de manière transparente et efficace ; former le personnel soignant à cette situation de crise. Nous aurions pu redémarrer l’industrie touristique beaucoup plus tôt comme l’ont fait nos concurrents directs soient les Seychelles et les Maldives. Les chiffres parlent pour eux. Arrêtons-nous sur le cas des Seychelles dont le rebond de croissance a été meilleur qu’à Maurice, les Seychellois retrouvant plus de 70% de leur niveau d’arrivées touristiques pré-crise au dernier trimestre 2021 contre seulement 42% à Maurice. La roupie seychelloise s’échangeait à 1$ pour 14 SCR au 1er mars 2020 et 13,6 SCR au 1er janvier 2022 : aucune dépréciation !
Il y avait-il d’autres possibilités de faire rentrer des devises étrangères ? Et si on avait saisi l’opportunité pour booster le développement de l’industrie du BPO, par un grand plan de relance du secteur, au moment même où nos marchés traditionnels sur ce secteur (Europe, Inde, États-Unis) se mettaient au télé travail et à l’outsourcing pour résister à la crise et jongler avec l’obligation des confinements. Si nos décideurs avaient de la suite dans les idées, ils auraient peut-être misé sur : la formation des jeunes vers ce secteur, la baisse des coûts de l’internet, les incitations fiscales pour les entreprises du secteur, l’aide à la reconversion des salariés d’autres secteurs, le soutien à la structuration du télétravail dans ce secteur très spécifique et le concours de l’État pour le marketing international du secteur, etc. Les spécialistes le diront mieux que moi !
Puisque notre brillantissime ministre des Finances n’a pas trouvé utile de présenter à ce jour un vrai plan de relance pour notre économie et est incapable de proposer des mesures pour amortir la chute trop brutale de notre monnaie, que nous reste-il comme théorie ? La Banque de Maurice, louable institution qui est en temps normal une vigie de notre économie, serait-elle devenue le paillasson des princes qui nous gouvernent ? Elle a en tout cas perdu la confiance de nombreux citoyens, l’opposition parlementaire la soupçonnant même d’être en train de préserver artificiellement ses assets.
Cuisant échec économique
Après s’être vanté qu’il ferait de Maurice un high-income country, le Premier ministre doit s’étrangler légèrement de constater que le PIB/habitant est passé de USD 11,200 en 2019 à seulement USD 8,600 en 2020, soit une baisse de 23% ! Un cuisant échec économique d’autant plus que ni le taux d’endettement du pays, ni la croissance en berne, ni les chiffres du commerce extérieur ne viendront le réconforter.
Les perspectives restent sombres : les finances publiques se dégradent, l’économie mauricienne peine à se relancer et surtout à se renouveler, dans un contexte mondial où l’inflation va se poursuivre, voire s’accroître, et les taux d’intérêt remonter rapidement. On peut craindre pour 2022 d’autres hausses du panier de la ménagère. Et quand un peuple a peur ce n’est jamais très bon.