Une élite blindée d’argent, égoïste, aveugle à la misère humaine et aux catastrophes. Prédatrice aussi, en sus d’être bien entendu sourde aux prévisions alarmistes, mais vérifi ables, des scientifi ques. Bref, les maillons les plus forts d’un système qui, contre vents et marées, s’évertuent à nager à contre-courant, perdus quelque part dans les méandres du « déni cosmique ». Les cinéphiles auront reconnu ici la trame du génialissime Don’t look up, d’Adam McKay, avec, au casting, Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence – tous deux d’ailleurs très engagés pour la protection de l’environnement, faut-il le rappeler.
Et bien qu’il s’agisse d’une comédie dressant le portrait volontairement acerbe d’une société déshumanisée à l’extrême, et où le profit à court terme l’emporte sur toute autre considération, l’analogie avec notre propre société apparaît on ne peut plus clairement. Soyons honnêtes un instant ! Comment peut-on en effet continuer d’idéaliser nos sociétés libérales aujourd’hui tout en sachant que le chemin emprunté nous mène dans la direction inverse à celle que nous devrions prendre ? Car notre système économique est non seulement instable, comme l’aura démontré récemment la crise sanitaire, mais il promet de précipiter le dérèglement climatique sans espoir de retour. Avec, au fi nal, la promesse d’une 6e extinction de masse depuis l’avènement du vivant.
Et pourtant, que faisons-nous ? Rien, diront certains; pas grand-chose, diront d’autres. La vérité, en fait, est un peu plus nuancée. En réalité, il est faux de dire que nous restons les bras croisés. En attestent d’ailleurs les COP, les alertes lancées chaque jour par les scientifi ques, les manifestations proclimat et autres rassemblements populaires… Le tout face à un appareil d’Etat qui, enfermé lui aussi dans un « déni cosmique », semble (presque) totalement hermétique à ce que nombre de ses dirigeants considèrent encore dans leur for intérieur comme de la « démagogie climatique ». Ce cas de figure rappelle d’ailleurs une autre période de l’histoire humaine, à savoir celle de la Révolution française, qui aura vu s’affronter la noblesse, le clergé et le tiers Etat.
Le parallèle avec notre époque est c’est vrai assez facile. Aujourd’hui, la noblesse est constituée d’un couple issu d’un mariage arrangé, soit l’État d’un côté, et les grosses entreprises de l’autre, et à qui le premier ne refuse évidemment rien au second. Le tiers Etat, lui, est la société civile (citoyens, associations…), tandis que le rôle du clergé est tenu par la communauté scientifique (GIEC, etc.). Concrètement, le « clergé » nous dit que « le temps presse », que notre empreinte carbone atteint de dangereux sommets et que, si nous ne faisons rien, nous courrons vers la disparition de la majeure partie du vivant, nous compris. Une parole d’Évangile qu’écoute d’ailleurs une part croissante du tiers Etat.
Donnant ainsi donc lieu, là aussi, à une sorte d’alliance avec le « clergé », et dont Greta Thunberg est devenue en quelque sorte le porte-drapeau. Si cette métaphore est éloquente, c’est parce qu’elle ouvre « apparemment » la porte à deux horizons possibles. Celle d’une action rapide, apte à faire plier la « noblesse » dans un court laps de temps; auquel cas il s’agirait là aussi d’une « révolution ». Soit encore celle d’une montée du mouvement plus lente, et qui n’aurait alors rien de comparable avec cet esprit révolutionnaire qui animait jadis les grandes fi gures de cette partie tourmentée de notre histoire.
Or, c’est bien d’une révolution dont nous avons besoin, même si celle-ci ne doit bien sûr plus se mener par les armes. Seule une révolution, à commencer par une révolution intellectuelle, pourra remettre de l’ordre dans le chaos. Malheureusement, du moins pour la planète et les espèces qu’elle abrite, le parallèle avec la Révolution française s’arrête là. Car si les inégalités sont toujours bien présentes, elles sont cependant loin – en tout cas dans les pays les plus émetteurs de gaz à effets de serre – de la situation qui prévalait à la fi n du XIIIe siècle.
Aussi, tant que la « noblesse » actuelle nous assurera de la croissance, et par ricochet, que nous en profiterons tous, les chances que nous embrassions la cause révolutionnaire se réduiront à peau de chagrin. Jusqu’à ce que tombe bien sûr sur nous la lame glacée de la guillotine.