TANIA RAMSAMY
La reprise
Donner la vie à un enfant, vivre en communion avec lui pendant neuf mois et contribuer à sa naissance constituent un des plus beaux miracles de ma vie. C’est un attachement incomparable, une étape qui transcende l’âme. Alors, quand est venu le moment de reprendre le travail, c’est avec le cœur serré que j’ai repris le chemin du bureau. Ce sentiment a été atténué grâce à l’aide de « super-héroïnes ». Elles nous ont offert à mon époux et moi, en tant que jeunes parents, la sérénité nécessaire à la reprise de notre activité et donc la possibilité de contribuer économiquement à la croissance du pays. Ces super-héroïnes n’ont ni cape ni blasons dorés. Elles ne sont pas nécessairement actives sur les réseaux sociaux et sont souvent effacées dans le « quotidien », mais elles constituent néanmoins le maillon fort et essentiel de notre tissu social. Elles ont un cœur d’or. Elles sont tout simplement mamies, puéricultrices au sein des crèches, aides ménagères et nounous. Elles s’évertuent à être présentes, à nous encadrer du mieux qu’elles le peuvent.
L’envie de se cloner
Nous sommes reconnaissants des congés maternité de trois mois et demi et paternité de cinq jours qui nous sont accordés, mais je pense que cela ne constitue qu’une première étape. Après avoir gouté aux délices de la maternité, me voilà de retour dans le monde du travail après trois mois et demi de bonheur. J’ai souvent eu l’envie de me cloner lors de ces appels de la crèche, surtout en cas d’urgence professionnelle. D’une part, il y a mon envie de mener à bien ma mission et de l’autre mon cœur de parent qui prend le dessus face à la détresse de mon enfant. Fort heureusement, j’évolue dans un cadre privilégiant le respect et la compréhension qui me permettent de concilier ces sentiments. Les conditions climatiques n’ont pas beaucoup aidé non plus dernièrement. Dès la fermeture des crèches, mon époux et moi avons dû jongler entre la garde des enfants et nos emplois, une charge mentale insoutenable. Ayant eu la chance de bénéficier de la flexibilité au travail et du soutien des grands parents, je pense qu’il est crucial d’offrir cette flexibilité à tous les parents au travers de lois spécifiques. L’enjeu climatique nécessite l’utilisation de technologie pointilleuse afin de localiser les zones vraiment à risque et prendre les mesures appropriées par région. Par exemple, avec la fermeture générale des crèches que nous avons vécue en janvier et en février, un employé se retrouverait dans l’obligation de prendre sept « urgent leaves » en deux mois, dont cinq en janvier. Est-ce acceptable ?
Les modes de garde
Mon conjoint et moi avons évalué différentes options de garde avant d’opter pour la formule suivante. La première année, nous avons décidé de faire garder nos enfants à la maison avec l’aide d’une nounou et des grand-mères, pour ensuite nous diriger vers une crèche à partir de la deuxième année. Je suis d’avis que les grands-parents, retraités ou pas, ne devraient pas être automatiquement désignés pour la garde des petits enfants. Les honoraires des nounous ne sont pas accessibles à tous, et bien que le deuxième univers (l’accueil en crèche) offre un cadre avec un personnel formé et aux petits soins, l’obligation de récupérer l’enfant en cas de maladie ou simplement de fièvre peut décourager. Nous partagions également un carnet de liaison afin de pouvoir suivre les activités de nos enfants. Ce carnet nous permettait de suivre l’éveil de leurs sens et le développement d’une bonne motricité en notre absence. Occuper un poste à responsabilités dans le milieu professionnel nécessite une disponibilité. Il faut être prêt à ne pas pouvoir assister à certaines « grandes premières » de nos enfants. La communication entre la nounou / la surveillante (en crèche) est primordiale pour maintenir l’équilibre de l’enfant et lui offrir l’accompagnement parental essentiel pour ses progrès. Nous nous sommes dit que passées leurs premières années, nos enfants auraient fait leurs armes et pourraient mieux s’adapter à l’univers de la crèche.
Les choix de vie
En comparant les congés parentaux en Afrique, l’île Maurice figure parmi les pays où les parents sont les mieux lotis. Certains pays africains tels que le Ghana et le Soudan n’ont pas de congé de paternité obligatoire à ce jour. Le congé parental obligatoire peut être entièrement rémunéré, partiellement rémunéré ou non rémunéré dans certains cas. Au Nigéria par exemple, les indemnités de maternité et de paternité du secteur privé s’élèvent toutes deux à 50% du salaire d’un employé. À l’Île Maurice, en revanche, les deux parents ont droit à 100% de leur salaire pendant leur congé parental. Néanmoins, les pays développés comme la Suède ou le Canada offrent un régime de congé parental favorisant l’équité pour les mères et les pères. Le Canada offre, en plus des 15 semaines de prestations de maternité, deux options de prestations parentales. Si la maman choisit de prendre moins de semaines de prestations parentales, son conjoint peut en demander plus. Il est indéniable qu’il y a une corrélation entre le bienêtre de l’enfant et le régime législatif entourant la prestation parentale. Nous parlions autrefois de choix de vie. La femme avait la possibilité de poursuivre sa carrière ou d’être femme au foyer. La juxtaposition des deux rôles fut longtemps inconcevable. Le rôle de la femme a évolué au sein de la société. Il dépasse le besoin de concevoir comme une contrainte imposée assimilant ainsi la conception à une des multiples tâches ménagères. Aujourd’hui la femme travaille, peut s’auto financer et contribue au budget familial. Avoir un enfant représente un désir. Cet enfant est au cœur des réflexions et des décisions prises.
La progression au sein des carrières
Accueillir la vie chez soi nécessite un encadrement familial, social et culturel. Nous vivons une ère où employés et employeurs peuvent s’adapter aux demandes de télétravail et d’horaires aménagés. Une responsabilité partagée entre particuliers, entreprises, associations et l’État. Ces vases communicants s’influencent les uns les autres. Aujourd’hui, c’est un véritable cri du cœur pour tous ces mamans et papas courage qui n’ont pas d’autre choix que d’être sur tous les fronts. Je constate un manque de parité, de représentation équitable de la femme, que ce soit au parlement (avec à peu près 20% de femmes), dans les entreprises ou dans diverses autres organisations. Je ne comprends pas l’étonnement lorsque l’on parle de sous-représentation des femmes au sein des réunions de conseil d’administration, compte tenu du manque d’accompagnement dès leur intégration dans le monde du travail. Notre société a-t-elle suffisamment de maturité et d’humilité pour le constater ? Les lois du travail doivent être révisées pour permettre une évolution paisible et libre. Grâce à la technologie et certains facteurs perturbateurs tel le Covid, certaines lois sont revisitées de façon plus spontanée et permettent le télétravail et le flexi time. Une étude de l’organisation internationale du travail intitulée « Working time and work-life balance around the world » a révélé une corrélation entre productivité et flexibilité. Ce changement contribue à une évolution pro parentale dans le monde du travail, une philosophie que j’ai adoptée avec succès afin de concilier les aspects personnels et professionnels de ma vie.
Du temps pour soi
La charge mentale est une réalité qui ne doit pas être banalisée selon moi. Autrefois, certaines femmes éprouvaient un sentiment de culpabilité face à leur besoin de trouver du temps pour elles, mais force est de constater qu’à présent, la plupart en reconnaissent les bienfaits. Mon époux et moi considérons cela comme un moyen de recharger ses batteries pour avancer ensemble. N’oublions pas que les parents demeurent des individus à part entière avant d’occuper un rôle. Une société favorisant notre épanouissement améliorerait notre qualité de vie et ce bienêtre en découlerait sur nos générations futures. Post accouchement, j’ai été étonnée de voir le nombre de femmes qui n’avaient pas idée des exercices à faire ou des visites médicales nécessaires afin d’éviter toute complication. Je me souviens, post mes deux accouchements que ces escapades chez mon esthéticienne devenaient mes moments bénis où je savourais le bonheur de prendre soin de moi. L’interchangeabilité dans un couple parental permet à chacun de s’octroyer un moment pour soi, ne serait-ce pour faire un peu de sport ou une sortie. Ces moments permettent de consolider les liens lors des retrouvailles.
Le mot de la fin
En conclusion, le récit de ma vie de « working mum » met en lumière les défis importants auxquels font face de nombreux parents aujourd’hui. Nous devons impérativement repenser nos politiques et nos lois de travail afin de mieux répondre à notre réalité changeante sur les aspects personnels et professionnels. J’appelle les décideurs législatifs et étatiques à reconnaitre ces changements de mœurs et apporter les modifications nécessaires. J’ai foi que notre voix, celle des « parents courage » qui jonglent entre des rôles multiples au quotidien, sera écoutée et entendue. Ensemble, travaillons à créer un environnement qui favorise notre épanouissement et notre qualité de vie. Cela sera bénéfique aux générations futures. Je suis consciente que la route est longue et semée d’obstacles, mais je reste convaincue que notre engagement envers une société équilibrée est essentiel pour le bienêtre de chacun.