Foutu pour foutu…

Réchauffement planétaire, perte de la diversité animale, disparition des forêts, pollution à outrance, cataclysmes, pénuries, migration de masse… À croire les lanceurs d’alerte, experts, écolos et autres chevelus, rien ne va plus. La faute, disent-ils, à la croissance, à notre propension immodérée à toujours vouloir plus. Balivernes que tout cela ! Prenons le réchauffement, par exemple. Depuis l’avènement du vivant, notre planète n’a-t-elle pas subi d’autres périodes de bouleversements climatiques ? De grandes glaciations et, à l’inverse, des canicules prolongées ? Et les animaux ? Combien n’ont-ils pas disparu avant que nous n’arrivions ? Combien de forêts n’ont-elles pas elles aussi brûlé sans que nous n’en soyons responsables ?

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Soit, les experts nous disent que les chiffres sont là, que la probabilité que nous ne soyons finalement aucunement responsables de notre malheur est infime. Alors bon, peut-être ont-ils raison. Mais dans ce cas, puisque tous nous avertissent du danger, nous disent sur tous les tons que, de toute manière, le point de rupture est quelque part atteint, qu’aucun retour en arrière n’est possible et que nous fonçons droit dans le mur à une vitesse telle que les dégâts seront colossaux, irrémédiables, à quoi bon vouloir à tout prix changer notre système, nos petites habitudes ? Foutu pour foutu, pourquoi se priver ? Pourquoi opter pour un changement de paradigme puisque, de toute façon, nous n’échapperons pas à la catastrophe ?

Autant donc continuer sur cette voie. Et tant pis si elle est sans issue et que l’on doive un jour en payer le prix. Et puis bon, même s’ils ont raison, quand cela arrivera-t-il ? Dans 15 ans, 30, 50 ? Une partie d’entre nous ne sera de toute manière plus là, pas vrai ? Quant à nos enfants et petits-enfants, ils se débrouilleront bien. Après tout, l’être humain s’est toujours sorti des situations les plus périlleuses, donc… Alors voilà, autant continuer. Continuons donc à manger de la viande, qu’importe que notre bétail prenne la place de nos forêts et réclame que l’on le nourrisse plutôt que ces populations qui crèvent de faim. Qu’importe aussi que l’exploitation de nos animaux d’élevage augmente les émissions de dioxyde de carbone et de méthane. Ne sommes-nous pas les rois de cette planète ?
C’est une évidence : puisque ce « mur » est là, autant profiter de la vie avant l’impact. Rouler en voiture, voler en avion, naviguer en yacht… Qu’y a-t-il de mal dans tout cela ? Prenons l’avion, par exemple. Savez-vous depuis combien de millénaires l’homme rêve de voler ? Et combien d’autres auront été nécessaires pour que nous y arrivions ? Et voilà que, soudainement, parce qu’on nous dit que ce mode de transport pollue, il faudrait s’arrêter de prendre l’avion. Non mais, pour qui nous prend-on ? Où partira-t-on en vacances sinon ? À l’Ile-aux-Cerfs ? Vraiment, on nous prend pour des pigeons, c’est le cas de le dire.

On nous demande aussi de modérer notre consommation en produits et en services, et ce sous le prétexte que nos smartphones polluent, de leur fabrication à leur utilisation. Que l’Internet, le haut débit et, maintenant, la 5G, qui pourtant changera radicalement notre vie, sont encore plus néfastes à l’environnement. Encore une fois, puisque nous sommes foutus, pourquoi s’en priver ? Tout cela est d’un ridicule. Quant aux pénuries – alimentaires, énergétiques, en eau potable –, elles sont encore loin, très loin. Enfin, loin de nous en tout cas. Pourquoi devrait-on s’en soucier ? Le moment venu, on verra bien…
Il est un fait que les lignes qui précèdent ne doivent pas être prises au premier degré. Et pourtant, elles symbolisent à elles seules un certain courant de pensée, le plus souvent involontaire, conditionné en quelque sorte par notre environnement immédiat, dicté par l’histoire et la bêtise des hommes. Disons-le sans ambages : oui, d’une certaine manière, nous sommes foutus. Du moins si nous comptons conserver encore longtemps notre confort de vie actuel. Mais est-ce pour autant qu’il nous faille hypothéquer l’avenir de nos enfants en leur imposant un monde dont ils n’ont finalement jamais voulu ? Disons-nous juste que le crépuscule d’une ère n’est pas forcément une mauvaise chose, car toute fin signe toujours un recommencement. Et ça, c’est plutôt stimulant, non ?

Michel Jourdan

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