Dans l’imaginaire collectif, lutter contre le changement climatique, c’est avant tout réduire nos émissions de dioxyde de carbone. Ce qui est d’ailleurs une vérité, car des gaz à effet de serre contribuant au réchauffement de la planète, le CO2 en est en effet le principal acteur. Cela dit, au générique du film sur notre comportement autodestructeur, il ne faudrait pas faire l’impasse sur le méthane, gagnant depuis des années déjà de l’Oscar du meilleur second rôle.
Et ça, on ne le dit jamais assez. Avec l’effet pervers de voir ce dangereux gaz réduire à néant les timides efforts consentis jusqu’ici en cette matière.
Comme le vient encore de le relever une étude, les concentrations de méthane dans l’atmosphère sont en vérité loin de se réduire, et encore moins de stagner. Au contraire, elles ne cesseraient même d’augmenter, et ce, à un rythme accéléré ces dernières années. En fait, la situation est telle que le méthane (CH4) a désormais atteint des niveaux 2,6 fois plus élevés qu’à l’ère préindustrielle. Preuve, une fois de plus, que sur ce point aussi, les promesses n’auront jamais été tenues. Question : en quoi ce gaz constitue-t-il une aussi importante menace pour notre planète ? Eh bien simplement parce que son pouvoir de réchauffement est plus de 80 fois plus important sur 20 ans que celui de son grand frère.
Malgré ce constat, certains experts – dont la cause semble davantage dictée par un agenda politique que scientifique ou éthique – ne se privent pas de rappeler que la molécule se fixe beaucoup moins longtemps que le CO2 dans l’atmosphère, faisant d’elle un ennemi de moindre importance. Or, non seulement ils se trompent mais, pire, ils « nous » trompent, passant en effet délibérément sous silence le fait que nous vivons une époque charnière pour le maintien de la vie sur Terre, sous toutes ses formes, et que si le méthane ne prend que cinq ans pour se désagréger, dans la conjoncture, c’est cinq ans de trop.
Aussi apparaît-on en total décalage avec les objectifs affichés, et visant à conserver le réchauffement sous la barre des +2 °C par rapport à l’époque préindustrielle. Et donc, de facto, avec l’engagement mondial qui avait été lancé en 2021 par l’Union européenne et les Etats-Unis en vue de réduire les émissions mondiales de méthane de 30% entre 2020 et 2030, auquel ont adhéré depuis plus de 150 pays. À l’exception (tiens donc !) de la Chine, de l’Inde et de la Russie, qui comptent parmi les plus gros producteurs et consommateurs de gaz au monde.
Certes, le concept « zéro émission de CH4 » est utopique, car le gaz possède de nombreuses sources naturelles dont nous ne pourrons nous débarrasser, comme les flatulences, les termitières ou encore les marécages (du fait de la décomposition des végétaux). Toutefois, le plus gros problème, vous le devinez, ne vient pas de là, mais des activités humaines, parmi lesquelles nous pourrions citer les élevages (bovins principalement), la culture de riz ou encore nos décharges publiques. Mais aussi dans le processus de production de charbon, pour ne citer que ces quelques sources d’émissions de méthane d’origines anthropiques, et hautement polluantes.
Qui plus est, il est une autre source d’émissions de CH4 dont on ne parle quasiment jamais, c’est celle associée au gaz naturel liquéfié (GNL), et qu’une bonne partie du monde considère encore à tort comme une source d’énergie propre. À l’instar d’Ivan Collendavelloo qui, lorsqu’il était ministre, ne ratait jamais l’occasion d’en faire la promotion en tant que combustible alternatif. Car cette stratégie énergétique n’offre non seulement aucune avancée majeure écologiquement parlant, mais elle est également pernicieuse. Une pilule empoisonnée qui trouve son origine dans le fait que l’emploi de GNL comme source d’énergie provoque des fuites de méthane à différents points de sa chaîne de distribution, soit de son extraction à son utilisation, en passant par son acheminement.
En résumé, il apparaît clairement que nous devrions cesser une fois pour toutes de banaliser les effets de nos émissions de méthane, tout autant qu’il serait souhaitable de rendre accessible l’information au grand public autant qu’elle l’aura été pour le CO2, autrement dit en toute transparence. C’est un fait : non seulement le CH4 ne constitue pas une nuisance mineure, mais sur certains points, la question de son atténuation devrait même être inscrite tout en haut de la liste de notre réponse à l’urgence climatique. Pour peu qu’il y en ait une, bien entendu.
Michel Jourdan